Pour une fois, ce n’est pas le titre d’un livre qui s’affiche en haut de l’article, mais bien un résumé qui m’a été inspiré par les folies à travers lesquelles l’autrice, Thalia Devreaux, fait passer sa protagoniste, la jeune et belle Mathilde qui sent la morsure du désir au fond de ses entrailles et qui ne recule devant rien afin de nourrir le feu qui la consume. C’est à travers deux recueils que le lecteur peut suivre le parcours de cette femme pour laquelle l’épithète « coquine » me semble bien trop faible. Et ce n’est d’ailleurs pas celui qu’elle-même préfère entendre pendant ses actes osés quand elle se laisse emporter elle ne sait pas où sous l’emprise du désir qui la chevauche. Parce que, dans ces instants-là, elle assume d’être une salope, celle qui se laisse doigter, baiser, exhiber par des inconnus, qui adore la présence d’autres personnes et la possibilité très réelle de se faire surprendre dans un lieu public.
Mais qui est donc cette Mathilde ? Au départ, il y a la jeune femme, le début de la vingtaine sans doute, peut-être même plus jeune que cela, une étudiante qui, obligée de rester chez ses parents pour des raisons financières, fait chaque jour le trajet Blois – Paris pour se rendre à la faculté. Si j’insiste sur ces quelques détails, c’est que ce sont pratiquement les seules indications biographiques que l’autrice veuille nous fournir à propos de sa protagoniste. On apprendra plus tard qu’elle a une sœur de deux ans son aînée, mais c’est à peu près tout. Il est possible que j’aie, emporté par le côté sensuel de la lecture de ces quelques heures passées, oublié de relever l’un ou l’autre détail, mais je peux vous affirmer que ceux-ci n’ont pratiquement aucune importance. Et ce n’est pas, contrairement à ce que l’un ou l’autre voudrait croire, parce que de toute façon son seul intérêt serait, à l’image de l’actrice porno lambda, de fournir au récit ses orifices, ses seins et sa croupe afin de faire monter la sauce de l’assistance ! Non, les raisons, il faut les chercher ailleurs, et dans un texte (il s’agit de huit nouvelles, mais celles-ci forment un ensemble aussi cohérent que j’ai tendance à en parler comme s’il s’agissait d’une sorte de roman) entièrement écrit à la première personne, on n’aurait pas tort de les chercher du côté de sa psychologie que l’autrice, par le procédé retenu pour la narration, fait passer au premier plan. Une psychologie qui se dévoile et qui s’approfondit grâce aux coups de bite provoqués et reçus, des coups qui poussent la jeune femme à se découvrir, à se remettre en question, et à aller de l’avant afin de tout assumer, première étape avant de pouvoir assumer qui elle est. À moins évidemment de vouloir interpréter le manque de repères biographiques comme voulant signifier qu’il ne s’agit pas vraiment ici de raconter le parcours d’un individu, mais plutôt de la mise à disposition d’un modèle qui, au lieu de correspondre à une personnalité bien déterminée, pourrait s’étendre à toutes les femmes…
N’ayez pourtant pas peur, chers amis portés sur le cul et attirés par la chair cuite à point par le désir, je n’irais pas aussi loin que de qualifier le texte de roman psychologique, ce qui pourrait faire fuir certains ! Si ce côté-là ne peut évidemment pas se négliger, l’ingrédient principal est quand même le sexe, et l’autrice excelle à inventer des décors et des ébats qui ne laisseront personne indifférent, un tourbillon en plusieurs séances dont les acteurs et les figurants – à l’exception évidemment de la protagoniste – ne sont pas toujours les mêmes.
Les aventures de Mathilde ont ceci de remarquable que la durée de leur composition ne reflète en rien l’unité ressentie de l’action. Le tout premier récit, Intéressant voyage, date de 2015, et les quatre récits du deuxième recueil, de 2019. Mais l’intrigue, tissée autour de la protagoniste, de ses pulsions et de son voyage au fond de sa propre personnalité, est d’une telle force centripète que le lecteur se croirait volontiers dans un seul et même récit avec juste parfois quelques petits retours en arrière qu’on mettrait sur le compte d’un trop grand souci de prendre le lecteur par la main, si on ne connaissait pas l’historique de leur composition qui s’étale sur quatre ans. Atteindre une telle unité malgré une genèse aussi prolongée, c’est un bel exploit, et il convient de regarder le procédé de plus près afin de comprendre comment l’autrice s’y est pris.
Le premier recueil, Les petits secrets de Mathilde, est composé de quatre textes : Intéressant voyage (2015), Mathilde s’ennuie (2016), Le voisin pervers (2016) et Insatisfaite (2017). À regarder de plus près, les deux premiers de ces récits se dérobent quelque peu à l’unité de l’ensemble. Dans le premier, la rencontre de Mathilde et d’Henri a bord d’un Intercité assurant la liaison Blois – Paris débouche sur une partie de jambes en l’air où le charme du voyage se conjugue avec le plaisir classique et bien souvent mis en scène dans la littérature érotique du lieu insolite, le tout pimenté par le danger de la découverte – et incidemment de la sanction. Un piment rendu plus piquant encore, dans le cas de Mathilde, par le détail que son partenaire lui propose de l’argent en échange de ses petits services ce qui donne à l’intéressée le plaisir très ambivalent et d’autant plus excitant de faire une incursion dans le terrain de la prostitution. Le deuxième récit – le troisième dans l’ordre du recueil, mais sans doute le deuxième dans l’ordre de l’écriture s’il faut en croire le répertoire dressé par l’autrice – Mathilde s’ennuie a pour protagoniste masculin un certain Jean-Baptiste, jeune homme voyeur de son état qui a le bonheur de tomber sur notre héroïne dans les vestiaires d’un magasin de mode avant de pouvoir lui tenir compagnie dans une salle de cinéma. Avant de passer – toujours en charmante compagnie – aux toilettes de celle-ci, autre grand classique quand il s’agit de choisir le théâtre de la mise en scène de galipettes organisées plus ou moins à l’improviste. Si ces deux mâles-là ne jouent plus aucun rôle actif par la suite – ce qui n’enlève rien à l’efficacité des souvenirs que leur rencontre aura laissé, des souvenirs à travers lesquels ils continuent à jouer un certain rôle quand la protagoniste passe en revue les étapes de sa perversion et de son voyage psychologique où Henri occupe une position centrale, sa rencontre ayant été une sorte de catalyseur pour la vie sentimentale et sexuelle de Mathilde -, leur disparition dans les strates mnémoniques de la protagoniste contribue à mettre à part les récits dans lesquels ils apparaissent en tant qu’intervenants. Ce n’est qu’avec l’entrée en scène de M. Berthelot, essentielle pour le futur parcours de Mathilde, que l’autrice et son personnage semblent avoir trouvé la bonne voie pour conférer au roman de Mathilde son unité en même temps qu’une rare efficacité dans la représentation du désir. Un désir qui, à travers sa mise en scène, ne manque pas de se propager aux lecteurs. M. Berthelot, c’est le « voisin pervers », celui qui passe son temps à mater la « jeunette », celle qui n’hésite pas à s’exhiber devant lui en toute connaissance de cause, allant jusqu’à se donner en spectacle au voisin pour pimenter des ébats autrement bien fades. La cinquantaine, bedonnant, M. Berthelot n’a rien d’emblée qui puisse justifier l’empire exercé sur Mathilde, si ce n’est sa façon de titiller et d’exacerber le désir qui couve dans les entrailles de la jeune femme et qui n’attend que l’étincelle afin de partir en conflagration prête à tout consumer sur sa route. J’ai l’impression que, au départ, le personnage de M. Berthelot était censé partager le sort d’Henri et de pouvoir profiter d’une seule apparition pour tirer son coup avant de disparaître dans les coulisses. C’est au moins ce que la fin du premier récit le mettant en scène pourrait laisser croire :
Désormais, même si je revois dans ma tête tout ce qui s’est passé, l’obsession n’est plus la même, un peu comme l’après Henri. Je sais que j’ai besoin de passer à autre chose et que M. Berthelot fait partie de mes rares relations passées.[1]Thalia Devreaux, Le voisin pervers. In : Les petits secrets de Mathilde, empl. 1050
Rien ne s’opposerait, à ce stade-là, à ce que M. Berthelot reste un caractère épisodique comme cet Henri qu’il côtoie de si dangereusement près dans le passage cité. Mais non, c’est lui qui, un an plus tard – écoulé dans le temps de l’écriture aussi bien que dans celui du récit, une année qui aura fourni à l’autrice l’occasion de se rendre compte du potentiel de son personnage -, fait sa rentrée en scène fracassante pour répondre au désir bouillonnant de la jeune femme qu’il sait mener là où elle n’aurait jamais pu imaginer mettre les pieds. Dans le cas qui nous intéresse, c’est la salle de cinéma d’un sex shop avec son lot de vieux dégueulasses du quartier réunis dans ce lieu peu recommandable afin de mater du cul et de se branler, toujours dans l’espoir d’y croiser une femme assez débauchée pour fréquenter pareille compagnie. Et c’est précisément dans cet endroit sordide que Mathilde, rongée par un désir omnipuissant qu’elle est incapable de satisfaire – et ce n’est pas faute d’avoir essayé par tous les procédés « classiques » comme les soirées et les sites de rencontre – pénètre à la recherche de la seule personne qui lui ait laissé un sentiment de satiété au moins provisoire, la seule personne dont elle sait où elle peut la trouver, contrairement à l’Henri disparu dans la nature. Entrer dans un endroit hanté par une faune tout droit sortie de l’univers bukowskien avec les dispositions de Mathilde, c’est comme laisser tomber un mégot dans une forêt asséchée après trois mois de canicule, et l’inévitable se produit. Et il faut admirer le savoir-faire d’une autrice comme Thalia Devreaux qui non seulement exploite avec finesse le potentiel bandant d’une telle scène, mais qui en plus sait donner un caractère vraisemblable à tout ce qui s’y passe.
La scène du sex shop clôt le premier recueil, et il aura fallu attendre – au moins en ce qui concerne les lecteurs de l’époque – deux ans avant de connaître la suite des aventures de la jeune Mathilde. Le deuxième recueil – Les petites confidences de Mathilde – contient lui aussi quatre textes – Apéro dînatoire, En chaleur, L’appel du désir, Mariage – et il semblerait que ces quatre textes aient été conçus dès le départ comme un ensemble consacré à développer et à approfondir les liens entre les deux protagonistes que tout semble éloigner et qui pourtant se retrouvent régulièrement – et à une cadence beaucoup plus rapprochée que dans le volume précédent. Et Mathilde, consciente de ce qu’il ne s’agisse que « du cul » et de rien de romantique, le désir provisoirement endormi grâce aux multiples orgasmes que M. Berthelot sait lui procurer – formule de plus en plus souvent des réserves à propos de cette drôle de relation :
Je pense qu’il est temps que je mette de la distance entre nous. Son attitude dans ma chambre m’a déplu. Je n’ai pas apprécié le final, ni l’emprise qu’il a sur moi.[2]Thalia Devreaux, En chaleur. In : Les petits secrets de Mathilde
Ces réflexions ne l’empêchent pourtant pas de succomber à l’appel du désir – le titre de la troisième nouvelle du recueil qui aurait été parfait pour s’afficher au-dessus de l’histoire entière de Mathilde – et de se retrouver à nouveau dans la fameuse salle de cinéma du sex shop où elle a subi – à moins qu’il ne faille dire provoqué – une séance d’exhibition qui n’aura laissé personne sur sa faim. Cette deuxième scène, et je le dis en toute connaissance de cause, après avoir fréquenté de très près tout ce que l’érotisme francophone aura pu produire pendant cette dernière décennie, compte parmi les plus chaudes qu’il m’ait été donné de lire. Je vous laisse bien sûr le plaisir de la découvrir par vous-même, mais pas sans insister auparavant sur un élément des plus troublants. Pour la première fois, Mathilde se trouve en présence d’une femme – la moitié d’un couple venu assister au spectacle improvisé – et cette présence n’est pas sans laisser des impressions. Il ne se passe rien entre ces deux femmes, rien au moins qui puisse spécialement se remarquer à côté de la sexualité brute à laquelle l’endroit est consacré, mais on sent passer comme un fluide électrique entre la protagoniste et la spectatrice. Dans un premier temps, Mathilde s’explique la fascination de la rouquine par l’envie de celle-ci de se trouver à la place de Mathilde, d’oser ce qu’elle ose :
Elle passe le plus clair de son temps à observer mon visage plutôt que l’action. Ça lui plaît de me voir passive, gémissante, m’abandonner à ces délices. Elle tente de vivre ce que je ressens, elle veut voir l’effet que ça procure sur une personne qui le fait réellement… [3]Thalia Devreaux, À l’appel du désir.
Si ce sont bien les vieux qui prennent le rôle actif en se succédant dans la chatte de Mathilde, le principal se joue entre les deux femmes, et Mathilde connaît le rôle primordial qu’elle occupe dans la tentation de la rousse, une tentation près de se conclure par une initiation :
En fait, il faut que je continue de l’exciter, en ne jouissant pas tout de suite.
Le jeu des regards qui passent entre les deux femmes et des gestes que ceux-ci provoquent compose un ensemble aussi complexe et aussi sensuel qu’un jeu de cordes destiné à exacerber le désir, et c’est précisément ce qui se passe entre Mathilde et son admiratrice. Et le lecteur transformé en voyeur est pris dans les fils de cette rencontre insolite qui inonde la scène de sensualité sans qu’il se passe rien de physique entre les deux femmes. Cette scène est une pure œuvre d’art, le point culminant des textes qui composent l’histoire de Mathilde, digne d’entrer dans un recueil des meilleures scènes érotiques.
Après l’apogée de l’Appel du désir il reste encore un texte, et on aurait pu craindre que celui-ci ne pâtisse de la proximité d’un texte aussi fort. Mais, et c’est là sans doute un des secrets de l’autrice, Thalia Devreaux trouve le moyen de mettre le lecteur sous le double charme de sa narration et de sa protagoniste et de le captiver jusqu’à la fin qui, cette fois-ci encore, s’annonce définitive, au moins pour ce qui est de la relation avec M. Berthelot. L’intérêt de ce dernier texte du recueil réside, d’un côté, dans la charge érotique des événements suscités par le mariage de la sœur aînée de Mathilde, des événements qui amènent Mathilde à devoir finalement assumer ses choix devant d’autres personnes que les acteurs en grande partie anonyme de ses parties de jambes en l’air. Cette fois-ci, elle se fait piéger, nue et la bite de M. Berthelot enfoncée jusqu’à la garde dans son cul. Et, détail coquet, celui-ci jute au moment précis où les parents de Mathilde se rendent compte de ce qui est en train de se passer. Je ne sais pas si vous imaginez la situation, mais cela doit ressembler à un cauchemar devenu réalité. Il n’y a certes cette fois-ci pas de conséquence pénale à craindre, mais comment mesurer les préjudices pour les relations familiales ? Quoi qu’il en soit – et quoi que l’on puisse penser de la réaction des parents – Mathilde assume ses actes en choisissant de faire face. Et si elle insiste plusieurs fois sur le fait d’être adulte et de vivre une sexualité adulte, ce n’est pas tellement un rappel des faits qu’une revendication, une prise de conscience, une réalisation de la pleine signification de ses actes passés. Une prise de conscience qui signifie en même temps que M. Berthelot aura finalement joué son rôle et que, dépourvu de toute utilité future, il sera définitivement congédié :
… ce dont je suis certaine c’est que, dorénavant, il n’y aura plus rien entre nous. Si je ressens le désir sexuel, penser désormais à lui me coupe l’envie.[4]Thalia Devreaux, Le Mariage
Un dernier détail amusant pour la route, détail qui, sur un niveau tout à fait différent, est lui aussi une sorte de symbole du parcours de Mathilde. Au départ, celle-ci n’aime pas les fellations et encore moins la sodomie, jouissant uniquement par sa chatte. Si la fellation entre assez vite dans le répertoire de ses compétences, la virginité de son orifice interdit est une sorte de dernier rempart qui, malgré l’insistance des mâles, ne tombe qu’à l’occasion de la nuit de noce – et on oublie provisoirement qu’il s’agit de celle de sa sœur -, un peu comme si ses orifices – ou plutôt leur mise à disposition – étaient des étapes vers une sorte d’aboutissement, vers une sexualité vraiment épanouie ? La coïncidence de ce qu’il convient d’appeler sa dernière défloraison avec la découverte par les parents et tout ce qui en résulte me fait penser que c’est effectivement le cas et que tel est le rôle que l’autrice attribue ici aux orifices de la protagoniste. Un détail assez coquet pour que je le relève en le proposant à l’attention de mes lecteurs. Et c’est en laissant le dernier mot aux orifices de Mathilde que je remercie l’autrice pour ces quelques heures passées en si ravissante compagnie !
Les petites confidences de Mathilde
Auto-édition
ISBN : 1230003179185
Thalia Devreaux
Les petits secrets de Mathilde
Auto-édition
ASIN : B071YJW479