Pan­op­ti­kum – une expo pas comme les autres

Exposition « Panoptikum », Affiche (Frederick Sandys, Portrait de fille, « Lady Greensleeves »))

On connaît la for­mule des expos qui attirent les masses : Ras­sem­bler un maxi­mum de toiles d’un peintre (voire d’une « école ») auquel l’é­poque daigne confé­rer quelque noto­rié­té (fait assez facile à véri­fier, il suf­fit de rele­ver la par­tie plus ou moins éle­vée de leurs boni ou de leurs gains que les ban­quiers et les gérants de fonds spé­cu­la­tifs sont prêts à inves­tir dans les œuvres d’un tel), de pré­fé­rence dans des locaux pres­ti­gieux, le tout accom­pa­gné d’une offen­sive publi­ci­taire savam­ment orches­trée par des agences de mar­ke­ting, et voi­là les mou­tons qui se bas­culent pour avoir le droit de doci­le­ment se ran­ger en files inter­mi­nables. Bon, vous allez me dire que c’est tou­jours mieux que l’a­bat­toir, et qu’à la fin du par­cours, il y de beaux tableaux à admi­rer, et que cela est quand-même mieux que de se vau­trer sur un cana­pé devant la télé. Certes ! Et pour­tant, il y a un pro­blème. C’est qu’on n’y apprend pas com­ment regar­der, com­ment se fier à son regard. On sait d’emblée qu’on aura affaire à des maîtres, à des peintres recon­nus, et on se dis­pense de la peine de voir, de regar­der, d’é­tu­dier par le regard. De là, au moins en par­tie, les pro­blèmes d’ar­tistes contem­po­rains dont la répu­ta­tion n’est pas encore faite et qui en sont réduits à comp­ter sur les « hap­py few ».

Exposition « Panoptikum », Millet, Nu couché
Jean-Fran­çois Millet, Nu couché

C’est dans un tel contexte que se place l’i­ni­tia­tive du musée des Beaux-Arts de Cologne qui a eu la bonne idée de célé­brer son 150ème anni­ver­saire par une expo­si­tion pas comme les autres. Au lieu de faire para­der sous les yeux des masses éba­hies rien que les grands noms consa­crés par l’His­toire de l’Art, une petite équipe, diri­gée par Mme Lud­mi­la Piters, a han­té les cou­loirs des dépôts et en a fait sor­tir plu­sieurs cen­taines de toiles, dont une bonne par­tie n’a pas vu la lumière des salles publiques depuis des décennies.

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Rien de plus nor­mal pour­tant qu’une telle situa­tion, la plu­part des grands musées dis­po­sant de trop peu de salles pour y expo­ser en per­ma­nence tous les tableaux que les décen­nies leur ont fait échouer. Il faut donc faire un tri, et une bonne par­tie des toiles se trou­ve­ra exclue de l’hon­neur des cimaises pour des périodes plus ou moins pro­lon­gés, et ces hôtes inté­ri­maires entrent et sortent dans une obs­cu­ri­té où ils côtoient des tableaux dont les plaies sont jugées trop cho­quantes pour être éta­lées sous les yeux du public, des contre-façons et tous ceux qui ne répondent pas, ou plus, au goût de l’é­poque. Et c’est là que le dos­sier devient épi­neux, car il n’y a plus de Pétrone pour tran­cher d’une manière défi­ni­tive de telles ques­tions. Et si tout ça se passe sans sou­le­ver le moindre tol­lé, il faut sans doute en attri­buer le mérite au peu d’in­té­rêt que trouvent les col­lec­tions per­ma­nentes auprès de l’o­pi­nion publique. Et comme les dépôts ne sont pas libre­ment acces­sibles et que les réper­toires d’une col­lec­tion entière sont bien trop peu répan­dus, cette situa­tion n’est pas près de changer.

Exposition « Panoptikum » à Cologne, vue d'une salle
Un accro­chage qui rap­pelle les habi­tudes du XIXe : regard dans une salle d’exposition.

On entre donc dans les locaux pres­ti­gieux du musée Wall­raf, on des­cend au sous-sol, et on se trouve confron­té à un spec­tacle que l’ha­bi­tué des musées du XXIe siècle ne connaît plus. Les murs sont cou­verts par des ran­gées de  tableaux, les for­mats pul­lulent, et des retables du 15e siècle côtoient une Marine des Pays-Bas, son cadet de plus de deux siècles, Alexandre le Grand se pro­mène devant le ton­neau de Dio­gène sous les yeux incré­dules de quelque cour­ti­san de la cour du Grand Louis tan­dis que les fruits légè­re­ment trop mûrs d’une nature morte captent les rayons qui se dégagent d’une baie dont les eaux scin­tillent sous le soleil du Midi.

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On conçoit faci­le­ment le désar­roi du visi­teur, expo­sé lui-même à un chaos de cou­leurs et de styles où sombre le regard et où il devient impos­sible de se repé­rer voire de clas­ser. Mais on se rend compte à quel point les tableaux com­mu­niquent et dans quelle mesure une toile peut débor­der de son cadre pour empié­ter sur ses voi­sines. J’ai dû par­tir au bout de deux heures, trop fati­gué pour conti­nuer ce voyage sans but à tra­vers des myriades de nou­velles impres­sions. Mais pas sans me pro­mettre de reve­nir pour pro­fi­ter de ces res­ca­pés des dépôts, pour enri­chir mes regards et pour les trem­per dans un bain qui res­semble assez à une fon­taine de jouvence.

« Pan­op­ti­kum ». Les tré­sors cachés du Wal­raff, du 21 octobre 2011 au 22 jan­vier 2012.

La Sirène de Montpeller