La nuit, tous les chats sont peut-être gris, mais qu’en est-il des couleurs de nos rêves et de nos fantasmes, nourris par un bout de peau entraperçu et couvés à l’abri des regards, sous la couette, les yeux imaginaires grands ouverts ? C’est la question qu’on peut se poser à la lecture de cette charmante nouvelle auto-éditée de Nicolas Kapler, À l’abri des vieilles pierres. C’est l’histoire d’un ado, Florian, qui, l’été de ses seize ans, a rencontré « la plus belle femme du monde ». Une femme qui, comme la suite le révélera, lui aura laissé son « plus intense souvenir d’adolescence. »
C’est précisément le jour de son anniversaire que Florian voit débarquer Marion, la future pensionnaire du mas de ses parents. Très vite envoûté par les charmes de la belle, Florian ne tardera pas à faire l’expérience des joies du voyeurisme. Réglant désormais le rythme de ses journées sur celui de Marion, il passera ses après-midi à profiter du spectacle de ses séances de bronzage, guettant les instants où un geste lui dévoile
furtivement un téton sombre, excité par le frottement contre le tissu de la serviette.
On devine le genre d’activités auquel s’adonne le tout jeune homme par la suite, dévoré par les hormones et la brûlante curiosité de l’autre sexe.
Peu à peu, Florian trouve les moyens de se rapprocher de sa Dulcinée – admirée de loin, comme il faut – sans pour autant pousser l’audace plus loin que l’occasionnel « ça va ? », lancé entre deux passages vers la remise au fond du jardin. Les choses en sont là quand, une nuit, occupé à scruter les étoiles dans le ciel, il a le plaisir de surprendre Marion en train de traverser la cour, vêtue de rien qu’une serviette. Celle-ci n’a pas encore trouvé le temps de glisser par terre pour permettre à la promeneuse nocturne de glisser à son tour dans l’eau fraîche du bassin que la décision est déjà prise d’aller inspecter cela de plus près. Quel ado qui se respecte en aurait pris une autre ? Par la suite, Florian fera servir à son avantage les souvenirs de la topographie de la propriété parentale. Les jours se suivent et la hardiesse s’en va en grandissant, et au lieu d’attendre que se présentent d’elles-même les occasions d’alimenter son imagination avide de chair fraîche, il cherchera désormais à les provoquer.
Dans l’intérêt de celles et de ceux qui comptent se laisser séduire par ce petit texte, je ne pourrai dévoiler la suite, mais je vous dirai pourtant que j’ai tout simplement adoré les passages qui montrent Florian, les genoux dans la crasse, enfermé pendant des heures dans un grenier noyé de poussière. Et puis sa surprise quand, au bout de son parcours, il découvre – autre chose.
Nicolas Kapler excelle à créer l’ambiance de cet été fébrile, avec son odeur de lait solaire qu’exhalent les serviettes et qui monte de la peau bronzée de Marion, le clapotis des vagues qui accueillent le corps en chaleur, la rugosité des vieilles pierres qui fournissent un rempart au progrès de Florian dans la nuit, l’atmosphère étouffante du grenier chauffé à blanc par le soleil du Midi, et le tourbillon qui menace d’engloutir le pauvre garçon quand, arrivé au bout de son parcours, il trouvera ce qu’il n’attendait pas. Le parfum des souvenirs, on le sait, a un pouvoir enivrant, et le moyen d’y échapper doit encore être trouvé. Nicolas Kapler montre ce pouvoir en train de naître, en train de se doter d’une force capable de diriger – ou de faire dérailler – des vies, et dont, sa vie entière, on aspire à retrouver la pureté primaire.
Le texte de Nicolas est une véritable petite gâterie littéraire qui, mine de rien, emporte le lecteur plus loin que ce qu’il avait pu penser en mettant son nez dessus pour la première fois, en alliant les plaisirs des jeux de piste et de l’Île au trésor à ceux qu’on découvre en débusquant des joyaux bien autrement précieux. Ces trésors-là, on les trouve nichés entre les cuisses des femmes et on y accède en empruntant cette porte enchantée et sans retour qui mène à la vie adulte. Celle-là qui change les découvertes qu’il reste à faire en nostalgie de ce qui nous glisse inexorablement entre les doigts.
Nicolas Kapler
À l’abri des vieilles pierres
Auto-édité
ASIN : B009WRO5FI