Otto Freund­lich, expo­si­tion du Musée Lud­wig de Cologne

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Otto Freundlich, The Unity of Life and Death, 1936 - 38
Otto Freund­lich, The Uni­ty of Life and Death, 1936 – 38. Cré­dit : MoMA

On ne peut pas dire qu’Ot­to Freund­lich soit incon­nu au bataillon, ses pein­tures et ses sculp­tures étant pré­sentes dans des col­lec­tions qui comptent par­mi les plus remar­quables du monde de l’art, comme celles, par exemple, du MoMA ou du Musée Natio­nal d’Art Moderne à Paris, mais rares sont ceux qui le cite­raient, à côté de noms infi­ni­ment mieux connus comme Kan­dins­ky ou Malé­vitch, comme un des fon­da­teurs de l’art abs­trait. Et le silence qui l’en­toure tou­jours – mal­gré une pré­sence cer­taine de l’ar­tiste à tra­vers deux grandes expo­si­tions, en 1978 à Bonn et en 2009 à Pon­toise, mal­gré le début de réa­li­sa­tion d’un pro­jet ini­tié par lui et sa com­pagne Jeanne Kos­nick-Kloss, celui de deux Routes de la Sculp­ture tra­ver­sant le conti­nent d’est en ouest et de nord en sud – ce silence étonne tou­jours, et d’au­tant plus que le par­cours à tra­vers l’ex­po­si­tion orga­ni­sée par le Musée Lud­wig de Cologne en coopé­ra­tion avec le musée Tavet-Dela­cour de Pon­toise, dépo­si­taire depuis 1968 de la dona­tion Freund­lich, montre de façon per­ti­nente et immé­dia­te­ment acces­sible la richesse et la diver­si­té de sa pro­duc­tion artistique.

Jaquette de l'exposition Otto Freundlich, 2009 à Pontoise
Jaquette de l’ex­po­si­tion Otto Freund­lich, 2009 à Pontoise.

Mais com­ment s’en éton­ner ? Un artiste qui a pris part à la révo­lu­tion qui, en novembre 1918, a son­né le glas pour l’Em­pire alle­mand ; un artiste qui a four­ni, bien mal­gré lui, le fron­tis­pice du cata­logue qui accom­pa­gnait la mise au pilo­ri que fut l” « expo­si­tion » de l’Art dégé­né­ré orga­ni­sée par les Nazis en 1937 ; un artiste que son enga­ge­ment poli­tique rap­pro­chait de la gauche com­mu­niste et qui n’hé­si­tait pas à tra­duire son enga­ge­ment en art, quand il par­lait, par exemple, de « com­mu­nisme cos­mique » ou quand il don­nait à une de ses pein­tures, en 1933, le titre sans doute par trop pro­cla­ma­teur Mon ciel est rouge ? Il faut croire que c’é­tait mal par­ti pour une recon­nais­sance post­hume d’un tel tru­blion et que le public alle­mand d’a­près-guerre pré­fé­rait pas­ser en silence sur un artiste dont l’as­sas­si­nat dans un des camps de la mort en 1943 aurait été capable de bou­le­ver­ser les consciences et de déran­ger par un tapage mal venu l’am­biance de plomb qui pesait sur la socié­té de la jeune Répu­blique fédé­rale. Ce qui n’a pas empê­ché la ville de Cologne d’ad­mettre, en 1954, une de ses plus belles réa­li­sa­tions dans le nou­veau bâti­ment de l’O­pé­ra, un des pro­jets les plus pres­ti­gieux des années d’a­près-guerre réa­li­sé par l’ar­chi­tecte Riphahn : La nais­sance de l’Homme, un mosaïque réa­li­sé en 1919 et très récem­ment res­tau­ré, à l’oc­ca­sion de son trans­fert de l’O­pé­ra en cours de réno­va­tion au  musée Lud­wig, une œuvre qui a sur­vé­cu aux années fas­cistes et aux bombes de la Guerre dans une remise où l’a­vait relé­guée son pro­prié­taire. Il faut avoir vu l’é­clat de ses cou­leurs pour se faire une idée de l’im­pro­bable opti­misme de l’ar­tiste un an à peine après une guerre san­glante. C’est que l’a­ve­nir s’an­non­çait sans doute heu­reux, pers­pec­tive qu’il faut sans doute pla­cer dans le contexte de la révo­lu­tion d’oc­tobre et du sur­saut d’es­poir que celle-ci avait ini­tié. Espoir cruel­le­ment trom­pé, tant pour le monde en géné­ral que pour notre artiste en particulier.

Otto Freundlich, La naissance de l'homme (1919)
Otto Freund­lich, La nais­sance de l’homme (1919)

Pour ce qui est de la pré­sence de l’ar­tiste dans la mémoire alle­mande, puisse-t-il suf­fire de citer l’en­thou­siasme qui accom­pa­gna la « redé­cou­verte » il y a quelques mois de la mosaïque, pen­dant long­temps relé­guée dans un endroit peu fré­quen­té de l’O­pé­ra avant d’en sor­tir sous le feu des pro­jec­teurs pour être inté­grée à l’ex­po­si­tion actuelle. On a eu l’im­pres­sion d’as­sis­ter à des fouilles archéo­lo­giques per­met­tant de refaire sur­face à une époque révo­lue de l’His­toire ancienne …

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Après ses débuts consa­crés à l’art figu­ra­tif, Otto Freund­lich s’est enga­gé, depuis au plus tard 1911, dans la voie de l’abs­trac­tion, pra­ti­que­ment en même temps que les pères-fon­da­teurs du cou­rant qui allait si pro­fon­dé­ment mar­quer l’art du XXe siècle, et ce sont ses tableaux non-figu­ra­tifs qui consti­tuent comme une image de marque de l’ar­tiste s’im­po­sant à qui­conque lance une simple recherche sur inter­net. Mais l’abs­trac­tion n’est qu’une par­tie du par­cours excep­tion­nel de cet artiste qui mérite bien mieux que la niche qu’on consent aujourd’­hui à lui lais­ser. Oscil­lant entre abs­trac­tion et pein­ture figu­ra­tive, il s’est essayé dans des domaines de l’art aux­quels rien ne sem­blait le pré­des­ti­ner, comme par exemple la créa­tion de vitraux pour églises ou la réa­li­sa­tion de sculp­tures cen­sées par­cou­rir les axes du conti­nent. À coté de ces acti­vi­tés artis­tiques concrètes, il est aus­si l’au­teur d’é­crits théo­riques d’une grande com­plexi­té qui témoignent de son niveau de réflexion.

Otto Freundlich, Vitrail pour église (1924)
Otto Freund­lich, Vitrail pour église (1924)

Après avoir vécu dans la pau­vre­té, cet artiste véri­ta­ble­ment euro­péen, à voca­tion uni­ver­selle, est mort assas­si­né par les fas­cistes. Aujourd’­hui, c’est en grande par­tie grâce au musée Tavet-Dela­cour, léga­taire du fond de ses œuvres res­tés dans son ate­lier après son inter­ne­ment, que l’hé­ri­tage de Otto Freund­lich n’est pas aban­don­né aux hasards des décou­vertes au gré du goût à l’ordre du jour. Celui qui a pu décou­vrir, grâce à ce tra­vail obs­ti­né, l’ex­tra­or­di­naire richesse d’un artiste trop peu célèbre, n’a qu’à les remer­cier du fond du cœur !

Avant de ter­mi­ner, j’ai­me­rais vous pro­po­ser mon coup de cœur bien per­son­nel, une gra­vure sur bois qui, si elle n’est sans doute pas très typique du style de la matu­ri­té artis­tique de Otto Freund­lich, semble faire un grand pas en avant vers l’art d’a­près-guerre des comic books, celui des Watch­men en par­ti­cu­lier, aux­quels il tend la main à tra­vers l’a­bîme où bouillonnent la guerre et l’assassinat :

Collage : Otto Freundlich, Tête (1919) ; Dave Gibbons, Doctor Manhattan, Watchmen (1986 / 87)
Col­lage : Otto Freund­lich, Tête (1919) ; Dave Gib­bons, Doc­tor Man­hat­tan, Watch­men (1986 / 87). La res­sem­blance entre les deux per­son­nages est frap­pante, jusque dans les détails de l’exé­cu­tion. Je me per­mets aus­si de diri­ger l’at­ten­tion de mes aimables lec­teurs sur le cercle ornant le front du doc­teur Man­hat­tan. On retrouve le même sym­bole cos­mique sur celui de la Tête ano­nyme de l’ar­tiste allemand.

Com­mu­nisme cos­mique, expo­si­tion consa­crée à Otto Freund­lich, se tient au Musée Lud­wig de Cologne jus­qu’au 14 mai 2017, avant de se pour­suivre au Musée d’art de Bâle où elle sera acces­sible du 10 juin au 10 sep­tembre 2017. L’é­quipe du Lud­wig a réa­li­sé une vidéo où le direc­teur, M. Dzie­wior, explique l’im­por­tance de cet artiste et de son oeuvre dont la beau­té conti­nue à éblouir les visiteurs :

Otto Freundlich, Kosmischer Kommunismus. Présentation de l'artiste par le directeur du Musée Ludwig de Cologne
Museum Lud­wig, Otto Freund­lich. Kos­mi­scher Kom­mu­nis­mus, 18/02/2017 – 14/05/2017. Pré­sen­ta­tion de l’ar­tiste par le direc­teur du Musée Lud­wig de Cologne (en langue alle­mande avec des sous-titres anglais) sur Vimeo.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95