Julie-Anne de Sée, La pâle heure sombre de la chair

Catégories :

, , ,
Julie-Anne de Sée, La pâle heure sombre de la chair. Illustrations par Xavier Duvet.

Pour son deuxième livre, Julie-Anne de Sée s’est assu­ré la col­la­bo­ra­tion de Xavier Duvet, des­si­na­teur et illus­tra­teur de renom qui n’en est pas à son pre­mier pro­jet. Elle raconte, par épi­sodes, la vie et l’a­mour (dans la mesure ou ces deux termes sont encore sépa­rables dans leur his­toire) de Julie et de Simon, avec une nette pré­fé­rence du côté du pro­ta­go­niste fémi­nin dont on découvre l’u­ni­vers au fur et à mesure des scènes que l’i­ma­gi­na­tion fer­tile de l’au­teur étale sur une bonne cen­taine de pages.

La vie de Julie, et l’illus­tra­tion de la cou­ver­ture en donne le ton, oscille entre les deux pôles que sont le sexe et la mort, entre Éros et Tha­na­tos, la péren­ni­sa­tion et la fin de la vie, et le der­nier cha­pitre est moins une conclu­sion de l’in­trigue qu’une réflexion sur la vie qu’on peut mener à l’ombre d’une mort qui guette, quelque part, et dont on ne peut connaître la forme qu’elle pren­dra, mais qui, d’une façon ou d’une autre, fini­ra par avoir notre peau. Tout comme le pre­mier cha­pitre res­semble à une ouver­ture dont les notes brillantes chantent l’hymne à l’a­mour exclu­sif qui, pas content de don­ner et de rece­voir, se pro­pose d’en­chaî­ner l’être aimé par des pro­cé­dés qua­si­ment magiques.

L’in­trigue est com­prise entre ces deux extrêmes-là, et se déroule par épi­sodes pimen­tés. S’il est vrai que cer­tains de ceux-ci n’ont pas besoin d’un contexte plus large pour être appré­ciés ou pour­raient car­ré­ment être publiés à part (Le brou­teur, Lou), leur prin­cipe est pour­tant d’illus­trer la pro­fon­deur et l’am­bi­guï­té de la rela­tion de ce couple et de confé­rer à celui-ci, jus­te­ment par des remises en ques­tion (Vacances en Nor­man­die) et le carac­tère épi­so­dique qui arrache, par coups de pro­jec­teur, leur his­toire aux ténèbres d’un quo­ti­dien pré­sent mais tu, une pro­fon­deur humaine qui trans­cende la vie roma­nesque d’un per­son­nage de roman, confiant au lec­teur le soin de les faire vivre ailleurs qu’entre les seules pages du livre.

À lire :
Julie-Anne de Sée, Amuse-bouche et autres historiettes croustillantes

La force inves­tie dans ce roman et sur­tout dans sa pro­ta­go­niste est telle qu’on est ten­té de se deman­der à quel degré celle-ci a été ins­pi­rée par la bio­gra­phie de l’au­teur. Mais une telle approche n’est, bien enten­du, pas vrai­ment per­ti­nente, parce que Mme de Sée a choi­si d’é­crire un roman et de confé­rer ain­si une vie à part à ses per­son­nages qui, une fois le livre publié, lui échappent et devront être jugés à l’aune de leur propre réa­li­té. Et celle-ci est, mal­gré les appa­rences, tra­gique. Parce qu’une com­mu­nion telle qu’elle est pro­cla­mée d’en­trée de jeu, doit se révé­ler non seule­ment dif­fi­cile mais car­ré­ment impos­sible. L’a­mour de Julie et de Simon sou­lève la vieille ques­tion s’il faut vrai­ment essayer de per­cer tous les mys­tères, et si on ne risque pas de revivre l’a­ven­ture fatale de l’appren­ti de Saïs qui a cédé à la ten­ta­tion en dévoi­lant la sta­tue d’I­sis pour lui arra­cher ses secrets. Le roman baigne d’ailleurs dans une ambiance tout à fait orien­tale, évo­quée dès le pre­mier cha­pitre où il est ques­tion du « savoir antique des belles égyp­tiennes », du « regard sou­li­gné de khôl » (p. 8) et de celle qui res­sus­ci­te­ra son amant après que « la petite mort » aura cou­pé « le fil de votre conscience » (p. 10). Dans un tel décor, l’ap­pa­ri­tion de la déesse orien­tale, centre d’une dévo­tion syn­cré­tique un peu par­tout dans l’Em­pire romain, ne déroge aucu­ne­ment à la réa­li­té du XXIe siècle avec ses minu­te­ries défaillantes et ses vacances en Nor­man­die. Parce que c’est entre la réa­li­té minu­tieu­se­ment ren­due (cf. l’ex­cellent cha­pitre Répliques tel­lu­riques avec le mobi­lier amou­reu­se­ment évo­qué de la cave) et les abîmes qui cernent nos vies qu’é­vo­luent les humains avec leurs aspi­ra­tions, leurs craintes et leur amour. Les humains tel que Simon et sur­tout Julie dont Julie-Anne de Sée a su tra­cer un por­trait qu’on n’est pas près d’oublier.

À lire :
Julie-Anne de Sée, Dix bonbons à l’Amante

Si j’adhère en prin­cipe au pro­cé­dé épi­so­dique, voire ellip­tique, qu’a choi­si Mme de Sée pour son roman, remet­tant à l’hon­neur par la même occa­sion la vieille recette des roman­tiques qui juraient par ruines, manus­crits par­tiel­le­ment recons­ti­tués et récits frag­men­taires, je reste dubi­ta­tif devant cer­tains cha­pitres qui ne font pas vrai­ment avan­cer le récit et n’ap­portent que très peu de traits au por­trait de Julie. Visi­ble­ment, l’au­teur aime jouer avec les diverses formes du dis­cours poé­tique (en intro­dui­sant des élé­ments lyriques et dra­ma­tiques dans le récit), ce qui semble indi­quer qu’elle n’a peur-être pas encore tout à fait trou­vé sa voie. Mais, face à ce que repré­sente La pâle heure sombre de la chair, on ne peut qu’es­pé­rer de la voir pour­suivre ses efforts.

Un der­nier mot rela­tif aux illus­tra­tions que nous devons à Xavier Duvet. Très simples, presque frustes, de par leur exé­cu­tion, elles font contre-poids, dans toute leur fran­chise crayon­née et leur cru­di­té presque vio­lente, aux paroles par­fois trop près de s’en­vo­ler et servent ain­si à enra­ci­ner quelque peu l’au­teur qui a sans doute besoin, de temps en temps, d’un petit rap­pel « tel­lu­rique ». La femme de plume et l’homme de crayon forment un couple dont les par­ties se com­plètent très favo­ra­ble­ment, ce qui pro­fite au roman et au plai­sir qu’on peut en tirer. Expé­rience à renouveler !

Julie-Anne de Sée
La pâle heure sombre de la chair
Édi­tions Tabou
ISBN : 978−2−915635−99−7

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Julie-Anne de Sée, La pâle heure sombre de la chair”