Ten­ta­tion

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Je suis fier de pou­voir aujourd’­hui vous pré­sen­ter un nou­vel en-tête dont l’ins­pi­ra­tion m’est venu au cours de mon périple bour­gui­gnon, un voyage qui, en plein automne, m’a conduit de Dijon à Châ­tillon-sur-Seine, en pas­sant par Beaune, Autun, Aval­lon et Semur-en-Auxois. Qui­conque connaît un tant soit peu les goûts de la Bête des forêts teu­tonnes n’au­ra pas de peine à devi­ner les rai­sons qui m’ont conduit dans cette belle région, à savoir le Vin, l’His­toire et l’Art… Et bien non, même si je risque de faire des déçus, le Cul, pour une fois, n’y est pour rien[1]Mais bon, une fois n’est pas cou­tume, n’est-ce pas… ! Quoi qu’il en soit, la Bour­gogne étant célèbre pour ses richesses dans les domaines en ques­tion, on se demande plu­tôt pour­quoi il m’a fal­lu un demi-siècle pour enfin fran­chir ses fron­tières afin de me pro­me­ner sur les traces des Grands-Ducs d’Oc­ci­dent – un titre qui à lui seul sent si bon les fastes et les com­bats épiques dignes de la plume d’un Tol­kien tel­le­ment épris des hommes de l’Ouest :

This day we fight ! By all that you hold dear on this good earth, I bid you stand, Men of the West ! [2]C’est avec ces mots qu’A­ra­gorn, dans le der­nier film de la tri­lo­gie du Sei­gneur des anneaux, s’a­dresse à ses guer­riers avant la bataille immi­nente du Moran­non, bataille qui oppose ses forces à … Conti­nue rea­ding

Et puis, il y a l’Art, inti­me­ment lié à l’His­toire et tel­le­ment pré­sent dans ces contrées qu’il semble y avoir élu domi­cile, l’Art qui salue le voya­geur du haut des tym­pans des cathé­drales, l’Art qui fige l’é­ter­ni­té dans des tom­beaux où le sublime se conjugue à l’é­chelle humaine, l’Art qui évoque l’au-delà avec la rare force des Rogier van der Wey­den et des Jan van Eyck, appe­lés par les grands ducs pour parer cette nou­velle Terre du Milieu[3]On pense moins ici à celle de Tol­kien, mais plu­tôt à l’an­cienne Lotha­rin­gie, royaume issu du par­tage de l’Em­pire de Char­le­magne entre ses petits-fils Charles (le Chauve), héri­tier de la par­tie … Conti­nue rea­ding d’un décor à la hau­teur de leurs aspirations.

Le tympan de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun (détail)
Le tym­pan de la cathé­drale Saint-Lazare d’Au­tun (détail). Cré­dits pho­to­gra­phiques : Daniel Joli­vet, licence CC BY 2.0.

Mais les fastes des ducs ne furent qu’un des apo­gées d’une his­toire extra­or­di­nai­re­ment riche, et d’autres ont lais­sé leurs traces avant et après eux. Cela, je le savais évi­dem­ment, confu­sé­ment, mais ce n’est qu’aux pieds du Mor­van, à l’ombre des murs de la cathé­drale d’Au­tun, que j’en ai eu la confir­ma­tion par une révé­la­tion qui ne fut rien de moins qu’un choc. Celui qu’on res­sent face à une beau­té à vous cou­per le souffle, celle qui, loin de pou­voir cal­me­ment s’ap­pré­cier ou se dis­cu­ter, se révèle dans tout l’é­clat d’une nudi­té aus­si sobre qu’éclatante.

Il s’a­git d’un bas-relief pla­cé à l’o­ri­gine au-des­sus d’un por­tail laté­ral de la cathé­drale Saint-Lazare, celui du tran­sept, par où entraient les pèle­rins avant de plon­ger dans les ténèbres en s’en­fon­çant dans le cou­loir qui allait les conduire sous le tom­beau de Saint Lazare[4]Pour une recons­truc­tion de cet ensemble aus­si rare qu’im­pres­sion­nant, une visite au Muśee Rolin s’im­pose.. Et c’est en contem­plant cette mise en scène qu’on com­prend à quel point nos aïeux ont eu le sens du raf­fi­ne­ment dra­ma­tique : au-des­sus du por­tail en ques­tion se vau­trait – dans toute la splen­deur de sa chair inso­lem­ment révé­lée – le modèle même de toutes les ten­ta­tions, Ève, dans une pos­ture qui tra­duit la non­cha­lance et l’en­nui sen­suel de celle qui passe les siècles à regar­der les foules s’en­gouf­frer dans le noir.

Gislebertus, La Tentation d'Ève
Gis­le­ber­tus, La Ten­ta­tion d’Ève, par­tie du décor du lin­teau du por­tail du tran­sept de la cathé­drale Saint-Lazare.

Comme de si nom­breux monu­ments, le chef d’œuvre de Gis­le­ber­tus[5]C’est le moment de rebrous­ser che­min pour contem­pler la pre­mière illus­tra­tion, celle du tym­pan de Saint-Lazare, où vous trou­ve­rez, aux pieds du Sau­veur, l’ins­crip­tion qui nomme l’au­teur de cette … Conti­nue rea­ding a pâti de la bêtise des hommes. Mais, contrai­re­ment à la plu­part des monu­ments en ques­tions, ce ne sont pas les farouches pro­ta­go­nistes de la période révo­lu­tion­naire qui ont sévi, mais bien ceux-là même char­gés de veiller sur l’é­glise et son héri­tage : Le décor du por­tail fut démon­té en 1766 suite à une déci­sion des cha­noines, et ses par­ties furent détruites ou ven­dues et réuti­li­sées – c’est au moins le cas de notre Ève qui aura donc sur­vé­cu aux révoltes et aux guerres emmu­rée dans quelque mai­son bour­geoise, par­ta­geant le sort de mainte pierre tom­bale de nos ancêtres les (Gallo-)Romains.

Quoi qu’il en soit de la bêtise des hommes, la ren­contre inopi­née avec ce mor­ceau de bra­voure médié­val – qui, de par la réduc­tion à l’ex­trême de ses formes et la svel­tesse de ses lignes, se moque des siècles à venir, saute tout droit au XXème pour y faire le pied de nez aux expres­sion­nistes dont, vieille de huit cents ans, elle pré­fi­gure les audaces avec une naï­ve­té à toute épreuve – m’a non seule­ment lais­sé un sou­ve­nir indé­lé­bile, mais m’a presque aus­si­tôt ins­pi­ré l’i­dée de pro­fi­ter du sujet pour enri­chir le décor de ma propre demeure numé­rique. Et voi­ci l’in­ter­pré­ta­tion qu’a don­né du sujet un de mes artistes atti­trés, à savoir le des­si­na­teur cata­lan Josep Giró :

Josep Giró, Ève
Josep Giró, La Ten­ta­tion d’Ève

Artiste doté d’une grande créa­ti­vi­té, il va de soi que Josep ne s’est pas conten­té de bête­ment repro­duire les lignes du modèle, mais qu’il a tenu à y appor­ter la richesse de son ima­gi­na­tion – une force brute dont vous trou­ve­rez d’ailleurs un grand nombre d’exemples en par­cou­rant les pages de la Bauge (artis­tique et) lit­té­raire. S’il a gar­dé la posi­tion des jambes et du bras droit – celle-ci néces­saire pour rendre la posi­tion de la tête lan­guis­sam­ment posée sur la main droite – celle de gauche n’est plus ten­due en arrière pour cueillir la pomme, mais se dirige en direc­tion du spec­ta­teur, se rap­pro­chant au pas­sage de ces autres globes dont la ron­deur fait écho à celle du fruit. Et on com­prend que, si Adam a aus­si obli­geam­ment accep­té la pomme, c’é­tait sans doute dans l’es­poir de cro­quer la chair autre­ment plus soyeuse que sa com­pagne s’a­char­nait à lui mettre sous le nez à chaque heure de la journée.

Et voi­ci donc que mon aven­ture bour­gui­gnonne, après avoir tra­ver­sé l’es­pace et le temps, se ter­mine par un clin d’œil à un des artistes les plus fas­ci­nants du XIXe siècle, à savoir Féli­cien Rops qui, avec sa Ven­deuse de pommes, a su tirer des effets aus­si crus que raf­fi­nés du rap­pro­che­ment biblique entre les fruits de Pomone et l’at­tri­but le plus pro(é)minent des femmes.

Félicien Rops, Des pommes à vendre
Féli­cien Rops, Des pommes à vendre

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Mais bon, une fois n’est pas cou­tume, n’est-ce pas…
2 C’est avec ces mots qu’A­ra­gorn, dans le der­nier film de la tri­lo­gie du Sei­gneur des anneaux, s’a­dresse à ses guer­riers avant la bataille immi­nente du Moran­non, bataille qui oppose ses forces à celles de Sau­ron ras­sem­blées der­rière la Porte Noire.
3 On pense moins ici à celle de Tol­kien, mais plu­tôt à l’an­cienne Lotha­rin­gie, royaume issu du par­tage de l’Em­pire de Char­le­magne entre ses petits-fils Charles (le Chauve), héri­tier de la par­tie occi­den­tale, Louis (le Ger­ma­nique), roi des par­ties orien­tales, et Lothaire, l’aî­né, qui reçut la la Fran­cie médiane en même temps que la digni­té impériale.
4 Pour une recons­truc­tion de cet ensemble aus­si rare qu’im­pres­sion­nant, une visite au Muśee Rolin s’impose.
5 C’est le moment de rebrous­ser che­min pour contem­pler la pre­mière illus­tra­tion, celle du tym­pan de Saint-Lazare, où vous trou­ve­rez, aux pieds du Sau­veur, l’ins­crip­tion qui nomme l’au­teur de cette mer­veille : « Gis­le­ber­tus hoc fecit ». Pour une illus­tra­tion en haute réso­lu­tion, pas­sez sur le site consa­cré à l’Art et l’His­toire d’Au­tun.
La Sirène de Montpeller