En-tête de la Bauge littéraire

Sau­ve­gar­der l’U­nion Européenne

Le drapeau du mouvement fédéraliste européen
Le dra­peau du mou­ve­ment fédé­ra­liste européen

La Bauge lit­té­raire est un pro­jet qui ne peut s’ex­pli­quer sans prendre en compte l’hé­ri­tage euro­péen de son fon­da­teur. Né en Alle­magne à peine dix-neuf ans après la fin du conflit le plus meur­trier de l’his­toire, j’ai pu gran­dir sans connaître la guerre, une faveur qui n’a pas été accor­dée aux géné­ra­tions pré­cé­dentes. Tan­dis que celles-ci ont vu s’embraser le conti­nent presque en per­ma­nence, j’ai non seule­ment pro­fi­té d’une période de paix pro­lon­gée, mais j’ai pu libre­ment voya­ger, au moins dans les pays  de ce côté-ci du rideau de fer, j’ai pu croi­ser des jeunes de ma géné­ra­tion, j’ai pu échan­ger et j’ai ain­si pu ajou­ter une dimen­sion per­son­nelle à ce que ma sco­la­ri­té et mes études m’a­vaient fait entre­voir : la réa­li­té d’un héri­tage com­mun et uni­ver­sel, héri­tage qui très vite appa­raît sous les par­ti­cu­la­ri­tés et les for­ma­tages natio­naux. J’ap­par­tiens donc à la pre­mière géné­ra­tion qui a eu les moyens de plei­ne­ment réa­li­ser sa voca­tion euro­péenne et cos­mo­po­lite, une expé­rience pen­dant bien trop long­temps réser­vée aux élites cultu­relles et com­mer­ciales. Tout ça a été ren­du pos­sible par le pro­jet euro­péen tel qu’il s’est peu à peu concré­ti­sé sous forme d’une col­la­bo­ra­tion tou­jours plus rap­pro­chées entre les États-membres, depuis la Com­mu­nau­té euro­péenne du char­bon et de l’a­cier réa­li­sée en 1952, en pas­sant par la Com­mu­nau­té éco­no­mique euro­péenne (CEE) ins­tau­rée par le trai­té de Rome de 1957, jus­qu’à la créa­tion, par le Trai­té de Maas­tricht en 1993, de l’Union euro­péenne, culmi­na­tion pro­vi­soire de l’ef­fort unificateur.

Aujourd’­hui, tout le monde le sait, cet effort est remis en ques­tion, prin­ci­pa­le­ment par une droite extré­miste prô­nant le retour au bon vieux temps (ô tel­le­ment exé­crable !) du natio­na­lisme, mais aus­si par une cer­taine gauche qui non seule­ment dénonce l’ab­sence d’une com­po­sante sociale, mais qui pré­tend que l’U­nion euro­péenne ne ser­vi­rait que les inté­rêts des mul­ti­na­tio­nales et d’un libé­ra­lisme éco­no­mique déchaîné.

Les moti­va­tions des par­tis d’ex­trême-droite tels que le Front natio­nal en France, le UKIP en Grande-Bre­tagne ou, plus récem­ment, l’AfD en Alle­magne sont dénuées de toute consi­dé­ra­tion huma­ni­taire et on voit vite affleu­rer der­rière le dis­cours social à l’in­ten­tion des lais­sés-pour-compte de la mon­dia­li­sa­tion une idéo­lo­gie de la ségré­ga­tion, une pro­fonde remise en cause des acquis sociaux et huma­ni­taires des der­nières décen­nies, et l’ar­gu­ment éco­no­mique ne sert qu’à dégui­ser les aspi­ra­tions natio­na­listes et hai­neuses de leurs diri­geants, le rejet de l’autre sous quelque forme que ce soit.

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La devise du San­glier : « For­ward to unity ! »

Il n’en est pas de même des argu­ments appor­tés par une cer­taine par­tie de la gauche. Si le dis­cours de cer­tains de leurs diri­geants n’est pas tou­jours exempts de conno­ta­tions racistes (cf. l’i­mage de l’Al­le­magne que le lea­der de la France insou­mise se plaît à véhi­cu­ler), les pro­blèmes liés à la mon­dia­li­sa­tion ne peuvent plus être occul­tés, et les gou­ver­ne­ments euro­péens ont accor­dé, depuis les années 80, bien trop de liber­té aux chantres du néo-libé­ra­lisme, per­met­tant à ceux-ci de façon­ner les règles du jeu selon leur idéo­lo­gie de liber­té éco­no­mique totale, libre de toute inter­ven­tion de la part des États, et donc de toute influence modé­ra­trice qui vise­rait, par exemple, à créer une réelle éga­li­té des chances, à prendre en charge les pro­blèmes créés par des vagues de délo­ca­li­sa­tions ou à assu­rer une dis­tri­bu­tion équi­table des richesses. Si l’a­na­lyse de la gauche est donc en grande par­tie cor­recte, la solu­tion pro­po­sée de sor­tir des trai­tés (Mélen­chon) n’en est pas une. En défai­sant le tra­vail des décen­nies depuis la fin de la guerre, on ris­que­rait de voir reve­nir sur la scène la pri­mau­té des inté­rêts égoïstes dans un cha­cun pour soi, inté­rêts qu’on cher­che­rait à favo­ri­ser dans un jeu des alliances qui rap­pel­le­rait une Europe de sinistre mémoire qu’on croyait abo­lie depuis long­temps, a savoir celle de Bis­marck. Un jeu où le recours à la vio­lence ne serait plus qu’une ques­tion de temps.

Léon Blum, au congrès socialiste de 1927.
Léon Blum, un des pro­ta­go­nistes de la social-démo­cra­tie européenne

La gauche euro­phobe, incar­née prin­ci­pa­le­ment par Jere­my Cor­byn, lea­der du par­ti tra­vailliste bri­tan­nique, et Jean-Luc Mélen­chon, ancien séna­teur socia­liste recon­ver­ti en popu­liste de gauche, com­met­trait donc une grave erreur en s’at­ta­quant à l’exis­tence même de l’U­nion Euro­péenne. Mais il existe un exemple his­to­rique qui pour­rait aujourd’­hui encore ser­vir de leçon pour toutes celles et tous ceux qui vou­draient sau­ve­gar­der les acquis de l’u­ni­fi­ca­tion euro­péenne sans pour autant accep­ter les injus­tices sociales qui rongent la socié­té. Cet exemple est celui de la gauche modé­rée, la social-démo­cra­tie, qui, renon­çant aux solu­tions radi­cales et dan­ge­reuses, a choi­si, en France aus­si bien qu’en Alle­magne ain­si que dans la plu­part des pays de l’U­nion, la voie des réformes. Des réformes qu’elle a su impo­ser à par­tir du début du XXe siècle en ins­tal­lant, à tra­vers un pro­ces­sus par­fois lent et sou­vent dou­lou­reux, une com­po­sante sociale pour modé­rer les excès des éco­no­mies de mar­ché et pour per­mettre à toutes les couches de la popu­la­tion de par­ti­ci­per à la pros­pé­ri­té engen­drée. Si la gauche choi­sis­sait par contre de rejoindre les néo-fas­cistes et les natio­na­listes obsé­dés par un pas­sé très peu glo­rieux, elle se ren­drait cou­pable, en ouvrant la voie au cha­cun pour soi et au jeu des inté­rêts natio­naux, non seule­ment de s’accoquiner avec les enne­mis de la liber­té, mais de détruire le seul espoir réa­liste de défi­ni­ti­ve­ment sur­mon­ter les égoïsmes natio­naux. Et elle nous condam­ne­rait à refaire les erreurs du pas­sé. Celles-là même qui ont conduit aux guerres mon­diales du XXe siècle.

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L’u­ni­fi­ca­tion euro­péenne a pu être amor­cée après une guerre qui a coû­té la vie à des mil­lions d’hommes et de femmes, et il n’a pas fal­lu attendre Barack Oba­ma pour savoir que c’est une des plus belles réus­sites de l’his­toire. Main­te­nant, il faut tout mettre en œuvre pour assu­rer son abou­tis­se­ment. Rendre à l’Eu­rope sa conscience sociale est une étape néces­saire pour y arri­ver. Pour ma part, je ne suis pas près de bais­ser les bras et de voir se dis­per­ser le seul espoir des peuples de l’Eu­rope de conti­nuer à vivre en paix, dans une union où liber­té et jus­tice sociale font bon ménage.