En-tête de la Bauge littéraire

La beau­té selon Félix

Avant de me lan­cer dans un nou­veau sujet, je m’ar­rête un ins­tant pour vous sou­hai­ter une très bonne année 2011, rem­plie de tout ce que vous puis­siez souhaiter !

Voi­là, c’est fait ;-)

Voi­ci venu le temps de vous par­ler très briè­ve­ment de mes congés ou, plus pré­ci­sé­ment, de ce que j’ai fait pen­dant ces dix jours de congé que j’ai pas­sés avec ma famille. La plu­part du temps, on est res­té à la mai­son, à fai­néan­ter, à papo­ter, à jouer, voire à regar­der la télé – ce qui ne nous arrive pas si sou­vent que ça (entre paren­thèses, on a vu le der­nier volet des « Gil­more Girls ». En entier. Oui, ça vaut le coup, c’est extra !!).

Mais ce n’est pas tout, évi­dem­ment. On a pas­sé une jour­née à Müns­ter, petite ville uni­ver­si­taire bien sym­pa à quelques 150 kilo­mètres au nord de Cologne. Ma femme et mes filles se sont pro­po­sées de par­tir à l’as­saut des maga­sins, et moi, j’ai pro­fi­té de ces quelques heures soli­taires pour visi­ter leur musée de l’Art et de l’His­toire de l’Art. Drôle de nom, oui, un brin tapa­geur même, mais bon. Le musée était ouvert, d’ac­cord, mais, et ce n’é­tait pas indi­qué sur leur site inter­net, la plu­part des tableaux avait été mis au dépôt pour cause de réno­va­tion. Heu­reu­se­ment, pour sau­ver ma jour­née, un choix de tableaux était tou­jours acces­sible dans une expo­si­tion – minus­cule, il est vrai, mais néan­moins inté­res­sante. Mais ce n’est pas de cela que je vou­drais vous par­ler aujourd’­hui. L’ar­tiste auquel je consacre cet article, Félix Val­lot­ton, n’est pas pré­sent dans ce musée. MAIS – dans la librai­rie affi­liée au musée, j’ai trou­vé une carte pos­tale avec un tableau de ce peintre suisse : « La Lec­ture aban­don­née ». Le regard de cette femme cou­chée m’a aiman­té. Et comme je suis tou­jours à la recherche de motifs plu­tôt en lar­geur pour pou­voir vous pré­sen­ter de nou­veaux en-têtes sur mon blog, j’ai ache­té la carte sans réflé­chir plus que ça, pour la pas­ser au scan­ner une fois ren­tré à la maison.

À lire :
Joyeuses Pâques
Félix Vallotton, Femme nue regardant dans une psychée
Félix Val­lot­ton, Femme nue regar­dant dans une psychée

Cette petite décou­verte m’a rap­pe­lé les autres tableaux de Val­lot­ton que j’ai pu décou­vrir au fur et à mesure de mes pro­me­nades « telaires » (entre autre celui où Europe se fait enle­ver par le tau­reau et que j’ai déjà mis dans un article), et j’ai déci­dé d’en par­ler aujourd’­hui et de vous pré­sen­ter une toute petite gale­rie de mes préférés.

Félix Vallotto, nu assis
Félix Val­lot­ton, nu assis

Félix Val­lot­ton, donc. Ce n’est certes pas un des grands noms qu’on décline à tout bout de champ, mais ses tableaux sont pré­sents dans quelques-uns des plus grands musées, notam­ment le Quai d’Or­say, à Paris, et l’Er­mi­tage, à Saint-Péters­bourg. Après avoir fait des ravages dans le pre­mier quart du XXe siècle, le silence s’est pro­gres­si­ve­ment ins­tal­lé autour de lui, sans qu’il ait pour autant som­bré dans l’ou­bli. Vous qui me connais­sez à tra­vers mes articles, vous savez que rien ne m’at­tire aus­si irré­sis­ti­ble­ment comme la beau­té fémi­nine. Les corps déployés, offerts, expo­sés, qui invitent les regards, ou par­fois les souffrent, et qui consentent à nous racon­ter des his­toires – voire leurs his­toires. Ce qui m’a frap­pé, c’est que, dans ces tableaux, on n’a pas affaire à ces beau­tés imma­cu­lées et irréelles des Caba­nel et autres met­teurs en scène de chair fémi­nine, mais bien à des êtres écra­sés peu à peu par ce cha­riot trop lour­de­ment rem­pli de mal­heurs que le Temps s’a­muse à faire pas­ser sur nous. Mais la beau­té qui en résulte est bien plus atti­rante que celle de toutes ces déesses qui se vautrent éter­nel­le­ment aux bords de sources trop lim­pides, ber­cées par des vagues trop régu­lières d’o­céans trop calmes. Un regard a suf­fi pour que je tombe amou­reux de ces femmes que l’art de Félix nous conte et nous montre dans toute leur splendeur.

Félix Vallotton, Nu debout dans l'eau
Félix Val­lot­ton, Nu debout dans l’eau

Pour pré­pa­rer ce petit essai, j’ai lu l’ar­ticle cor­res­pon­dant sur Wiki­pe­dia. Le conte­nu est assez pauvre en ren­sei­gne­ments, mais on y trouve une indi­ca­tion inté­res­sante. En 1910, il y a eu une grande expo­si­tion, à Paris, consa­crée à Val­lot­ton, et c’est Octave Mir­beau qui a pré­fa­cé le cata­logue. J’ai cher­ché un peu sur la toile pour savoir ce que ce poète de la déca­dence et de la chair a su dire d’un peintre qui a su faire par­ler la chair comme peu d’autres avant lui. Et voi­ci ce que j’ai trouvé :

À lire :
Laon - impressions cathédralesques
Félix Vallotton, Nu se déshabillant
Félix Val­lot­ton, Nu se déshabillant

« Quan­ti­té de braves gens, de par le monde, voient la pas­sion, dans les chairs cirées et souf­flées. Leur concep­tion de la volup­té, de la sen­sua­li­té, tout au moins, s’ac­com­mode de corps de femmes sur la peau de qui rien n’ap­pa­raît, rien n’ef­fleure de leur struc­ture mus­cu­laire ou osseuse, en qui, par consé­quent, rien ne vit. Ils se satis­font de jambes bien lisses, de hanches polies à l’é­me­ri, de seins ronds façon­nés patiem­ment à la meule, puis gon­flés d’ouate, qu’au­cune main, même d’en­fant, n’a pétris, qu’au­cune bouche, même d’a­mant, n’a mor­dus. Et c’est comme si elles étaient mortes … Et pour­vu que cette femme sans vie, qu’ils aiment ain­si construite, selon l’i­déal des man­ne­quins de cou­tu­rière, et des bau­druches des maga­sins de jouets, ait, par sur­croît, autour des yeux, un cerne bleu, alors ils déclarent et ils disent : « Voi­là la passion ! »

Félix Vallotton, la lecture abandonnee
Félix Val­lot­ton, la lec­ture abandonnee

Ce n’est point, en effet, celle dont M. Val­lot­ton marque ses figures inoubliablement

Félix Vallotton, Nu
Félix Val­lot­ton, Nu

Les corps humains, comme les visages, ont des expres­sions indi­vi­duelles qui accusent, par des angles, par des plis, par des creux, la joie, la dou­leur, l’en­nui, les sou­cis, les appé­tits, la déchéance phy­sio­lo­gique qu’im­prime le tra­vail, les amer­tumes cor­ro­sives de la volup­té. Les corps sou­rient, comme des lèvres heu­reuses, ou bien ils pleurent, comme des pauvres yeux affli­gés. On peut lire toute une exis­tence, sur le corps d’un être, aus­si faci­le­ment que sur son visage, car, non seule­ment les corps sou­rient et ils pleurent, mais ils parlent … et ils expriment, for­te­ment, avec la [???] émou­vante élo­quence, quand c’est M. Val­lot­ton qui les écoute par­ler, leur huma­ni­té et le carac­tère de leur humanité. »

Octave Mir­beau, Sur M. Félix Val­lot­ton. In : Cata­logue de l’ex­po­si­tion Félix Val­lot­ton, Gale­rie Druet, du 10 au 22 jan­vier 1910 (consul­ter le docu­ment).

Félix Vallotton, le repos des modèles
Félix Val­lot­ton, le repos des modèles