
Il y a, sur les bords du Rhin, une petite ville, où se dresse, près du turf destiné aux concours hippiques, un bâtiment tout en bois dont on ne devine pas facilement l’usage, tellement sa forme est peu habituelle dans nos parages. Mais, une fois par an, à l’approche de l’été, le secret est dévoilé quand s’ouvrent les portes du théâtre Globe de Neuss pour un festival Shakespeare de quatre semaines, et le terrain se couvre de couleurs bariolées, aux sons d’une multitude de langues qui remplissent d’une vie intense les quelques mètres cube de la petite salle.
Des troupes venues des quatre coins de la planète défilent sur les planches pour y célébrer le génie du plus grand auteur dramatique de tous les temps, et les vers qui nous apparaissent comme tout droit sortis de la nuit des temps revêtissent une chair nouvelle, animée par la sève toujours rajeunie du cygne de Stratford.
J’ai découvert ce festival en 1995, dans le cadre de mon premier boulot dans une maison d’édition de Düsseldorf, cité toute proche, juste de l’autre côté du Rhin. Depuis, tombé sous le charme d’un festival décontracté où il est toujours possible de papoter avec les organisateurs et les comédiens, qu’on rencontre autour d’une des tables de pique-nique, avant ou après le spectacle, je me rue sur le programme dès sa parution en février pour remplir mon agenda estival.
Hier, j’ai assisté à une représentation de Hamlet, par la troupe ambulante du Globe de Londres (la Globe Touring Company). Je ne vais pas entrer dans les détails d’une interprétation plutôt traditionnelle, mais je voudrais vous faire comprendre à quel point je suis encore sous le charme de la joie et de l’énergie des acteurs qui ont envoûté la salle dès la première seconde, malgré une chaleur étouffante, l’heure tardive et une durée de presque trois heures. Si je ne compte plus le nombre de fois que j’ai lu la tragédie du prince danois, c’était seulement hier que je l’ai vu interprétée, pour la première fois, par des acteurs en chair et en os. Et cela change la façon de comprendre les paroles de Shakespeare. Ou mieux : cela fait comprendre qu’elles sont destinées à animer une scène, pas à être ruminées dans un fauteuil. Ainsi, les grands monologues qu’on a l’habitude d’imaginer enfermés dans l’esprit dérangé de Hamlet, s’adressent en vérité au public, et on assiste à la malaise d’un homme en souffrance qui essaie de se justifier aux yeux du monde entier, rassemblé sur les rangs d’un théâtre qui englobe, littéralement, l’univers.
Le poète s’est tu il y a à peu près 400 ans, mais ses paroles se glissent dans la chair humaine chaque fois qu’un acteur entre sur la scène pour devenir Macbeth, Othello, Lear, Hamlet, Juliette, Ophélie, Desdémone, …
Un grand merci à l’équipe du Globe de Neuss et aux troupes qui, chaque été, y font vivre et palpiter notre héritage commun.