Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de parler une première fois d’un nouvel éditeur dont le catalogue comprend quelques titres érotiques très prometteurs. Et voici qu’après Valdorane, j’accueille une autre de ses égéries, Jeanne Volange, qui signe ici un recueil de nouvelles dont le titre, à défaut d’être original, ne laisse subsister aucun doute quant à ce qui attend celle ou celui qui franchit la page de couverture : Fleurs de soufre.
Et des fleurs, il y en a dans ce texte, et tout d’abord ses héroïnes dont on suit les aventures avec grand plaisir. Celles-ci ne sont pourtant pas les seules fleurs à s’épanouir au cours des neuf nouvelles, l’autrice exploitant savamment les particularités des anatomies qui se dressent en pistils ou qui se gonflent de sève pour présenter de belles corolles bien fournies à celle ou à celui qui vient butiner.
Le tout s’ouvre sur un récit particulièrement charmant, celui d’Alice, jeune étudiante pleine du charme de sa jeunesse et de son innocence, capté à l’instant d’embrasser une vie nouvelle qui lui fera faire des découvertes auxquelles elle ne s’attendait sans doute pas. Et ce premier texte révèle aussi la maîtrise de Jeanne Volange quand il s’agit de capter l’essence d’un instant, de rendre une ambiance en quelques mots :
« Aujourd’hui, la pierre de Jaumont des maisons messines brille d’un éclat de fin d’été, et les tons brun-orangé donnent aux artères un air d’Italie. Le soleil se répand sur la nappe luisante des pavés. Une brise légère soulève les pans de sa robe bleu ciel… » [1]Alice
Une mise en bouche qui ne laisse que très peu de doutes à propos des délices qui se préparent dans une telle ambiance. Et si je ne vais pas vous révéler les suites de cette aventure à peine entamée, je ne vais pas non plus me priver de vous promettre une découverte des plus sensuelles, une découverte qui profitera bien sûr à la protagoniste, mais aussi à celles et à ceux qui consentent à se laisser conduire avec la jeune femme dans ce réduit où « s’amoncellent des piles de livres ».
Alice, c’est une ouverture délicieuse, tout en raffinements sensuels, avec son décor de librairie envahie par un déluge de corps de femmes, l’opposition entre la noire Hélène et la blonde et fine Alice, les joies de la séduction conquérante, le feu du désir à peine allumé, nourri par les bonnes lectures jusqu’à devenir l’irrésistible brasier qui consume toutes les réticences.
On trouve aussi dans ce court texte d’une remarquable intensité des clins d’œil répétés à la grande Anaïs Nin et à son célèbre recueil de nouvelles Vénus Erotica [2]Traduction que je trouve particulièrement malhabile, compte tenu surtout du raffinement de l’original Delta of Venus., recueil fortement recommandé par Hélène, libraire de son état, à sa jeune amie. Dans l’espoir sans doute d’amorcer un geste de séduction littéraire ? Quoi qu’il en soit, le nom de l’héroïne servant lui-même de trait d’union entre les Fleurs de soufre et l’autrice américaine [3]Les lecteurs français auront sans aucun doute eu l’occasion de tomber sur Alice et autre nouvelles, recueil publié en 2010 par La Musardine., on devine que le clin d’œil de Jeanne Volange est avant tout une invitation à relire ce grand classique de la littérature érotique et féministe. Invitation à laquelle je ne peux que souscrire !
Les autres récits sont pour la plupart bien moins lumineux que celui qui ouvre le bal, encore que la sensualité n’y manque jamais au rendez-vous. Mais comme l’amour tend à compliquer les choses et que les années amoncellent bien souvent des misères et des désillusions au risque d’étouffer les joies de la sensualité, d’autres récits ne taisent pas l’obscurité qui foisonne à l’abri des regards. Les abîmes d’une longue habitude qui enferme parfois mieux les âmes que des murs de prison (Sans contraintes) y côtoient les douleurs d’un premier amour dont le souvenir ne s’efface jamais (Corps à cœur). Et Jeanne Volange réussit le pari d’allier le silence des instants manqués, à peine couvert par la banalité des échanges quotidiens, au souvenir des nuits d’orage décliné sur la magie des paroles de Brassens (L’orage).
Les récits de ce recueil, très souvent constitués sous forme de dialogues imaginés, ce sont des scènes comme arrachées à la vie, avec des personnages qui s’imposent, leur véracité soulignée et rendue palpable par les petits détails qui ne trompent pas, comme ces marques sur la peau d’une des protagonistes, sereinement relevés par l’autrice dans ce qui ressemble parfois au simple compte-rendu :
« Sur mes épaules, les marques du soutien-gorge » [4]La douche écossaise
Pour la plupart – et malgré les nombreuses références littéraires – ce sont des histoires sans grandes exigences, simples, mais d’autant plus séduisantes. Des hommes et des femmes qui se côtoient, au rythme des jours qui passent, criblés de leurs petits bonheurs et de leurs petits drames, des fils appelés à se rompre, à disparaître dans le noir de la mémoire qui s’efface, à l’image de celle des malades « qui avaient laissé leur passé au vestiaire » [5]L’orage.
Dans ces textes, la nostalgie des nouveaux départs côtoie les renoncements et la désillusion. J’aurais bien sûr aimé trouver dans ce recueil d’autres textes dans la veine de celui qui ouvre le bal, illustration d’une joie sereine de vivre, de séduire et de se laisser séduire en succombant à toutes les tentations, texte d’une légèreté qui ressemble aux battements des ailes d’un papillon un jour de mai sous le soleil. Mais comme on sait que tout est lié, et que les battements d’un pavillon ici sont à l’origine des tempêtes d’ailleurs, il faut sans doute accepter que l’un ne s’imagine sans l’autre. Une grande partie du charme de ces textes consiste toutefois dans le traitement de l’espace de l’action tel qu’il s’étend dans le temps, du récit qui englobe à peine quelques heures à celui destiné au long cours où la narration se saisit d’une vie entière pour couler ses drames et ses émotions dans une petite dizaine de pages d’une extraordinaire richesse.
Fleurs de soufre reprend d’ailleurs deux textes initialement parus en 2014 sous le pseudonyme Blondie Blue, dans la collection Culissime des Éditions SKA, sous le titre Chair amie : Un contrat bien rempli et La douche écossaise. Je vous invite à relire pour plus de détails l’article que j’ai mis en ligne à l’occasion de leur publication, article où – déjà – s’exprime ma fascination pour le traitement des détails de la part de l’autrice.
Aujourd’hui, après un trop long silence, on ne peut que se féliciter de la publication de ce nouveau recueil, preuve que l’autrice ne lésine pas sur ses moyens (ni sur les charmes de ses protagonistes), et l’occasion pour celle-ci de changer de pseudonyme pour mieux exprimer ce mélange des plus irrésistibles – qui peut en même temps être un parcours – celui qui allie l’innocence au dévergondage. Tout en tirant sa référence à l’âge d’or de la littérature française qui, si l’on veut croire le portrait tel qu’il est dressé en guise de conclusion, fait partie de ses références depuis sa plus tendre enfance :
« Jeanne Volange a dévoré toute la série de La Comtesse de Ségur à l’âge de six ans, et dès lors la passion des mots ne l’a plus quittée. » [6]L’auteur
Quel bonheur que cette passion-là ait engendré des textes dédiés à celle des sens, captée dans ses aspects si divers, du travail de sape souterrain à l’emprise d’airain qui marque de ses traces des vies entières.
Jeanne Volange
Fleurs de soufre
Évidence Éditions
ISBN : 9791034802067
Références
↑1 | Alice |
---|---|
↑2 | Traduction que je trouve particulièrement malhabile, compte tenu surtout du raffinement de l’original Delta of Venus. |
↑3 | Les lecteurs français auront sans aucun doute eu l’occasion de tomber sur Alice et autre nouvelles, recueil publié en 2010 par La Musardine. |
↑4 | La douche écossaise |
↑5 | L’orage |
↑6 | L’auteur |