L’été, c’est bien sûr la saison des Lectures estivales, mais c’est aussi, et ce depuis le début des années 1990 déjà, celle du festival Shakespeare au Globe Neuss. Vous ne connaissez pas ? Je vous explique en vitesse : Le théâtre de Shakespeare a été conçu pour une scène bien particulière, prise, d’un côté, en tenaille sur trois côtés par les spectateurs et, de l’autre, tendue vers le haut, une sorte de cylindre au milieu des gens qui, avidement, suivent ce qui s’y passe. En France et en Allemagne, on a plutôt l’habitude des scènes qui prolongent l’espace consacré au public, séparant les acteurs assez efficacement de leur public. Les conditions matérielles déterminant les créations, et il ne faut pas être marxiste pour l’admettre, certains éléments des morceaux du génie de Stratford ne se comprennent plus – ou perdent en efficacité – quand on les arrache à l’environnement qui les a vu naître. Il faut avoir vu la scène du balcon (II, 2) dans Roméo et Juliette pour vraiment le comprendre, même si l’intensité des sentiments reste bien entendu palpable dans n’importe quel environnement.

L’idée de jouer les morceaux de Shakespeare dans un environnement adapté aux conditions de leur création n’a jamais été abandonnée, et c’est en 1987 qu’un homme de théâtre allemand a eu l’idée de construire un nouveau Globe. Après maintes vicissitudes, c’est la ville de Neuss (sur la rive gauche du Rhin, à quelques kilomètres de Düsseldorf) qui s’est porté acquéreur du bâtiment en 1991. Celui-ci a trouvé son nouvel emplacement près du turf, avec comme hall d’accueil l’ancienne salle des turfistes. Et c’est depuis la même année que la ville abrite un festival consacré à l’oeuvre de Shakespeare. 26 ans plus tard, le Globe est toujours là, et les visiteurs arrivent en masse pour rendre honneur aux troupes venues du monde entier, et principalement du monde anglophone.
En 2017, j’ai pu assister à l’interprétation d’un des plus célèbres morceaux légués par la Renaissance anglaise, à savoir Roméo et Juliette, monté par le Watermill Theatre et sa troupe, époustouflante de par la jeunesse des acteurs, le dynamisme de leur jeu et l’incroyable énergie qu’ils déploient à conquérir la scène et le public en même temps.

Il ne faut pas expliquer ce qui se passe dans ce qui est sans aucun doute la pièce de théâtre la mieux connue dans le monde entier, ce mélange où le comique le plus frivole côtoie les accents tragiques parmi les plus sincères qu’il a été donné à l’homme de prononcer, comme si Dionysos, dans un des excès dont il avait le secret, avait sauté Melpomène pour lui faire un bâtard aussi horrible que sublime. Qu’il suffise donc de dire que j’ai rarement été aussi saisi par ce qui se passait sous mes yeux, par le sourire éclatant de Juliette (Aruhan Galieva) ravie à l’enfance par un amour aussi inconditionnel que fatal, et par la jeunesse toute en vigueur et en désespoir d’un Roméo (Stuart Wilde) qui, jusqu’au bout, ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait. Le tout accompagné par le jeu endiablé d’une troupe capable de conjuguer la naïveté de la jeunesse à la vigueur des corps en fleurs dans une parfaite maîtrise du sujet. Les applaudissements ont été à la hauteur – et plus encore le silence du public après la dernière ligne :
For never was a story of more woe
Than this of Juliet and her Romeo.
Avant de terminer, une mention spéciale pour l’actrice Victoria Blunt dans le rôle de Benvolia. Une interprétation bouleversante de ce personnage secondaire qu’elle a réussi à hisser au niveau des protagonistes.

La saison 2017 va se poursuivre pendant encore une semaine, jusqu’au 8 juillet, mais je ne vous cache pas qu’il n’est pas toujours aisé de se procurer des billets. La prévente commence d’habitude fin mars / début avril, il ne vous reste donc plus qu’à vous inscrire à la newsletter du Globe pour recevoir les dates pour la saison prochaine. Et si jamais vous comptez vous y rendre, faites-moi signe pour qu’on rende honneur à la bière du festival, une Shakesbeer, si vous me permettez ce calembour assez bon marché, mais non moins adapté à l’occasion :-)