
Parfois, il faut prendre du recul, et passer en revue ses propres atouts. Après le Musée Wallraf, qui a sorti des centaines de toiles de ses dépôts pour les présenter à l’occasion de son 150ème anniversaire, c’est le tour du Musée Ludwig, prestigieuse institution de la ville de Cologne dédiée à la peinture moderne et contemporaine, dont l’équipe a plongé jusqu’aux sources de ses richesses, à savoir jusqu’à la collection Haubrich, offerte à la ville par ce collectionneur engagé et plein de courage en 1946, un an à peine après la fin de la dernière guerre. À une époque alors où l’Allemagne sortait d’un cauchemar sans pareil, et où elle redécouvrait, ébahie, les trésors de l’art moderne que la dictature avait fait disparaître des musées, et dont elle avait poursuivi et contraint à l’exil un grand nombre de ses protagonistes. C’est donc en partie grâce aux efforts de ce mécène moderne que la ville, en grande partie détruite, a pu voir de nouveau miroiter, au milieu de la désolation, les couleurs resplendissantes d’une modernité qu’on avait essayé de traîner dans la boue.

L’un ou l’autre se souvient peut-être de mon article publié à l’occasion de la découverte de plusieurs tableaux « doubles », c’est-à-dire dont le peintre a utilisé le recto et le verso, procédé apparemment assez courant et causé par la nécessité qui oblige les peintres démunis à faire des économies sur les matériaux. Ces découvertes ont été faites pendant les travaux préparatoires de l’exposition Haubrich, affichée sous le titre quelque peu racoleur de « Chefs d’œuvre de la Modernité ». Mais cette exposition sort du cadre de ce que l’on a l’habitude de voir dès qu’il s’agit de la Modernité classique, parce qu’elle a le mérite supplémentaire de rappeler, après des décennies d’un oubli progressif, le rôle de Josef Haubrich, trop longtemps obscurci par l’éclat d’un autre collectionneur, Peter Ludwig, qui, en léguant sa collection de peinture internationale du xxe siècle (entre autre des chefs d’œuvre de la Pop Art) à la ville de Cologne, a signé l’acte de naissance du musée qui porte désormais son nom. Aux dépens toutefois de cette autre collection dont le Musée Ludwig est en train d’étaler la beauté aux yeux du monde. Quatre semaines à peine auront suffi pour rappeler l’éclat des œuvres que cet avocat a su rassembler, dans des conditions peu propices à l’art, et qu’il a pu sauver, à travers les affres de la guerre, du naufrage d’un pays. Je m’en veux d’avoir raté l’occasion d’en parler plus tôt et de donner ainsi l’occasion à ceux que cela intéresse d’emprunter le TGV et de se rendre à Cologne pour y contempler quelques beaux tableaux qui ne sortent que trop rarement des dépôts. Des tableaux dont la ville ne saurait assez remercier ce premier grand collectionneur que fut Josef Haubrich, et sans lequel le Musée Ludwig serait bien plus pauvre.
Quand on fait l’inventaire de la collection Haubrich, on tombe sur des noms qui font partie du Panthéon de la modernité classique, comme Ernst Barlach, Max Beckmann, Marc Chagall, Ernst Kirchner, Paul Klee, Wilhelm Lehmbruck, August Macke, Paula Modersohn-Becker, Otto Mueller, Max Pechstein, Karl Schmitt-Rottluff, et j’en passe. Une bonne partie de ces noms est, évidemment, régulièrement présente dans la collection permanente du musée, mais les découvertes qu’il reste à faire parmi ceux qu’on relègue à l’obscurité des dépôts sont tout simplement époustouflantes. On peut certes déplorer la décision de borner cette exposition à quatre petites semaines du mois d’août, mais je préfère encore me réjouir de ce qu’elle ait pu avoir lieu, et qu’elle m’ait permis de prendre quelques clichés que je vous présente avec un très grand plaisir.
Et puis, n’oublions pas le fait que c’est à l’occasion de cette exposition qu’on a entrepris de dresser l’inventaire de la collection et de publier un très riche catalogue, le premier depuis la fin des années cinquante, qui reflète enfin les recherches des dernières décennies.
Julia Friedrich (éd.) :
Meisterwerke der Moderne.
Die Sammlung Haubrich im Museum Ludwig
ISBN : 978–3863351731
36 €
