Il n’y a pas très longtemps, j’ai dit qu’un auteur « a eu la bonne idée de me relancer ». On peut le faire, certes, mais on risque à ce moment-là que le Sanglier se réveille et qu’il commence à lorgner du côté d’où vient l’appel. Et il vaut mieux, à ce moment-là, que le texte soit à la hauteur. Et il vaut sans doute mieux encore avoir le talent et la plume indécente d’un Hugo Drillski si on compte s’engager dans cette voie-là.
Bon, le lecteur se doute que ce n’est pas pour rien que je fais précéder mon article d’une sorte de mise en garde. Effectivement, ce n’est pas pour rien. Un auteur, croisé d’asez loin sur Facebook, m’avait proposé deux de ses textes à l’occasion de l’appel aux textes pour les Lectures estivales. Ce qui est, évidemment, très bien. Mais, et vous vous en doutez, d’autres ont eu la même idée et mes propres découvertes se sont ajoutées á tout cela, ce qui m’a laissé avec sur les bras un grand nombre de textes, et très peu de temps pour en parler. Il a donc fallu trancher, ce que j’ai fait, d’autant plus que je ne voulais pas décevoir les heureux élus, comme cela m’était arrivé un an auparavant.
Cet auteur croisé sur Facebook s’appelle Noann Lyne, et il a donc eu l’idée de me relancer. Malheureusement, il s’y est pris d’une façon plutôt maladroite, ce qui m’a vraiment donné envie d’y répondre par un « Mais arrête donc de faire ton pleurnichard ! ». Ce que je n’ai pas fait. Au lieu de cela, j’ai décidé de regarder de plus près les textes qu’il m’avait proposés. Malheureusement, les liens vers son site ne marchaient plus et je me suis retrouvé avec une belle erreur 404. Qu’à cela ne tienne, je me suis rendu sur le site d’un de mes magasins favoris, j’ai choisi celui de ses textes qui me parlait le plus, L’ivresse des sens, et j’ai très volontiers déboursé ce qu’il fallait pour avoir le droit de le télécharger. 99 centimes, cela ne va pas me ruiner, et cela a en même temps le mérite de faire entrer quelques sous dans la tire-lire de M. Lyne, ce qui ne me dérange pas du tout.
Qu’en est-il maintenant de ce texte ? Vous comprendrez sans doute que le procédé de l’auteur ne m’a pas mis dans les meilleures dispositions envers son texte, et je vous assure que j’ai vraiment eu envie de le descendre, mais le Sanglier a beaucoup trop de respect pour l’effort littéraire et les textes pour se permettre une telle dérive. Et puis, si l’auteur a choisi de se battre pour son texte, est-ce qu’on peut reprocher à ce dernier le procédé maladroit de l’auteur en question ? J’ai donc respiré très profondément, compté jusqu’à 100, et me suis lancé dans l’aventure.
Une aventure qui, il faut le dire, commence sur les chapeaux de roues, par une descente dans un endroit que peu de mes lecteurs auront eu l’occasion de visiter, à savoir le sous-sol d’un ancien cinéma porno aménagé en cabines de branleur. C’est là que la narratrice descend pour s’y livrer à son plaisir qui, s’il n’est pas vraiment solitaire, n’en est pas moins bien isolé : sucer les queues passées dans les glory-holes. La description que Noann Lyne donne de la narratrice, des précautions qu’elle prend pour ne pas être reconnue, est assez coquette. Après cette belle entrée en scène, la narratrice recule et raconte des bribes de sa vie, un peu à la façon de celui qui jette des miettes de pain à son public. Le tout à la première personne, dans un style très condensé, avec au premier plan une femme très consciente de son corps et des changements que celui-ci a subis, d’abord en traversant l’adolescence, ensuite une grossesse. Grossesse qui l’a laissée avec vingt kilos supplementaires sur les hanches, et le sentiment d’être rejetée par les hommes friands de corps plus jeunes et plus fermes. Frustrée de la facilité qu’elle avait, « avant », de se trouver un partenaire pour partager la nuit, mal à l’aise dans son corps, elle passe à la vitesse supérieure après la découverte du Mini-Minuit, cinéma érotique pourvu de cabines pour hommes adeptes des pratiques d’Onan. Elle s’enfonce sous-terre, au coeur de la débauche, à l’abri de la lumière et du monde, et commence à se tailler une belle réputation :
« Tous les hommes se sont passé le mot. Salope, vicieuse, avaleuse et sale caractère. »
Tout cela annonce une belle petite histoire, éclose dans les bas-fonds de la vie où le Sanglier a l’habitude de traîner le groin. Jusqu’au jour où la narratrice croise, en sortant du Mini-Minuit, un inconnu qui se tient, impassible, devant elle. Celui-ci finit par la séduire et par lui faire connaître d’autres niveaux de la débauche, et il faut avouer que la scène de bukkake ne manque pas de charme, avec la belle grosse étendue sur le lit en train d’avaler des queues qui ensuite lui jutent dessus. Mais je reste bouche-bée devant la fin qui ressemble bien trop au coup de baguette de la Fée bienveillante qui permet à la protagoniste de vivre son happy end et de finir sa vie d’une façon bien bourgeoise, nonobstant une petite dose de débauche. C’est quoi, ça ? Une sorte de conte de fée où les loups auraient enfin compris l’utilité des jeunes filles pour en tirer un plaisir durable au lieu de les dévorer ?
Je ne regrette pas, en fin de compte, d’avoir dépensé quelques sous pour ce texte qui a au moins le mérite de n’être pas tout à fait comme les autres, même si je ne souscris pas vraiment à la fin. J’aimerais pouvoir lire, un jour, un texte plus conséquent de cet auteur, une novella voire un roman bien épais, pour pouvoir me faire une meilleure idée à propos de son talent et pour voir comment il s’y prendrait pour mieux développer la psychologie des personnages, élément qui ne le laisse pas indifférent à en juger d’après les (més-) aventures de la protagoniste de L’ivresse des sens.
Quoi qu’il en soit, cher confrère, quand je lèverai, ce soir, mon verre, ce sera en saluant nos rencontres futures. En espérant toutefois que tu auras appris, jusque-là, les mérites de la patience.
L’ivresse des sens
Éditions Sous la Cape
ISBN : 978−2−86807−257−3