Au cœur des textes d’Alex Nicol, il y a bien sûr Gwenn et Soazic Rosmadec, un couple fasciné par les enquêtes et les affaires sordides, mais on y trouve aussi et surtout la Bretagne avec ses hommes, ses traditions, ses métiers et ses paysages, une région non seulement fièrement propulsée (et revendiquée) par l’auteur, mais essentielle à son écriture. Parce que, au même titre qu’on ne peut imaginer les commissaires Brunetti sans Venise et Wallander sans la Scanie, la péninsule bretonne est tout simplement inséparable des aventures des Rosmadec. Gwenn, pour sa part, écrivain public, ancien journaliste enquêteur, Breton jusqu’à la moelle, se trouve irrésistiblement attiré par toutes sortes d’embrouilles, attraction qui le conduit irrémédiablement dans le plus beau des pétrins, et ce dès le début de sa carrière littéraire entamée en 2006 dans une aventure qui a conduit son protagoniste à « mettre le doigt sur un passé douloureux » [1]Alex Nicol à propos de son texte sur son site internet. pour éclaircir des Mystères en Finistère, levant au passage quelques lapins aux intentions tout sauf pacifiques. Et Soazic, quant à elle, se révèle la compagne tout aussi séduisante qu’inséparable sans laquelle son mari se retrouverait privé d’une bonne partie de l’intelligence dont il a besoin pour venir au bout du mystère.
On se doute donc que, quand Gwenn se trouve invité par la gendarmerie à se rendre à la morgue de Pont-l’Abbé, il ne s’agisse du point de départ d’un voyage en eaux troubles. Seulement, ces eaux-là, elles viennent de lâcher le cadavre d’un noir dont Gwenn croisera la sosie peu après en la personne du sonneur noir, personnage éponyme du texte qui nous occupe. Le mystère qui entoure le noyé et les origines de son frère, Marc Saïd Le Dantec, conduira les Rosmadec à Mayotte où, à mi-chemin entre le continent africain et sa plus grande île, Madagascar, Gwenn et Soazic se retrouveront confrontés à une nature luxuriante, une Histoire sombrée dont le souvenir agite toujours les esprits, et un personnage sordide qui domine une grande partie de la société indigène par la peur et la violence.
Inutile de dévoiler d’autres détails de l’intrigue, il ne reste au potentiel lecteur qu’à passer par sa librairie en ligne favorite pour se procurer le texte dans le format qui lui convient. Mais avant de vous lâcher, il convient peut-être de dire deux, trois mots à propos d’un autre conflit qui se joue sur l’île de Mayotte, et qui est en même temps au cœur de l’affaire qui a incité les Rosmadec à quitter leur petite ville côtière de Sainte Marine. Il s’agit bien de ce qu’on pourrait qualifier de choc des cultures, pour reprendre la formule mainte fois remâchée et néanmoins toujours fertile depuis plus de vingt ans de Samuel L. Huntington. D’un côté, il y a les représentants de la République, comme l’instituteur ou le Principal du collège, de l’autre les personnages funestes qui essaient de tenir les populations insulaires sous un régime d’obscurantisme religieux et linguistique pour mieux se remplir les poches. Et comme la religion dominante de Mayotte est l’Islam, on ne s’étonnera pas de retrouver dans l’aventure du sonneur noir les constellations qui font la Une des journaux depuis maintenant des années déjà. L’intrigue est bien ficelée, les descriptions sont convaincantes – dépaysantes pour les meilleures d’entre elles comme par exemple celles de l’expédition sous-marine dans le lagon – et on devine une profonde érudition derrière la plume si savamment menée, mais les personnages et les relations humaines pâtissent parfois du chiaroscuro trop prononcé. Il me semble que le conflit qu’on sent couver sur cette île entre traditions archaïques et modernité mériterait des personnages plus ambigus, voire déchirés, que ne le sont ceux que le lecteur est invité à fréquenter.
Mais, d’un autre côté, quel plaisir de fréquenter, à livre interposé, quelqu’un d’aussi empreint par les meilleures traditions de l’école républicaine, créatrice d’une société démocratique et libre résolument tournée vers les défis de la modernité, que M. Nicol ! Et c’est avec un réel plaisir qu’on pardonne à un auteur entraîné par l’amour des valeurs républicaines ayant forgé la France et l’Europe les excès de ses personnages, victimes en quelque sorte d’une passion trop vive. Oui, c’est avec grand plaisir que j’ai découvert le monde de M. Nicol, celui de son présent et celui de son passé, un monde qu’il partage librement avec ses créatures et dont il fait profiter le lecteur, invité à résoudre, en compagnie des Rosmadec, des énigmes potentiellement mortelles, et à découvrir en même temps un passionné des meilleures traditions de la France laïque et républicaine.

Alex Nicol
Le sonneur noir du bagad Quimper
Numériklivres
ISBN : 978−2−89717−664−8
Références
↑1 | Alex Nicol à propos de son texte sur son site internet. |
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Commentaires
6 réponses à “Alex Nicol, Le sonneur noir du bagad Quimper”
Waaaa ! Merci Thomas !
Si je voyais seulement la couverture dans une bibliothèque ou une librairie, je pense que je ne prendrais même pas la peine de le feuilleter pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. Pourtant, l’article m’a convaincu que c’était le genre de livre que j’adore lire. En fait, pourquoi cette couverture ?
Merci pour votre commentaire et votre question, même si, comme je ne suis ni l’auteur ni l’éditeur du titre en question, je ne peux vous donner de réponse. Je peux seulement vous dire que, comme cela faisait déjà un certain temps que je voulais découvrir le monde des Rosmadec, ce n’est pas la couverture qui a orienté mon choix.
Oui pourquoi cette couverture en parfaite résilience avec le titre puisqu’elle représente un sonneur breton, un joueur de cornemuse si vous préférez ou encore de bagad : « Un bagad est un ensemble de musique traditionnelle bretonne inspiré du pipe band écossais. Il est composé de trois pupitres : bombarde, biniou braz (grande cornemuse) et percussion. Selon l’importance du bagad, le pupitre percussion peut être organisé en deux pupitres, l’un de percussions traditionnelles (caisses claires, batterie), l’autre de percussions non traditionnelles. » Source Wikipedia.
Je peux me tromper, mais le sonneur sur la photo me rappelle furieusement un autre des auteurs de chez Numériklivres.
Un bel avis qui me donne encore plus envie de continuer à découvrir Gwenn et Soazic :)