Dix titres – voilà ce qui reste, dans le catalogue actuel de la Musardine, de l’opulente collection Confessions érotiques, collection dont Mr. X a dressé l’inventaire sur son site homonyme très complet et qui a pu y rassembler pas moins de 41 titres. Mais, comme on le dit à propos de certaines femmes ayant su sauver des charmes contre l’invasion des années, on y trouve encore de belles restes dans ces rudiments. Je dirais même, de très belles restes.
Le titre en question – Notaire le jour, escort girl la nuit – a paru en octobre 1997 sous le nom propre de son héroïne – éponyme alors – Sophie-Charlotte, habitude des éditeurs d’origine pour mieux soutenir la fiction des « témoignages vécus« 1, Sophie-Charlotte étant le fruit d’une collaboration de Pierre Dupuis avec Média 1000, le titre se plaçant au beau milieu d’une série de publications qui comprend pas moins de sept titres publiés entre décembre 1995 et juin 1998 :
- Contesse von Rittersberg, 12/1995
- Coraline, 05/1996
- Claudine, 01/1997
- Cindy, 03/1997
- Sophie Charlotte, 10/1997
- George, 01/1998
- Maria-Pia, 06/1998
Pour celles et ceux que cela intéresserait, quatre de ces titres sont toujours disponibles au format numérique. Si la lecture de cet article et le visionnage des extraits vous fait venir l’eau à la bouche – voire d’autres sécrétions à des endroits plus intimes – rendez-vous dans la bibliothèque numérique 7switch2 afin d’y faire vos emplettes.

Et puisqu’on est en train de parler de sécrétions, ce n’est pas ce qui manque dans cette bande dessinée, bien au contraire – ça gicle de partout et des fontaines sont toujours près de se déclencher sous l’action des bites dressées, des langues et des doigts agiles. Adepte de véritables pulsions masturbatoires, ce sont d’ailleurs très souvent les doigts qui sont appelés à conduire notre héroïne vers ses orgasmes foudroyants, des orgasmes qui la plient en deux et la laissent même souvent au bord de la syncope.
Quant à l’intrigue, tout démarre par une sombre histoire d’usines conduites vers la faillite, affaire dans laquelle un célèbre notaire de la régions semble jouer un rôle pas très net. Et comme le notaire en question convoite la belle fille du baron ruiné, un mariage lui est bientôt proposé. Et comme Sophie-Charlotte a le sens du devoir et du sacrifice, le mariage se conclut pour le plus grand bien des parties concernées. Mais le devoir et le sacrifice ne sont sans doute pas les seuls motifs conduisant la belle jeune femme à accepter la proposition. Avant, elle a pu assister à une véritable orgie dans les locaux de l’Auberge de la Mère Genevoix, lieu de débauche des notables locaux. Et si la belle s’est rendue dans un endroit aussi peu adapté à la réputation d’une femme issue d’une des meilleures familles, c’est dans l’espoir d’y rencontrer le notaire en question afin de pouvoir lui parler en secret. Mais son rendez-vous le plus mémorable dans cet établissement, c’est celui avec le désir chauffé à blanc et une sexualité débridée, incarnés par la « Marquise », poussée par ses pulsions à un strip-tease des plus osés qui finit par une séance de masturbation devant tout le monde, une scène où le désir, la honte et le pouvoir sans appel de l’orgasme se réunissent dans une valse infernale. Qui se conclut par la fuite éperdue de tout ce (pas si) beau monde afin d’éviter le scandale. Sophie-Charlotte en sort avec des images brûlées dans ses neurones, souvenir de scènes qu’elle sera désormais contrainte à reproduire encore et encore.
La prochaine rencontre à laisser des traces durables, c’est celle avec le beau Kamika dont elle tombe éperdument amoureuse après lui avoir presque imposé son corps dans le couloir de l’hôtel avant de passer avec lui une nuit d’amour qui se solde par une belle dizaine d’orgasmes. On imagine que cela peut laisser naître des sentiments assez particuliers.
Malgré les apparences et quelques belles affaires, l’étude périclite pour des raisons obscures et la jeune notaire est au désespoir. Au point de, laissée sans d’autres moyens, elle se résout à désormais payer de son corps et de vendre ses services contre de l’argent comptant. Pendant que son mari passe, de son côté, ses nuits au bordel. Comme si ce type d’endroits et de services étaient en quelque sorte le dénominateur commun du couple. Masquée, Sophie-Charlotte se tape désormais les mecs friqués et peu scrupuleux, acquérant une belle renommée pour ses exploits. Ce qui n’échappe pas à son amant qui, s’il ne se montre que pour de rares instants d’intimité, semble suivre de près ses activités. Et qui entreprend de la conduire jusqu’au bout de son calvaire en la vendant à des clients. Le comble de la honte pour notre belle bourgeoise étant sans doute la réalisation qu’elle aime ça et que cette exposition et cette soumission l’excitent au plus haut point.

Une scène qui finit par cette affirmation de Kamika qui résume à merveille l’état de Sophie-Charlotte :
Sophie-Charlotte, je vous déclare solennellement défoncée par tous vos orifices et apte à satisfaire tous les désirs des mâles… vos maîtres absolus !!… Vous êtes intronisée « esclave de vos sens !…« 3
Phrase qui résume « la » scène-clé de la BD. Et qui marque en même temps un tournant majeur de l’intrigue, Sophie-Charlotte étant près de connaître la vérité à propos de son amant. Je vais me taire ici dans l’intérêt de celles et de ceux qui aimeraient se procurer le titre et qui seraient sans doute reconnaissants de pouvoir découvrir la fin sans l’intervention du Sanglier.
Tout ceci n’a sans doute rien de très original, mais le dessin m’a interpellé par une certaine rugosité finalement très bien adaptée à la crudité des faits et des gestes. C’est à travers ces lignes souvent brouillées, souvent plus près de l’esquisse que du dessin, que Pierre Dupuis réussit à cerner la force primordiale – destructrice aussi bien que libératrice – du désir, l’appel de l’orgasme dans tout ce qu’il a de libérateur, dans la mesure où, au moins pour les quelques instants de l’extase, il remet l’individu au centre du monde, absolu dans le meilleur des sens. J’irais jusqu’à affirmer que celui qui a lu Dupuis aura enfin compris l’essence de la notion de « l’extase ».
C’est à travers de telles considérations qu’on peut saisir la force de Dupuis, une force qui s’exprime à travers ce qui peut au premier abord apparaître comme un travail de seconde zone. Et qui renferme en vérité des œillades vers notre être le plus profondément enfoui. Un seul mot qui s’impose à moi et que j’aimerais placer ici afin de conclure ces quelques considérations : magistral !
Pierre Dupuis
Notaire le jour, escort girl la nuit
Média 1000
ISBN : 9782362346712

- Habitude qui se retrouve d’ailleurs assez souvent chez des éditeurs d’érotisme, l’exemple le plus pertinent étant donné par les éditions Ink Book avec leur banderole « Histoire vraie » collée sur un très grand nombre de leurs titres. ↩︎
- Surprise, on y trouve cinq titres rassemblés sous le nom de Pierre Dupuis, mais cela est une erreur de la part des rédacteurs de chez 7switch, Vice au camping appartenant au non moins célèbre Chris. ↩︎
- Pierre Dupuis, Notaire le jour, escort girl la nuit, p. 136 ↩︎