Avec Le temps des cerises, Thierry Calmettes a écrit – on peut le révéler dès le début sans rien ôter au plaisir de la découverte – un des textes les plus accrocheurs de cette édition 2018 des Lectures estivales. Une telle affirmation, évidemment, n’engage que moi, mais je vais essayer, dans les lignes qui suivent, de communiquer à mes lecteurs l’engouement que j’ai ressenti pour ce texte dès les premières lignes. À vous de voir ensuite !
Le point de départ de l’intrigue, c’est la rencontre de deux cyclotouristes sur la route de Rocamadour, une rencontre qui donne lieu à des randonnées touristiques à travers le Quercy et le Périgord, riches en révélations et en découvertes – parfois très érotiques. Le principal se joue en très petit comité, entre deux protagonistes. D’un côté, un homme – Rémi – quadra, journaliste confirmé, de retour sur les routes de son pays natal pour y puiser de nouvelles forces, dans un besoin de changement plutôt confusément ressenti que clairement réalisé. De l’autre, une femme au prénom peu ordinaire – Cerise – partie à l’aventure – et même quelque peu à l’improviste – pour fuir une relation ankylosée où la joie et les découvertes sexuelles sont aux abonnés absents. Pas vraiment une situation que l’on tient à vivre à vingt-six ans. Le hasard – sous la forme d’une fuite – préside à leur rencontre, leurs routes se croisent, les sens – et les esprits – s’embrasent, et les deux protagonistes se retrouvent, au fur et à mesure des heures et des jours qui passent, dans une situation qu’ils hésitent de clairement qualifier, contents, pour l’instant, de libérer les énergies sexuelles accumulées par une proximité de tous les instants au milieu d’une nature exubérante et de profiter de leurs corps dans l’extase magique des premiers instants, riches de toutes les découvertes qu’il leur reste à faire.
À ces deux protagonistes s’ajoutent deux personnages de second plan, pour rendre l’intrigue moins linéaire, pour permettre à l’auteur d’ajouter un peu de suspens, de tisser, autour de Rémi et de Cerise, un enchevêtrement passionnel potentiellement fatal à l’histoire en train de se construire entre les protagonistes : D’abord, il y a Carole, la maîtresse de Rémi, une collègue, la quarantaine, empêtrée dans une de ces situations qui sont le point de départ de tant de récits : mariée, des enfants, un mari dont on s’accommode, qu’on ne déteste certes pas, mais si loin en-deçà de tout ce que l’on pouvait imaginer au seuil de la vie d’adulte ô combien responsable. Et pour échapper au constat amer, pour éviter de tirer les conséquences fâcheuses – et douloureuses – on se lance dans de petites aventures sans lendemain, jusqu’au jour où on tombe sur la mauvaise – ou la bonne, c’est selon – personne, celle qui, de par son attraction, sort du cadre prédéterminé et impose les interrogations auxquelles on croyait pouvoir se soustraire. Dans le cas de Carole, cette personne, c’est bien Rémi qui, simple affaire de cul au départ, est devenu, au fil des années, bien plus que cela sans que Carole ait eu le courage de l’admettre et de se rendre compte de la réalité de ses sentiments.
Et puis, il y a Marjolaine, l’amie de Carole vers laquelle celle-ci se tourne dans sa détresse, après avoir découvert que son amant, censé être seul sur les routes du Périgord, venait de rencontrer quelqu’un – et que ce quelqu’un pouvait très bien mettre un terme à une relation dont elle venait de réaliser, confrontée à la peur d’être supplantée par une rivale, toute la signification. Marjolaine donc, la businesss woman qui, malgré un côté initialement un peu trop cliché, finit par se doter, sous la plume toute en finesse de Thierry Calmettes, d’une véritable personnalité et qui, de par sa timide passion pour son amie et à travers ses auto-interrogations dignes d’une lycéenne en train de faire les premiers pas de sa vie sentimentale, réussit à captiver les lecteurs qui se demandent, comme dans les comédies romantiques à la sauce Disney, si la princesse charmante finira bien par conquérir sa dulcinée.

Tandis que des confrontations se préparent donc à Paris, les deux amants continuent leur périple périgourdin et parcourent le pays pour visiter ses haut-lieux touristiques comme la ville de Rocamadour, le gouffre de Padirac ou les jardins de Marqueyssac, des endroits dont la beauté fournit un écran idéal à l’amour naissant du couple et dont le charme titille les sens des amants jusqu’à les faire céder – avec une violence parfois surprenante que la jeunesse vigoureuse de Cerise communique sans doute à son amant – aux désirs que mutuellement ils s’inspirent. Et quoi de plus naturel que de vouloir se rapprocher l’un de l’autre au point de défier la pudeur en abolissant les obstacles entre les corps, d’accueillir les regards comme des caresses, de se mettre en valeur afin de mieux séduire en exhibant des chairs gonflées de sang et de volupté ?
Parce que, vous l’aurez compris, Le temps des cerises, ce n’est pas qu’un guide de voyage sous forme de récit, mais c’est surtout un texte érotique où des dizaines de pages sont consacrées aux galipettes et aux découvertes sensuelles, et tandis que Cerise se fait enfiler en accueillant la grosse queue de son amant par des cris qu’elle fait retentir entre les murs des vieux bâtisses en ruine ou au fond d’un chemin terreux, Rémi se fait traire par la bouche avide de son amante avant de lui remplir le ventre de sa généreuse semence. Vous me direz peut-être que cette ambiance porno colle mal avec les beaux sentiments qu’on voit éclore entre les protagonistes, mais je me permets de persister. L’amour, c’est aussi ce côté transgressif qui ne se soucie aucunement des convenances et dont le premier commandement est de céder au désir chaque fois qu’il frappe à la porte. Et Thierry Calmettes sait comment transformer en paroles le magnétisme irrésistible des corps, le charme de la nudité, de l’exhibition, des mains qui branlent une bite ou des doigts qui glissent au fond d’un vagin grand ouvert et bien huilé.

Mais il n’y a pas que ça dans Le temps des cerises, et une grande partie de son charme s’explique sans aucun doute par le dosage savant proposé par l’auteur qui a réussi le pari d’y introduire des passages que les offices de tourisme du Périgord seraient fiers de reprendre à leur compte, des passages qui donnent la meilleure idée de la passion de l’auteur pour cette région qu’il a choisie comme le théâtre des passions autrement plus pittoresques de Rémi et de Cerise. Un conseil : Si vous ne connaissez pas encore le Périgord, voici l’occasion de le découvrir sous un angle peu habituel, et de vous laisser enchanter par les récits de Rémi, que ce soit en découvrant la légende de Durandal, l’épée de Roland plantée dans le rocher du sanctuaire, ou en suivant les regards de Cerise qui embrassent le panorama de Rocamadour brillant de toutes ses lumières au fond d’une nuit d’été. Et si, comme votre serviteur, vous avez eu le bonheur d’y avoir déjà séjourné, vous serez ravi de redécouvrir les lieux à travers les mots aussi précis qu’enchanteurs d’un journaliste qui décidément n’a pas raté son métier. Je ne sais pas si les photos que j’ai choisies pour accompagner cet article (prises par votre serviteur à l’occasion de sa dernière incursion dans les terres périgourdines en mai 2017) le révèlent assez, mais je reste bouche-bée devant la pertinence du choix des endroits qu’il fait visiter à ses protagonistes. L’épée plantée dans la roche ? Difficile de faire mieux pour donner une métaphore de la pénétration. Le gouffre de Padirac ? Un trou énorme aux murs humides en permanence dans lequel on pénètre comme dans un vagin béant pour retourner aux origines des profondeurs… Franchement, chapeau !
Tandis que Rémi et Cerise continuent donc leur bonhomme de chemin de découverte en découverte, Carole, finalement consciente de ce qu’elle éprouve face à Rémi, se tourne vers son amie pour trouver conseil et décide de se mettre en route pour confronter l’amant en train de lui échapper. Pas toutefois sans auparavant céder – dans un besoin de se libérer, ne fût-ce que le temps d’une courte nuit d’été, de sa douleur – aux charmes de la belle lesbienne. Ce qui fournit à l’auteur l’occasion d’une belle scène d’amour au féminin et à Marjolaine, celle de se laisser bercer par de douces illusions. Remarque en passant : Il est intéressant de voir la différence dans le traitement des sexualités des femmes avec, d’un côté, les quadras – Carole et Marjolaine – et, de l’autre, la jeune Cerise. Si celle-ci est dans le tout spontané, le passionnel de l’instant, l’offrande sans retenue de son corps et de sa passion, libre de toute remise en question, les deux autres, lestées de leurs expériences et de leurs choix de vie, se donnent avec beaucoup plus de retenue, méfiantes envers les issues possibles et les douleurs qu’elles ne connaissent que trop bien pour les avoir vécues. Thierry Calmettes excelle d’ailleurs à rendre le ressenti de ses personnages, leurs états d’âme, leurs inquiétudes, le vide qui se creuse sous le poids des catastrophes, les peurs et les joies qui les font vibrer, et j’ai rarement lu une description aussi poignante du désespoir amoureux que celui de Carole face à l’autre, l’inconnue, ce quelqu’un que son amant vient de croiser, loin d’elle. Voici un de ces passages rendus encore plus insupportables par la totale désillusion qui s’est emparée de Carole face à une vie qui débouche sur le néant, un constat lucide qui n’a pas besoin de grands mots ou de cris déchirants pour être efficace :
de ces deux amants [i.e. Rémi et Carole] Carole était sans doute la plus lucide, celle sur qui l’esprit n’avait pas un réel pouvoir d’illusion. Elle réalisait parfaitement que le seul rêve était ce qu’il se passait depuis hier au soir, le rêve d’un bonheur qu’elle ne toucherait jamais que du bout des doigts. Avec ou sans le retour de Cerise, Rémi ne serait jamais à elle. S’étant faite à cette idée, plus rien d’autre n’avait d’importance pour elle que de profiter pleinement de ce que l’instant présent voulait bien lui offrir : l’illusion d’une vie qu’elle aurait tant souhaité avoir. [1]Calmettes, Thierry. Le temps des cerises, emplacements 6670–6675
La très belle impression laissée par le texte est malheureusement ternie par quelques défauts qui font trébucher le lecteur sur bien trop de pages. Les procédés de la narration sont parfois malhabiles, l’auteur choisissant par exemple de confier l’intrigue à un narrateur omniscient qui s’adresse de sa perspective hautaine à nous-autres pauvres lecteurs, au lieu de faire confiance aux personnages bien plus à même d’exprimer leurs états d’âme, procédé bien plus adéquat – et selon votre serviteur bien plus efficace aussi – quand il s’agit admettre le lecteur dans l’intimité du récit. Et d’autant mieux adapté à un texte où il s’agit de parler de sentiments.
On y trouve aussi des faiblesses grammaticales qu’on a du mal à s’expliquer, compte tenu de l’élégance d’une écriture en général fluide et agréable à suivre. Cela concerne surtout les accords du participe passé, au point qu’on finit par croire à une sorte de généralisation. À de telles faiblesses qui font parfois grincer des dents s’ajoute un tic que beaucoup d’auteurs ne connaissent que trop bien, à savoir la répétition à tout bout de champ d’un vocable qui finit par embêter le lecteur. Dans le cas de Thierry Calmettes, c’est le mot « diabolique » qui, à mon goût, revient un peu trop souvent, que ce soit la « lenteur diabolique [2]Calmettes, Thierry, Le temps des cerises, emplacements 1622–1623 avec laquelle Cerise avale le membre de son amant ou encore celle de la « langue de Marjolaine [qui] glissa sur son clitoris [i.e. celui de Carole] avec une lenteur diabolique » [3]Calmettes, Thierry, Le temps des cerises, emplacements 4202–4203, pour ne citer que deux occurrences. À part cela, on y trouve les fautes qu’il faut malheureusement qualifier « d’usage » dans un grand nombre de textes auto-édités, des fautes que de multiples relectures attentives aideraient à éviter. Mais je sais évidemment que, privés des soutiens dont disposent les auteurs des grandes maisons, une telle approche est facile à conseiller et bien plus difficile à mettre en pratique. Quant à moi, je préfère pouvoir lire ces textes peut-être imparfaits d’un point de vue de « fabrique » plutôt que d’en être réduit à avaler ce que me proposent les éditeurs établis – qui, en plus, sont loin d’être exemplaires en ce qui concerne la qualité linguistique de leurs productions.
Il y a aussi du côté de la dramaturgie du récit un point qui me semble moins réussi : Dans le passé de Rémi se cache un événement dramatique qui, telle une baleine blanche, surgit de temps en temps entre les vagues, quelque chose d’obscur et de violent qui expliquerait le fait que Rérmi navigue seul dans les eaux de sa vie. Seulement que, quand cet événement aussi obscur que tragique est enfin révélé, cela se fait presque en passant, et la tension construite avec une telle application se dégonfle jusqu’à disparaître – ce qui ne rend pas vraiment justice à ce qui s’est passé. Thierry Calmettes est pourtant un narrateur pas dénué de moyens et même de finesse, la preuve en étant amplement fournie par le chapitre XXI qui lui donne l’occasion de replacer les personnages dans un nouveau contexte après l’issue dramatique des rencontres ayant donné un coup d’arrêt brutal à la magie des vacances, rencontre violente qui s’est soldée par la dissolution au moins provisoire des liens existants. On se fait une idée de son savoir-faire rien qu’en consultant le court passage remarquable où le souvenir de Cerise se glisse dans la tête de Rémi, en train de s’envoyer en l’air avec Carole, belle femme et amante accomplie, dont la seule présence devrait dissuader de toutes les digressions imaginables. Et pourtant :
« Rémi entendit une autre voix, une autre phrase, un cri du cœur : « I love it ! » résonna dans sa tête, tour de passe-passe spectaculaire dont est capable l’esprit humain, une illusion dans l’illusion, l’illusion que tout avait repris comme avant, comme si tout ce qui s’était passé entre temps n’avait pas réellement existé, comme si cela n’avait été qu’un mauvais rêve commençant à se dissiper. » [4]Calmettes, Thierry, Le temps des cerises, emplacements 6661–6664
Passage dense et troublant qui illustre la complexité des personnages et en même temps des relations humaines qui bien souvent ne suivent pas les sages conseils de la morale, font fi des convenances et évoluent par sursauts et par revirements.
Vous le savez depuis le temps que j’ai l’habitude de fréquenter les rayons obscurs de l’auto-édition, ce qui m’a déjà plusieurs fois fourni l’occasion de vous présenter de beaux textes qui méritent mieux que de passer leur existence dans les eaux stagnantes et souterraines de chez Kindle et ailleurs. Et Le temps des cerises est sans aucun doute un de ces joyaux rares que je suis heureux d’y avoir trouvé afin de le présenter à mes lecteurs, dans l’espoir de vous voir délier les cordons de vos bourses afin de suivre les aventures de Rémi et de Cerise et de vous enivrer d’une histoire marquée par uns sensualité aussi décomplexée que sauvage.
Thierry Calmettes
Le temps des cerises
Auto-édition
ASIN : B00KKUKIJS
Références