J’ai eu l’occasion de parler, il n’y a pas très longtemps, des Coquines en vacances, un recueil de quatre textes signés Thalia Devreaux. Si j’ai apprécié ces textes-là et sa façon de traiter l’érotisme – au point de parler de la même autrice quelques jours plus tard ! – j’ai eu quelques réserves à propos de ce que le titre promettait aux lecteurs, à savoir le rôle des vacances :
La notion de vacances qui, après tout, est censée fournir le lien principal entre les récits, est ici tout ce qu’il y a de plus superficiel.
Peu après, j’ai eu le bonheur de voir l’autrice répondre à mon article par un tweet dans lequel elle annonçait un recueil aux notes plus estivales :

Je ne sais pas si le texte dont je m’apprête à vous parler (qui, déjà, n’est pas un recueil) est celui annoncé par l’autrice, toujours est-il que la belle saison y joue un rôle de premier plan, dans la mesure où ce sont justement les vacances d’été qui, pendant plusieurs années, permettent aux protagonistes de se rapprocher par des gestes intimes qui finiront par changer la conception que celles-ci se font de leurs sexualités respectives.
On a déjà vu que Thalia s’est créé toute une ménagerie de coquines, un vivier où elle puise les héroïnes de ses récits qu’elle met face à des défis et à des aventures dans lesquels celles-ci mûrissent et où leurs vies acquièrent une consistance rendue d’autant plus « palpable » que celle-ci est soutenue par des récits d’autres personnages où n’importe laquelle de ces coquines peut s’inviter dans un caméo qui fournit aux lecteurs le plaisir de retrouver une vieille connaissance et de pouvoir en même temps plonger dans un univers à la profondeur inattendue.
Dans Souvenirs d’été, c’est au tour de Lucie et de Zoé de sortir des Limbes afin de recevoir, des mains de l’autrice, un passé qui s’est annoncé peu banal dans le dernier récit en date où ces deux-là sont passées à l’acte :
« nous sommes devenues beaucoup plus intime pendant l’adolescence. »[1]Thalia Devreaux, Déchaînées. In : Histoires de coquines 2
Est-ce qu’on aurait tort de comprendre Souvenirs d’été comme une élaboration sur cette petite phrase prononcée comme en passant par la narratrice (Julie, en l’occurrence) ?
Vu la nature des relations qui ne tarderont pas à se tisser entre les deux protagonistes à travers la suite d’étés qu’elles seront appelées à vivre ensemble, on a comme l’impression que l’autrice s’est sans doute lancé un défi à elle-même et qu’elle a tenu à se montrer à la hauteur d’une telle proposition en fournissant à Zoé et à Lucie une histoire riche en points culminants que le lecteur n’est pas près d’oublier.
Comme dans Déchaînées, c’est encore une fois Lucie qui est chargée du rôle de narratrice, et celle-ci profite de quelques instants de calme après la tempête des sens pour nous embarquer avec elle dans le récit de ces « beaux étés » de découverte, un voyage ayant débuté « à l’aube de [ses] quinze printemps »[2]Souvenirs d’été, chap. Découverte des sens. On remarquera au passage que cela la place en-deçà de la majorité sexuelle, une limite plus ou moins aléatoire et tout à fait immatérielle qui, si elle n’a jamais empêché les adolescents de tout âge et de tout sexe de passer à l’acte, ne manquerait pas de lever la meute des censeurs toujours prête à fondre sur toute personne assez inconsciente pour se permettre le moindre écart de ce que ces cerbères perçoivent comme le seul chemin droit. Chapeaux bas donc pour une autrice qui ne se laisse pas si facilement détourner de son but qui consiste à cerner l’éveil d’une sexualité dans des conditions assurément peu communes.
Lucie et Zoé vont passer leurs vacances chez la tante de Zoé (qui d’ailleurs partage avec la narratrice le prénom), dans sa maison normande où les deux adolescentes trouveront, au cœur d’une nature foisonnante, un jardin aussi clos que secret qui leur permettra de rassembler, dans une proximité de tous les jours facilitée par la solitude d’une campagne très peu hantée par les touristes, le courage de tenter des gestes qui n’auraient pas trouvé leur place dans un quotidien régi par les convenances d’une famille toute comme il faut. Et ces gestes-là sont, dès le premier été, la preuve d’un courage d’autant plus grand que les deux filles doivent se battre contre leurs propres idées reçues et préjugés, comme celui que la narratrice « [aurait] pu avoir pour cet acte entre filles. », l’acte consistant ici à se faire lécher jusqu’à l’orgasme et de rendre ensuite la pareille à son amie.
L’autrice a d’ailleurs pris soin de placer cet « acte » dans une ambiance assez particulière, dans une scène qui est un beau témoignage de la qualité à laquelle cette autrice peut atteindre. Il s’agit de la dernière nuit des vacances, les deux ados sont tristes de devoir quitter leur paradis et préfèrent s’endormir pour échapper à la perspective de retrouver la grisaille du quotidien quand c’est l’orage qui éclate, un orage qui non seulement les réveille, mais qui en plus les électrise et leur fournit un prétexte pour se rapprocher. Et c’est quand le calme semble sur le point de s’installer qu’on se rend compte que la véritable tempête est près d’éclater entre ces quatre murs où les sentiments exacerbés prendront la relève des éléments déchaînés :
L’orage avait beau continuer dans d’autres contrées, les éclairs se trouvaient désormais dans ses yeux. J’allais subir sa foudre si je continuais ainsi…[3]Thalia Devreaux, Souvenirs d’été, chap. L’orage
La fin des vacances annonce pourtant en même temps la fin des intimités, et les deux filles, si elles resteront amies, se retiendront de revenir sur leurs premières expériences en concluant une sorte de pacte :
Et ce qui s’était passé chez tante Lucie, devait ne plus être évoqué et rester dans cette maison.
Bref, pour le dire dans les mots d’une autre langue : « What happens in Vegas, stays in Vegas. »
Ce n’est qu’avec les prochaines vacances que les deux amies retrouveront leur intimité normande, en même temps que le courage de se rapprocher de façon intime. Et si c’est la nature qui leur fournit le cadre parfait pour ces rapprochements, c’est dans le même écrin de verdure qu’elles tomberont, à l’improviste, sur un troisième acteur, un jeune garçon que nos deux joyeuses commères prendront un malin plaisir à déniaiser.
Les étés se suivent, les gestes deviennent plus résolus et plus évidents, et la force de l’attraction devient telle que l’évidence s’impose : les deux jeunes filles devenues femmes sont passées du statut d’amies intimes à celui d’amantes :
Notre amitié prenait un tournant. Caresser et pénétrer l’intimité de l’autre […] pouvait rester dans la sphère d’une amitié des plus intimes. Mais lécher le sexe de l’autre, nous plaçait désormais au postulat d’amantes.[4]Souvenirs d’été, chap. Le Loup dans la bergerie
Il y a, à côté de la relation intime qu’on voit se développer entre les deux protagonistes, d’autres combats qui se mènent en parallèle, comme celui des deux adolescentes pour s’extirper d’un quotidien envahissant afin de faire le point sur leurs sentiments et l’état de leur relation, ou encore le récit du double dépucelage de Lucie et de Zoé aux mains de Victor, le (très) jeune homme croisé un beau jour dans les ruines dont les deux grâces ont fait un des haut-lieux de leurs initiations. Et il y a la tante qui, malgré la sexualité libérée que la narratrice lui prête, reste drôlement aux marges de ce qui se passe sous son toit. Et je ne cache même pas l’envie que j’ai pu ressentir de la voir prendre un rôle plus actif. Encore que je fais confiance à l’autrice de se rendre compte du potentiel d’un tel personnage et de s’en servir dans un récit futur.
Comme vous avez pu vous en rendre compte au fur et à mesure des paragraphes, j’ai énormément apprécié l’histoire de l’éveil de Zoé et de Lucie. L’autrice a su rendre justice à leurs pulsions, avec leur fraîcheur et leur force intempestive qui, insensiblement et irrésistiblement, charrie les deux adolescentes vers les rivages de l’âge adulte où elles seront contraintes d’évoluer entre la force abrasive et anesthésiante de l’habitude et les possibilités d’un monde adulte dont il faut sans cesse tester les limites afin de les repousser toujours plus loin. Le texte, s’il n’a pas tout à fait la force de la perversité luxuriante et sans limite de ceux consacrés à Mathilde, constitue sans aucun doute un des plus beaux passages de mes Lectures estivales depuis le début de celles-ci il y a sept ans. Une belle leçon à propos de la force du désir qui sommeille et qui n’attend que l’occasion de se réveiller afin de prendre les rênes de nos vies et de nos passions.
Thalia Devreaux
Souvenirs d’été
Kobo
ISBN : 1230004094463