Il y a de ces jours où on paie cher son honnêteté blogo-littéraire, presque trop cher même. Si je peux bien entendu me permettre de dépenser 11,99 € sans devoir m’infliger un régime draconien (il faudrait peut-être remplacer, dans ces jours de crise et d’austérité budgétaire, ce terme par merkelien ?) de coupes dans mon budget d’activités culturelles ensuite, j’en ai pourtant des crampes quand je pense que j’ai contribué à une part, ne fût-elle infime, des droits d’auteur d’un Germanopratin confortablement installé dans son fauteuil d’éditeur de chez Gallimard qui y cultive son mépris très lucratif de la littérature moderne, des sociétés ouvertes, et des victimes de l’ogre d’Utoya. J’ai nommé, vous l’aurez tout de suite compris, Richard Millet, l’auteur d’un grand nombre de romans et de quelques pamphlets, dont le dernier en date aura sans doute rapporté très gros à son éditeur. Et comme celui-ci a refusé de mettre un exemplaire SP à la disposition de la Bauge Littéraire, j’ai dû délier les cordons de ma bourse pour satisfaire l’honnêteté d’un auteur qui refuse de télécharger des livres piratés, et qui ne voudrait pas parler non plus d’un livre sans l’avoir lu. Voilà qui est fait, et je suis en mesure de me prononcer sur cette prétendue « éloge littéraire » sans que ni son auteur ni ses partisans puissent brandir l’argument si facile de la non-lecture.
Le moins qu’on puisse dire à propos de ce petit livre, c’est que le monde littéraire a eu son scandale de la rentrée, ce qui a permis à tout le monde de s’exprimer, de se scandaliser, de s’emporter et de – gagner beaucoup d’argent. Si le radicalisme en littérature reste, en chiffres de vente, loin derrière les classiques histoires de cul (ouf, la tradition du sexe sells est sauve), il est sûr que le taux d’attention médiatique aura atteint, pendant quelques semaines, un sommet. Il est vrai aussi que l’opuscule de Millet, coup de génie tordu et macabre, réunit les ingrédients d’un vrai tube, en établissant un lien entre le scandale de la tuerie d’Utoya et la peur savamment entretenue par certains groupes politiques des immigrés, perçus – et présentés – comme une masse informe qui s’apprêterait à engloutir l’héritage de l’Occident, en passant, bien entendu, par le viol d’abord et la voile ensuite, pour en arriver à l’éradication de l’Europe chrétienne qui troquerait ainsi la Croix contre la Demi-lune.
Mais je refuse de me borner à constater un simple scandale de salon insidieusement concocté par un certain milieu germanopratin. Il faut aller voir dans le texte, me servir du bistouri que l’habitude de la critique a mis entre mes mains, et couper net pour voir la pourriture au fond d’entrailles puantes.
Passons sur des banalités comme celle où M. Millet rejoint le discours haineux des Républicains de Mitt Romney et consorts quand il traite la France de « plus socialiste des pays européens » (p. 63) ou quand il se répand en images stéréotypées à propos d’une « jeunesse multiculturelle » qu’il affuble d’un « langage en décomposition, [d”]une inculture béate et [d”]un avachissement certain de la personne » (p. 60). De plus grands que lui se sont trompés sur le compte de la jeunesse, et j’ai eu l’occasion, il y a quelques mois, de le reprocher à quelqu’un de bien plus intelligent. Passons donc, mais pas sans rappeler aux gens de bonne foi de se souvenir de la mauvaise compagnie dans laquelle on peut se retrouver en cédant trop vite aux préjugés faciles.
Plus graves sont, à mon avis, les passages qui laissent deviner un certain obscurantisme dans la pensée de Millet, voire le montrent à nu sous son armure de prétendu défenseur de l’Europe chrétienne. Des les premiers paragraphes, M. Millet évoque le « Système » (oui, à majuscule), un peu plus tard assimilé à « l’ordre politique », qui aurait à son solde des spécialistes chargés d’entretenir « l’illusion d’un savoir « spécialisé » » (p. 58). On ne sait pas très bien qui peut se cacher derrière cette construction obscurantiste, et qui en serait le profiteur, à moins de vouloir attribuer ce rôle à la fameuse « immigration extra-européenne » qui, non contente de se payer des « spécialistes », disposerait des moyens d’entretenir « une intimidation victimiste » au sein des « nations européennes » (p. 58). On ne peut s’empêcher de se croire entouré de sociétés secrètes dont l’agenda ne viserait à rien moins que de conquérir le monde afin d’y instaurer au plus vite la charia. Ce qui fait penser le lecteur averti aux bons vieux jours des Sages de Sion, complot soi-disant sioniste et réellement inventé par la Russie tsariste (et repris plus tard par de reconnaissants fascistes de tous poils) qui viserait à riens moins – vous l’aurez compris – qu’à – conquérir le monde. Elle est tenace quand même, la peur de l’autre, surtout quand celui-ci a le défaut de venir de l’Est sans avoir passé par une crucifixion apparemment purifiante.
À propos crucifixion : c’est le bon moment pour parler de l’obstination de Millet d’invoquer à tout bout de champ des références chrétiennes, que ce soit le « vocabulaire biblique », la « dimension chrétienne de la langue » (p. 59), l’essence chrétienne des nations européennes (p. 59) ou encore les racines chrétiennes de l’Europe (p. 61) pour en arriver à la ‑vous l’aurez deviné – « mort de la chrétienté » dont l’appel du muezzin sonnerait le glas (p. 66). Tout ça pourrait paraître simplement pathétique, si l’ogre de Norvège lui-même ne s’était pas réclamé des croisés, engagé qu’il se croyait dans une guerre sainte (qu’on pensait pourtant réservée aux islamistes) contre le « multiculturisme ». L’amour du prochain, le pardon, l’hospitalité, le refus de la violence, tout ce que prêchait le petit juif de Nazareth ? M. Millet, apparemment, n’en a que faire. Vous aurez remarqué ici l’absence du point d’exclamation scandalisé au profit du simple point qui sert à tranquillement marquer un constat tellement triste d’un simple fait.
Tout ça est déjà assez grave et devrait entraîner l’élimination de M. Millet de la maison Gallimard dont de tels propos souillent la mémoire, mais il y a pire. Vers la fin se trouve une phrase qui, derrière un pseudo-constat de la déchéance culturelle de l’Europe, dont a l’habitude et qui pourrait passer d’autant plus facilement, révèle, dans sa grandiloquence indigeste, la véritable ascendance de son auteur :
Nous qui mesurons chaque jour l’inculture des indigènes tout comme l’abîme qui nous sépare des populations extra-européennes installées sur notre sol, nous savons que c’est avant tout la langue qui en fait les frais, et avec elle la mémoire, le sang, l’identité. (p. 64)
Le sang, le sol, l’identité. M. Millet se prétend un homme littéraire, quelqu’un donc qui manie la langue au même titre que l’artisan ses outils. Il est même tellement pénétré de cette prétention qu’il s’érige volontiers comme le dernier défenseur de la littérature française. Il n’y a donc pas de doute possible, si on veut mesurer M. Millet à l’aune qu’il nous propose lui-même : Il doit savoir dans quelle lignée il se place en revendiquant le sol et le sang. Il y rejoint ceux qui, au nom précisément du sol et du sang, ont réclamé des terres à peupler par la « race aryenne » et qui ont déclenché une guerre d’une cruauté sans pareille pour supprimer les peuples slaves. Ceux qui, au nom de la pureté du sang, ont massacré 6.000.000 de juifs, de gitans, et d’autres encore qui, au nom d’une idéologie inhumaine, ne mériteraient pas de vivre. Cette idéologie a un nom, et c’est le National-Socialisme. Et c’est l’étiquette qui désormais colle au front de M. Millet, qu’elle que soit la peine qu’il prenne pour l’arracher.
J’ai l’impression d’avoir souillé ma Bauge après avoir marché dans le vomis de M. Millet. J’en suis désolé, mais si ma petite voix aide à révéler les abîmes qui s’ouvrent derrière les lignes remplies de haines et de mauvaise foi de ce livre, je m’en consolerai d’autant plus facilement. Un bon coup de balai et de vent feront sans doute l’affaire.
Commentaires
Une réponse à “Richard Millet – le sang, le sol et la pureté”
Scandale bien préparé, bien ficelé, bien prémédité. Je suis auteur de polars, alors la préméditation ça me connais ! De plus je connais un peu les ficelles du métier. Mais que ne ferait-on pas pour vendre du papier ? Certes ce papier ressemble à un autre dont l’usage est dit hygiénique. Comme j’ai une certaine considération pour ce qui me sert à évacuer de moi ce qui est devenu inutile, je lui éviterai le contact avec les écrits de cette personne.