En-tête de la Bauge littéraire

Pachu M. Torres – l’é­ro­tisme conquérant

Voi­ci Afte­ri­mage, un des­sin de Pachu M. Torres, un jeune artiste espa­gnol, et je peux affir­mer sans hési­ter que c’est une des rares œuvres d’art à me don­ner des fris­sons à tra­vers l’éner­gie éro­tique qui s’en dégage. La pro­ta­go­niste est comme l’in­car­na­tion  – à tra­vers des lignes claires qui abou­tissent à une rare expres­si­vi­té – d’un éro­tisme tel­le­ment joyeux et opti­miste que le titre de cet article s’est impo­sé comme une évi­dence – l’é­ro­tisme conquérant.

Pachu M. Torres, Tourniquet
Pachu M. Torres, Tourniquet

J’ai croi­sé Pachu M. Torres, comme cela m’ar­rive de plus en plus sou­vent ces temps-ci, sur Twit­ter, un réseau qui impose net­te­ment moins de res­tric­tions que celui du Sieur Zucker­berg, par exemple, sur­tout quand il s’a­git d’y mon­trer des hommes et des femmes dans leur plus simple appa­reil, voire en train de se faire plai­sir en se tri­po­tant ou en s’en­ga­geant dans une par­tie de jambes en l’air. On com­prend l’in­té­rêt de ce réseau numé­rique pour un site qui, comme la Bauge lit­té­raire, défend la lit­té­ra­ture dans ce qu’elle a de plus sen­suel. Quant aux femmes de Pachu M. Torres – dire qu’elles m’ont mis sous leur charme, cela ne donne qu’une bien faible idée du pou­voir de séduc­tion qui se dégage de ces per­sonnes, de leurs atti­tudes, leurs regards, leurs corps qu’elles laissent offrir en spec­tacle avec la fran­chise de celles qui connaissent par­fai­te­ment leur valeur, leurs capa­ci­tés – leurs envies. Et qui n’hé­sitent pas à enga­ger ces mêmes corps dans une opé­ra­tion de séduc­tion massive.

Le des­sin que je vou­drais vous pré­sen­ter porte donc comme titre Afte­ri­mage (« image réma­nente »), et je viens de l’ac­qué­rir à tra­vers la bou­tique en ligne du site per­son­nel du des­si­na­teur (qui y pro­pose des ori­gi­naux !). Je dois avouer que le titre choi­si par l’ar­tiste me laisse per­plexe, votre ser­vi­teur n’ar­ri­vant pas à pro­vo­quer le phé­no­mène optique en ques­tion (à savoir la per­sis­tance d’une image en cou­leurs com­plé­men­taires cor­res­pon­dantes après que l’ex­po­si­tion à l’o­ri­gi­nal a ces­sé), et croyez-moi que ce n’est pas faute de mater ! La page de désa­m­bi­guï­sa­tion de l’en­cy­clo­pé­die en ligne Wiki­pe­dia n’of­frant pas d’ex­pli­ca­tion évi­dente non plus – et l’ar­tiste ne répon­dant pas aux inter­ro­ga­tions – il ne me reste plus qu’à me tour­ner vers mes doctes lec­teurs pour espé­rer d’ob­te­nir une explication…

Quoi qu’il en soit, il suf­fit de contem­pler le des­sin pour se rendre compte qu’il s’en dégage comme un conden­sé du poten­tiel éro­tique que je viens de nom­mer, un poten­tiel qu’il faut manier avec pru­dence si on ne veut pas se retrou­ver sou­mis aux caprices d’une sirène qui vous retien­drait cap­tif, à tra­vers le rayon­ne­ment de ses chairs et un regard qui vous enchaîne à l’in­so­lence de ses envies – impo­sées avec une faci­li­té tel­le­ment décon­cer­tante qu’elle vous fait regret­ter le secret de Pyg­ma­lion

À lire :
Jürgen Werner, Pinup Girl (Jeune fille au pull levé)
Pachu M. Torres, Afterimage
Pachu M. Torres, Afterimage

Le des­sin est com­po­sé de trois bandes dia­go­nales, le noir en haut, le blanc au milieu et celle d’en bas de noir et de blanc mêlée. La femme appar­tient à celle du milieu où les lignes noires qui la com­posent rejoignent celles du drap et des cous­sins. Elle déborde sur les autres bandes, sorte de lien entre l’a­vant-plan et l’ar­rière-plan. Devant elle, se tient un homme dont on ne voit que les bras cou­verts des manches noires d’un pull ou d’une veste. Il est en train de reti­rer le string de la jeune femme, accom­plis­sant par ce geste ter­ri­ble­ment éro­tique la der­nière étape qui la sépare d’une nudi­té totale et rayon­nante. À moi­tié cou­chée sur le lit – ou peut-être un cana­pé, ce n’est pas très clair – les jambes légè­re­ment ouvertes pour faci­li­ter l’o­pé­ra­tion en cours, le rayon­ne­ment de la jeune femme est sou­li­gnée et ren­for­cée par le noir sur lequel sa tête et ses pieds se dégagent par un contraste appuyé, mais ce sont sur­tout sa tête et son visage qui sont mis en évi­dence, leur confé­rant une impor­tance toute par­ti­cu­lière qui peut sur­prendre dans un des­sin éro­tique, sur­tout par rap­port au sexe entiè­re­ment invi­sible et aux seins à moi­tié cachés par le bras qui se tend vers l’homme et le spectateur.

Dans le contexte que je viens de pré­sen­ter – une femme presque entiè­re­ment nue et un homme sans doute plei­ne­ment vêtu en train de la désha­biller – on a ten­dance à ima­gi­ner la femme comme celle qui cède aux assauts du mâle, celle qui se laisse faire, la proie d’un séduc­teur voire d’un domi­nant. Et pour­tant, l’im­por­tance de la tête dans la com­po­si­tion du des­sin, l’ex­pres­sion de la femme et – sur­tout ! – son geste écartent d’emblée toute idée de proie ou de vic­time. Elle, avec son visage rayon­nant de sen­sua­li­té et de fer­me­té, avec son geste aus­si franc qu’im­pé­rieux, c’est plu­tôt une déesse en train d’im­po­ser sa volon­té, une reine qui demande le tri­but qu’on lui doit, la femme qui dirige les opé­ra­tions sur le théâtre de la bataille qui se prépare.

Voir un artiste doter ses per­son­nages d’une puis­sance éro­tique aus­si débor­dante et plei­ne­ment assu­mée, le voir pro­cé­der à une mise en valeur de la femme et de son pou­voir de séduc­tion – et faire rayon­ner celui-ci de son visage au lieu de son sexe ! – ce sont des points dont on ne peut exa­gé­rer l’im­por­tance. Et le plai­sir devient car­ré­ment exu­bé­rant quand on s’in­ter­roge à pro­pos du geste de la jeune femme, un geste qui ne res­semble à rien autant qu’à un ordre et qui rap­pelle une affiche tel­le­ment célèbre qu’elle est entrée dans le fond com­mun de la civi­li­sa­tion occi­den­tale (sinon mon­diale), à savoir le geste qui sou­ligne si effi­ca­ce­ment le célèbre slo­gan de l’Uncle Sam : « I want you ! »

À lire :
Antonin Gallo - artiste de la coquetterie féminine
Uncle Sam, I want you !
Uncle Sam, I want you !

Pachu M. Torres reprend ce geste pour poin­ter du doigt le spec­ta­teur, à tra­vers et au-delà du per­son­nage mas­cu­lin en train de dénu­der la belle, pour l’in­quié­ter dans son ano­ny­mat faus­se­ment pro­tec­teur, lui faire com­prendre l’i­nu­ti­li­té de toute résis­tance et l’o­bli­ger à rendre les armes, à se sou­mettre corps et âme à une volon­té qui ne souffre aucune contra­dic­tion. Il va de soi que la jeune femme immor­ta­li­sée par Pachu M. Torres dis­pose de charmes bien plus convain­cants que ceux du vieux bar­bu à la mine aus­si ferme que ren­fro­gnée, mais quelle res­sem­blance dans le geste, dans la fran­chise du regard et des inten­tions : « Je te veux ! » A‑t-on jamais ima­gi­né impé­ra­tif plus irrésistible ?

Ensuite, on peut bien sûr se poser des ques­tions à pro­pos des détails de ce qui est en train de se pré­pa­rer, et le petit objet manié par notre demoi­selle n’est pas sans intri­guer, quitte à sou­le­ver des ques­tions. À qui est-il des­ti­né, et quel ori­fice va-t-il rem­plir ? La totale nudi­té de la jeune femme, ses cuisses légè­re­ment écar­tées, donnent une cer­taine idée à pro­pos de l’u­sage futur du plug, mais, si on admet que c’est bien la femme qui se le fera appli­quer, n’est-ce pas un for­mi­dable ren­ver­se­ment des rôles et des pou­voirs qui s’o­père entre « domi­nant » et « sou­mise », cette der­nière sor­tant de son rôle de patiente, de sa pas­si­vi­té conven­tion­nelle, pour se mettre dans une posi­tion de force et de défi vis à vis de celui qui est pour­tant cen­sé mener le jeu. Chez Pachu M. Torres, il n’en est rien, et la femme, inso­lente de par sa beau­té res­plen­dis­sante et sa volon­té irré­sis­tible, s’im­pose comme une par­te­naire de jeu qui non seule­ment a son mot à dire, mais qui exige sa jouissance.

Dans une époque où les femmes sont tou­jours très sou­vent réduites au rôle de jouet de plai­sir, d’ob­jet dont on se sert pour satis­faire des dési­rs souillés par la vio­lence, le des­sin de Pachu M. Torres donne la parole aux femmes conscientes de leur pou­voir, à celles qui ne reculent devant aucun plai­sir, mais qui res­tent maî­tresses de leurs vies et de leur sexua­li­té. Félicitations !