Ceci, malgré la fâcheuse tendance à coller cette étiquette fourre-tout sur le moindre bout de prose un peu long, n’est pas un roman. C’est un dialogue qui s’entame, à cinquante ans de distance, entre Jack Kerouac, le célèbre « pionnier » (c’est la Wikipedia qui le dit) des beatniks, d’un côté, et, de l’autre, le grand voyageur frenchie, Guillaume Chérel, parti sur les traces de son illustre prédécesseur. Un dialogue nécessairement intérieur, aux allures donc de monologue, où, souvent, le lecteur ne se retrouve plus et qu’il faut lire et relire pour savoir à qui des deux, de Jack ou de Guillaume, il faut attribuer une phrase, une image, une réflexion. Et encore… à force de mâcher et de remâcher les pages du roman américain, Chérel finit par se les ingurgiter, par engraisser et par divaguer dans une zone d’ombre qui réunit ces deux personnalités, celle qui parle à force d’être lue, et celle qui bavarde tout en essayant d’appréhender la substance d’un écrivain mort depuis longtemps.
Quel projet aussi, celui de refaire la « Route », de se l’approprier en quelque sorte, voire l’usurper, et de rivaliser avec un des mythes fondateurs de l’après-guerre, celui du départ éternel, de la vie en mouvement, de l’obsession de faire l’expérience du pays, du monde, en fourrant son nez jusque dans les derniers recoins. Mais je me rends compte que je chemine trop vite. Commençons donc par le début. Revenons un quart de siècle en arrière.
C’est en 1987 que j’ai entendu pour la première fois parler de ce texte mythique, On the road. Qui me fut présenté par le cuistot du lycée où, à l’époque, je travaillais, un certain – Jacques. Non, je ne plaisante pas, c’est la vie qui s’en charge. Le Jacques en question était ce qu’on pourrait bien appeler un beatnik, un mec qui avait souffert les ravages de la vie après avoir osé s’y frotter de trop près. Un mec bien que j’ai continué à fréquenter même après mon départ. Depuis cette rencontre, le texte a continué à me narguer, mais je n’ai jamais trouvé le temps / eu le courage de le lire. Ce que j’ai finalement fait il y a à peu près six mois. Et comme tout est toujours lié, voilà-t‑y pas que je tombe sur un article de mon confrère des Éditions Edicool, Franck-Olivier Laferrère, qui présente le projet de Guillaume Chérel. Tous les ingrédients sont alors réunis pour que je me lance, et je remercie les Éditions Transboréal pour le SP qu’elles n’ont pas tardé à m’envoyer.
Le moins que je puisse dire, c’est que j’ai aimé faire un bout de chemin en compagnie de Guillaume. Et des ombres qui lui ont tenu compagnie. Celle de Jack, évidemment, mais aussi celles de Neal Cassady et de la bande entière des beatniks, tout comme celles encore qui sont sorties de sa propre jeunesse, de son premier voyage aux States et de toutes les rencontres qu’il a pu faire en parcourant ce pays énorme qui ressemble à lui tout seul à un continent. Parce que cela permet, entre autres, de profiter de ses lectures, et je peux vous assurer que le nombre de livres qu’il a dû engloutir en cours de route n’est pas négligeable. Parce qu’on pénètre avec lui dans des endroits qu’on n’aurait sans doute jamais vus. Ou sur lesquels on aurait porté – forcément – un autre regard que celui qu’il laisse tomber du haut de ses presque deux mètres. Et j’aime ça, me glisser dans la peau d’un autre et voir le monde à travers ses yeux. Guillaume Chérel, il sait faire profiter ses lecteurs de ses expériences, leur peindre les scènes qu’il a pu voir au cours de son trajet, les inclure, après coup, dans ses conversations, leur montrer les coins où il a pu pénétrer. Parfois, c’est assez intense. C’est ainsi qu’on voit défiler l’armée des sans abris (les homeless, comme il préfère dire) côtoyant les riches, de New York à Los Angeles, et qu’on participe, peu après, aux parties dans les villas de L.A ou sur les plages de East Hampton. De ce côté-là, il n’y a rien à dire.
Mais je dois avouer que j’ai été très content quand j’ai enfin pu tourner la dernière page du bouquin, parce que, à vrai dire, le radotage du Guillaume en fin de parcours commençait à sérieusement me taper sur les nerfs. Parce que, la route, apparemment, ça use. Je suppose que vous connaissez tous le vieux refrain :
Un kilomètre à pied, ça use, ça use,
Un kilomètre à pied, ça use les souliers.
Qu’en dire de plusieurs milliers de kilomètres (20.000, comme il le précise p. 318) ? Et il n’y a pas que les souliers qui s’usent, loin de là, y passe aussi la pertinence des choses qu’on peut avoir à dire. Désolé, Guilaume, mais j’ai parfois eu l’impression d’assister à un véritable massacre, comme si quelqu’un était en train d’ensevelir les pierres d’une vieille route romaine sous des tonnes de déchets. Sérieusement, récapituler des passages entiers du livre de Jack, ça sert à quoi ? Si tu le fais dans le secret de ton bureau, ou encore dans l’intimité de ton siège de car Greyhound, pour te tenir occupé, pour te faire oublier les pieds qui enflent, passe. Mais en remplir les pages de ton livre à toi ? Et puis, c’est quoi, tous ces chapitres où tu nous racontes une partie de tes aventures, juste pour les raconter une deuxième fois tout de suite après ? Tu as repris des passages de ton blog pour les insérer dans le bouquin, sans pour autant te relire avant ? Quid encore de l’arrogance de celui qui bouge, qui bourlingue, et qui se croit au-dessus de la mêlée, de la foule qui ne serait même pas vivante ? On a envie de lui jeter son verre à la figure et il faut l’effort de deux mille ans de civilisation pour y renoncer et se contenter de lui gueuler dessus : « You think you’re better than me ? » Surtout quand on s’aperçoit qu’il n’a rien de mieux à faire que de médire de ses « prétendus amis » qui l’auront quand même hébergé et nourri.
Je me rends compte que, à dialoguer ainsi avec toi, je dois encore être sous le coup de la lecture. Normal, je l’ai terminée pas plus tard que ce matin. Et comme le livre est un immense dialogue (avec parfois d’autres voix qui s’y mêlent), je suis passé moi aussi au dialogue, avec quelqu’un qui, mine de rien, vient de m’emmener très loin de chez moi. Je dois te concéder cela, Guillaume, tu as le bras long. Normal, tu me diras, avec tes presque deux mètres…
Quelle est donc l’impression qui restera ? Il est peut-être trop tôt pour le dire, mais j’ai l’impression que Guillaume Chérel n’a pas la taille (ha, ha) de son projet mégalomane. On peut évidemment partir « aux États-Unis avec Kerouac » (c’est le sous-titre du bouquin), on peut faire la route avec ses paroles dans la poche et l’écho de qu’il a écrit il y a cinquante ans dans la tête, mais est-ce qu’on peut pour autant refaire cette route-là ? Je souscris pleinement au « Prologue » qui se termine par cette phrase remarquable :
Comme lui [i.e. Kerouac], j’ai écrit ce livre parce que nous allons tous mourir. Alors, restons vivants, dans cette Amérique comme poème… » (p. 23)
Mais comment supporter le radotage qui se déverse ensuite par chapitres entiers ?
Pour conclure, je dirais qu’il vaudrait mille fois mieux relire, encore une fois, Sur la route. Celle de Kerouac, évidemment, peu importe la tournure qu’a pu prendre sa vie après son retour au foyer. Les instants hallucinatoires que celui-ci a réussi à capter, la clarté éblouissante qui fait éclater le verbe qu’il a su manier, la fièvre à peine supportable des jazzmen qui, poussés par les cris de Neal, « Blow, blow ! », se déchaînent, le brouillard dans la baie de San Francisco, les araignées dans la cabane où il baise sa presque fiancée mexicaine, tout ça, c’est loin, très loin au-dessus de ce dont est capable Guillaume Chérel. Désolé.
Merci quand même pour ta route à toi, parce que se livrer ainsi, ce n’est pas rien, non plus.
Guillaume Chérel
Sur la route again
Transboréal
ISBN : 978−2−36157−050−7
5 réponses à “Guillaume Chérel, Sur la route again”
M’ouais… dans le genre radotage, tu en connais un bout : relis ton article, ça sent l’aigreur et la jalousie : j’ai fait ce que tu aurais aimé faire… mais n’a pas osé faire… C’est le premier article en grande partie négatif : tant pis pour toi. Tous les autres lecteurs de ce livre ont été emportés par l’énergie… que tu ne possèdes pas ou plus, on dirait… Suis blinde, t’inquiète : je savais que c’était un sujet casse-gueule… et que les pseudos connaisseurs de Kerouac et des beatniks allaient me tomber dessus, comme dans le Blog de Libé… que tu as l’air de connaître, ma foi : m’étonnerait pas que tu aies fait parti des casse‑c…qui me chiaient dans les bottes alors que je m’éclatais sur la Route.
So long… A toi de jouer : montre nous ce que tu sais faire.
Salut Guillaume, merci pour ton commentaire et surtout : Bienvenu dans la Bauge :-)
Ton commentaire, faut dire, je l’attendais un peu, et tu m’as fait le plaisir de le tourner exactement comme si je l’avais commandé. Sérieusement, tu te défends en me reprochant « l’aigreur et la jalousie » ? Et en prétendant que tu aurais fait ce que je n’aurais ose ? Comme tu y vas ! Dis, tu ne trouves pas que c’est un brin trop facile ?
Rassure-toi pourtant, parce que, pourquoi le serais-je, jaloux ? Tu le dis toi-même que tes bouquins ne marchent pas, et quant aux voyages, je dois te dire qu’ils ne me tentent pas plus que ça :
Tu connais ? Je te recommande le bouquin, il est merveilleux, un peu comme tombé hors du temps… Je ne te reproche pas ton style de vie, laisse-moi tranquillement suivre ma route à moi, ne fût-elle qu’imaginaire, OK ?
Quant à l’aigreur, laisse-moi réfléchir quelques instants *.*.*. Non, je ne vois pas du tout, désolé. Mais si tu n’es pas trop écœuré, j’aimerais te conseiller quelques articles. Comme ça, tu peux voir ce que ça donne quand j’apprécie :
Ensuite, tu me dis que le mien est le « premier article en grande partie négatif » tandis que tous les autres ont été emportés par l’énergie de ton livre ? Et ben, good for you, et je suis super content pour toi ! Honnêtement, je te souhaite qu’il marche, ton bouquin, cette fois-ci ! Il y a seulement que, moi, je ne l’y vois pas du tout, cette énergie. Il ne faut pas être spécialiste de Kerouac ou des Beatniks (ce que je ne suis d’ailleurs pas) pour s’en apercevoir, pour constater qu’il y a ce petit quelque chose de supplémentaire chez eux qu’on ne trouve pas chez toi… Mais ce n’est que mon avis à moi, qui n’engage que moi, et si tous les autres te disent le contraire, et ben, pourquoi faire attention à moi ?
Ensuite, le blog sur Libé, que j’ai « l’air de connaître ». Comment aurais-je pu ignorer son existence, vu que tu en parles de long et en large dans ton récit ? Tu sais, je l’ai lu, ton livre, et si j’ose en parler, c’est pas après avoir lu un bête CP et quelques extraits… J’estime que c’est quand même le droit des auteurs, d’exiger de ceux qui en parlent de les avoir lus – au moins (« compris », c’est autre chose, mais bon, on se comprend, hein?)
Bon, avant de te laisser aux préparatifs de ton prochain voyage, une petite question : Qu’est-ce que je devrais prouver, moi ? Je vis ma vie comme je l’entends, je me suis créé un petit coin agréable et bien fréquenté sur la toile, j’ai publié quelques textes… Ça me va comme ça :-)
Bonne route vers de futures aventures, et si jamais tu te sens l’envie de m’envoyer une carte postale, tu trouves l’adresse sur le site !
Pas lu le bouquin… j’ai lu la critique (un peu rugueuse il est vrai) et j’ai lu le commentaire mesquin et fielleux ci-dessus émanant de l’hauteur, pardon, l’auteur du bouquin sus-nommé.
La critique m’a pas donné envie de lire le bouquin. Le commentaire m’a encore moins donné envie de lire le bouquin. Il m’a par contre donné envie de retourner une avoine à un mec qui prend manifestement son cul pour le saint sacrement. N’est pas Kerouac qui veut mon petit pote ! Pfff.