
Mais c’est quoi, ce titre ? L’Empire du Mal, aurait-il choisi de s’établir sur les paisibles rives de l’Escaut ? Hantées désormais par la présence néfaste des Seigneurs, sombres et autres, ainsi que de leurs acolytes ? Ou Bart Ier de Flandre, est-ce qu’il aurait décidé d’installer sa baraque à frites préférée près de Mons, afin de profiter de ses déchets graisseux pour faire, à son tour, tache d’huile dans la contrée du doux parler roman ?
Mais non, mais non, restez tranquilles, chers lecteurs affolés, il n’en est rien. Il suffit de mettre les deux noms en majuscule, et vous saurez de quoi je voudrais vous causer : de la petite rivière éponyme du Comté de Hainaut, la Haine, ainsi que de l’histoire de cet ancien territoire de l’Empire (décidément, pas celui du Mal, l’autre, voyons …).
Mais avant de nous embarquer plus loin, j’explique un peu ma motivation. Aujourd’hui, 25 octobre, est le jour d’anniversaire d’une femme qui a occupé une grande place dans ma vie. Une femme née à Mons, fait qui est à l’origine d’un grand nombre de séjours dans la capitale hennuyère. Et chaque fois que j’arrivais en voiture et que je voyais les panneaux sur l’autoroute m’annoncer le voisinage d’une rivière appelée « Haine », je me disais que c’était là un drôle de nom pour un cours d’eau. Parce que, après tout, la vocation de ceux-ci, n’est-elle pas de relier les villes qui y sont enfilées ainsi que les hommes et les femmes qui habitent leurs bords ? Bien entendu, je savais depuis le départ que ce nom propre n’avait rien en commun avec le sentiment si peu malsain qu’on éprouve beaucoup trop souvent à l’égard de nos semblables. Mais je n’ai pas cherché à savoir, non plus, comment un toponyme très ancien pouvait se confondre, orthographiquement parlant, avec un sentiment si désagréable.
Mais, lancé dans une série d’articles portant sur l’histoire des territoires belges, j’ai pris prétexte de la date du 25 octobre pour enfin me documenter quelque peu sur le Hainaut et son histoire. Et j’ai très vite trouvé que son nom était dérivé de la rivière, fait qui s’explique plus facilement quand on utilise les noms allemands : la Haine = Henne, et le comté de la Haine, c’est le Henne-Gau, d’où la forme romanisée de « Hainaut ».
Ça, c’était facile. Il a fallu plus de recherches pour me renseigner sur les origines du nom Henne. Il paraît que, d’après un érudit du XIXe siècle, ce nom est constitué de deux composants : d’une part, le mot très ancien, d’origine indo-européenne, -apa-, signifiant eau, et d’autre part l’élément han qu’on retrouverait dans l’allemand Hahn, coq, et qui serait de la même famille que le latin canere, chanter. Pour comprendre un tel rapprochement, il faut savoir de quelle façon ont évolué les sons qui constituent les mots, et celui qui sait que le latin cantare a pu donné le français chanter, peut admettre que canere peut être continué, dans les langues germaniques, par des mots commençant par des sons gutturaux, ressemblant à l’espagnol José. Tout ça pour arriver à la conclusion que la Haine est donc la rivière qui chante, ce qui évoque tout de suite des images beaucoup plus paisibles, et le lecteur doué d’imagination voit ses riverains, assis dans les prés ou aux seuils de leurs maisons, enchantés par le gargouillement de la rivière qui passe au-dessus des chutes d’eau ou entre des bords resserrés.

Si le nom de ce territoire est donc des plus poétiques, son histoire a, au contraire, été des plus bouleversées. À son origine, fait qui ne saurait plus étonner le lecteur assidu, on trouve encore les Francs, dont les Seigneurs se disputaient ardemment la possession de ce bout de terre, sis, il est vrai, à la limite de la mythique Lotharingie, ce qui lui a conféré une immense valeur stratégique. De là, l’envie grandissante des rois de France de mettre leurs mains dessus. Un projet de très grande envergure, vu que c’était finalement le grand Louis qui, au XVIIe siècle, a pu intégrer au moins une partie du Comté de Hainaut à son royaume. Mais avant cela, le territoire, après avoir passé, pour des périodes plus ou moins étendues, entre les mains des ducs de Flandre ou de Brabant, finirent par être entraînées dans la marée bourguignonne qui, avant de finalement expirer sous les murs de Nancy, allait se briser aux pieds du Jura.
Réunies à l’héritage habsbourgeois, entrées dans le giron espagnol, et transférées ensuite entre les mains des Autrichiens, le Hainaut a connu le même sort que les autres territoires « belges », ce qui rendit évident, en 1830, sa réunion à la Belgique nouvellement crée.
Vu ce passé, on se demande comment le sus-mentionné Bart peut justifier devant ses ancêtres de dilapider leur héritage et de vouloir renoncer aux terres arrosées par la Haine qui, après avoir déjà appartenu à la Flandre, sont à nouveau tombées entre les mains des Romans grâce à Marguerite de … Flandre.
On le voit, l’Histoire réserve plus d’une blague à celui qui renonce à la connaître :-) !