À la recherche des racines – la col­lec­tion Hau­brich de Cologne

Heinrich Hoerle, Portrait de Josef Haubrich
Dr. Josef Hau­brich, vu par Hein­rich Hoerle

Par­fois, il faut prendre du recul, et pas­ser en revue ses propres atouts. Après le Musée Wall­raf, qui a sor­ti des cen­taines de toiles de ses dépôts pour les pré­sen­ter à l’oc­ca­sion de son 150ème anni­ver­saire, c’est le tour du Musée Lud­wig, pres­ti­gieuse ins­ti­tu­tion de la ville de Cologne dédiée à la pein­ture moderne et contem­po­raine, dont l’é­quipe a plon­gé jus­qu’aux sources de ses richesses, à savoir jus­qu’à la col­lec­tion Hau­brich, offerte à la ville par ce col­lec­tion­neur enga­gé et plein de cou­rage en 1946, un an à peine après la fin de la der­nière guerre. À une époque alors où l’Al­le­magne sor­tait d’un cau­che­mar sans pareil, et où elle redé­cou­vrait, éba­hie, les tré­sors de l’art moderne que la dic­ta­ture avait fait dis­pa­raître des musées, et dont elle avait pour­sui­vi et contraint à l’exil un grand nombre de ses pro­ta­go­nistes. C’est donc en par­tie grâce aux efforts de ce mécène moderne que la ville, en grande par­tie détruite, a pu voir de nou­veau miroi­ter, au milieu de la déso­la­tion, les cou­leurs res­plen­dis­santes d’une moder­ni­té qu’on avait essayé de traî­ner dans la boue.

L'affiche de l'exposition Haubrich, au Musée Ludwig de Cologne
L’af­fiche de l’ex­po­si­tion Hau­brich, au Musée Lud­wig de Cologne

L’un ou l’autre se sou­vient peut-être de mon article publié à l’oc­ca­sion de la décou­verte de plu­sieurs tableaux « doubles », c’est-à-dire dont le peintre a uti­li­sé le rec­to et le ver­so, pro­cé­dé appa­rem­ment assez cou­rant et cau­sé par la néces­si­té qui oblige les peintres dému­nis à faire des éco­no­mies sur les maté­riaux. Ces décou­vertes ont été faites pen­dant les tra­vaux pré­pa­ra­toires de l’ex­po­si­tion Hau­brich, affi­chée sous le titre quelque peu raco­leur de « Chefs d’œuvre de la Moder­ni­té ». Mais cette expo­si­tion sort du cadre de ce que l’on a l’ha­bi­tude de voir dès qu’il s’a­git de la Moder­ni­té clas­sique, parce qu’elle a le mérite sup­plé­men­taire de rap­pe­ler, après des décen­nies d’un oubli pro­gres­sif, le rôle de Josef Hau­brich, trop long­temps obs­cur­ci par l’é­clat d’un autre col­lec­tion­neur, Peter Lud­wig, qui, en léguant sa col­lec­tion de pein­ture inter­na­tio­nale du xxe siècle (entre autre des chefs d’œuvre de la Pop Art) à la ville de Cologne, a signé l’acte de nais­sance du musée qui porte désor­mais son nom. Aux dépens tou­te­fois de cette autre col­lec­tion dont le Musée Lud­wig est en train d’é­ta­ler la beau­té aux yeux du monde. Quatre semaines à peine auront suf­fi pour rap­pe­ler l’é­clat des œuvres que cet avo­cat a su ras­sem­bler, dans des condi­tions peu pro­pices à l’art, et qu’il a pu sau­ver, à tra­vers les affres de la guerre, du nau­frage d’un pays. Je m’en veux d’a­voir raté l’oc­ca­sion d’en par­ler plus tôt et de don­ner ain­si l’oc­ca­sion à ceux que cela inté­resse d’emprunter le TGV et de se rendre à Cologne pour y contem­pler quelques beaux tableaux qui ne sortent que trop rare­ment des dépôts. Des tableaux dont la ville ne sau­rait assez remer­cier ce pre­mier grand col­lec­tion­neur que fut Josef Hau­brich, et sans lequel le Musée Lud­wig serait bien plus pauvre.

À lire :
Thomas Galley, Le regard assassin

Quand on fait l’in­ven­taire de la col­lec­tion Hau­brich, on tombe sur des noms qui font par­tie du Pan­théon de la moder­ni­té clas­sique, comme Ernst Bar­lach, Max Beck­mann, Marc Cha­gall, Ernst Kirch­ner, Paul Klee, Wil­helm Lehm­bruck, August Macke, Pau­la Moder­sohn-Becker, Otto Muel­ler, Max Pech­stein, Karl Schmitt-Rot­tluff, et j’en passe. Une bonne par­tie de ces noms est, évi­dem­ment, régu­liè­re­ment pré­sente dans la col­lec­tion per­ma­nente du musée, mais les décou­vertes qu’il reste à faire par­mi ceux qu’on relègue à l’obs­cu­ri­té des dépôts sont tout sim­ple­ment épous­tou­flantes. On peut certes déplo­rer la déci­sion de bor­ner cette expo­si­tion à quatre petites semaines du mois d’août, mais je pré­fère encore me réjouir de ce qu’elle ait pu avoir lieu, et qu’elle m’ait per­mis de prendre quelques cli­chés que je vous pré­sente avec un très grand plaisir.

Et puis, n’ou­blions pas le fait que c’est à l’oc­ca­sion de cette expo­si­tion qu’on a entre­pris de dres­ser l’in­ven­taire de la col­lec­tion et de publier un très riche cata­logue, le pre­mier depuis la fin des années cin­quante, qui reflète enfin les recherches des der­nières décennies.

Julia Frie­drich (éd.) :
Meis­ter­werke der Moderne.
Die Samm­lung Hau­brich im Museum Lud­wig
ISBN : 978–3863351731
36 €

Un regard dans l'exposition
Un regard dans l’ex­po­si­tion : Le « double tableau » de Max Pech­stein, pré­sen­tant « Le cana­pé vert » au ver­so, et la femme de l’ar­tiste, au rec­to (visible dans le miroir). Une bonne solu­tion pour répa­rer un oubli assez spec­ta­cu­laire. Espé­rons qu’elle soit permanente.

Petite gale­rie de l’exposition

Ernst Barlach, L'homme qui chante Ernst Bar­lach
L’homme qui chante
1928
ML 76/SK 90
Otto Freundlich, Buste de femme Otto Freund­lich
Buste de Femme
1910
ML 76/SK 97
Heinrich Hoerle, Deux femmes Hein­rich Hoerle
Deux femmes
1930
ML 762880
Alexandre de Javlenskij, Femme aux fleurs dans les cheveux Alexej von Jawlensky
Femme aux fleurs dans les cheveux
1916
ML 763024
Ernst Ludwig Kirchner, Le pont du chemin de fer Ernst Lud­wig Kirchner
Le pont du che­min de fer
1914
ML 763110
Paul Klee, Routes principales et routes secondaires Paul Klee
Routes prin­ci­pales et routes secondaires
1929
ML 763253
Wilhelm Lehmbruck, Tête de femme penchée Wil­helm Lehmbruck
Tête de femme penchée
1911
MLK 76/SK 99
Wilhelm Lehmbruck, Femme qui regarde en arrière, front et dos Wil­helm Lehmbruck
Femme qui regarde en arrière
1914
ML 76/SK 122
Wilhelm Lehmbruck, Torse de fille se retournant Wil­helm Lehmbruck
Torse de fille se retournant
191314
ML 76/SK 61
August Macke, Dame au manteau vert August Macke
Dame au man­teau vert
1913
ML 762713
Paula Modersohn-Becker, Paysage de Worpswede Pau­la Modersohn-Becker
Pay­sage de Worpswede
1903
ML 762868
Paula Modersohn-Becker, La sœurette aveugle Pau­la Modersohn-Becker
La sœu­rette aveugle
1903
ML 762756
Otto Mueller, Deux demi-nus Otto Muel­ler
Deux demi-nus
1919
ML 762757
Otto Mueller, Deux gitanes avec chat Otto Muel­ler
Deux gitanes avec chat
192627
ML 762872
Otto Mueller, Case gitane avec chevre Otto Muel­ler
Case gitane avec chèvre
Paul Seehaus, Ville alpine Paul See­haus
Ville Alpine
1915
ML 762767
La Sirène de Montpeller