Fran­çois Four­net, Ban­lieues chaudes

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Media 1000 est une des col­lec­tions de textes éro­ti­co-por­no­gra­phiques dont le San­glier, on devrait le savoir depuis le temps qu’il vous en parle, raf­fole [1]Cf. l’ar­ticle mis en ligne il y a à peine quelques jours à pro­pos de Vices au cam­ping, excel­len­tis­sime BD de Chris.. Pour mon plus grand mal­heur, la col­lec­tion sem­blait depuis long­temps déser­tée, orphe­line de nou­veau­tés, tirant sa gloire entière des réédi­tions qui n’en finis­saient pas de faire res­sur­gir des titres dont cer­tains ont vu la lumière du jour il y a des décen­nies. Cela a évi­dem­ment eu l’a­van­tage de rap­pe­ler au public avide de sen­sa­tions fortes les mérites de ces textes en les rap­pe­lant au bon sou­ve­nir des ama­teurs de chan­tilly, et c’est par ce biais que j’ai fait quelques-unes de mes plus belles décou­vertes. Et cer­tains de ces titres ont gar­dé une telle force – volon­tiers asso­ciée à la jeu­nesse – que j’ai sou­vent été loin de leur soup­çon­ner un âge qui n’au­rait pas dépa­reillé sur les éti­quettes des meilleures crues bordelaises.

Quoi qu’il en soit, j’ai eu le bon­heur de rece­voir, il y a à peine quelques jours, un nou­veau titre de chez Média 1000 dans une col­lec­tion bien nom­mée pour célé­brer les joies de la résur­rec­tion : Les nou­veaux inter­dits. Et puis, en étu­diant la pré­face, nou­velle sur­prise, et de taille : La col­lec­tion, asso­ciée depuis des temps presque immé­mo­riaux au vété­ran de l’é­ro­tisme, Espar­bec, est désor­mais pla­cée sous l’é­gide d’une des meilleures plumes de l’an­cienne col­lec­tion, à savoir Chris­tophe Sié­bert. Si j’ai jamais vu un coup de pro­mo digne d’être relayé dans les colonnes de la Bauge lit­té­raire, en voi­ci un !

Les Nou­veaux Inter­dits, une col­lec­tion de textes hard inédits, écrits par des auteurs d’au­jourd’­hui : le roman por­no tou­jours aus­si per­vers, mais avec une touche de modernité ! 

L’au­teur de Ban­lieues chaudes, pre­mier titre de la col­lec­tion en train de faire peau neuve, Fran­çois Four­net, est un incon­nu dans le monde lit­té­raire, et je serais ten­té de le qua­li­fier de plume vierge si ce n’était pas là un contre-sens tel­le­ment gros que même le San­glier se croit dis­pen­sé de devoir s’en­ga­ger dans une voie aus­si sur­réelle. Parce que s’il y a bien une chose qui manque dans l’u­ni­vers des Ban­lieues chaudes, c’est bien l’in­no­cence, idée com­mu­né­ment asso­ciée avec celle de la vierge, pas encore tou­chée par la cor­rup­tion que les bites sont cen­sée déver­ser sur ces créa­tures angé­liques. Et il est facile de res­ter dans l’i­mage, vu que les bites, chez Fran­çois Four­net, déversent de telles quan­ti­té de foutre que tout le monde risque de s’y noyer. Risque d’au­tant plus grand que les femmes, exci­tées par les bites en ques­tion et leurs mira­cu­leuses sécré­tions, mouillent comme des chutes d’eau – l’i­mage habi­tuelle de fon­taine sem­blant bien trop éloi­gnée du phé­no­mène qu’on ren­contre chez Yas­mi­na aus­si bien que chez sa cou­sine, Camé­lia – inon­dant des appar­te­ments entiers où les couples se vautrent dans les flaques lais­sées par leurs ébats et où les robes deviennent sys­té­ma­ti­que­ment des ser­pillières abî­mées à force d’en­di­guer les inon­da­tions en question.

Olaus Magnus, Carta marina (détail)
Olaus Magnus, Car­ta mari­na (détail)

Le titre Ban­lieues chaudes fait évi­dem­ment appel aux fan­tasmes des braves bour­geois qui, tiraillés entre les nou­veaux bar­bares d’un Johan Zar­ca et les beu­rettes invi­tées d’hon­neur dans n’im­porte quelle pro­duc­tion por­no qui se res­pecte un tant soit peu, ont la tête rem­plie des idées les plus lou­foques dès qu’il s’a­git de ter­rains incon­nus. Sauf que là où avant, il y a eu des dra­gons – le célèbre « hic sunt dra­cones » des car­to­graphes de la moder­ni­té conqué­rante – pour indi­quer les dan­gers des ter­rae inco­gni­tae, aujourd’­hui, on risque d’y tom­ber entre les bras et les cuisses de bêtes sexuelles dont on ima­gine les caresses aus­si fatales que celles des Sirènes d’au­tre­fois. Sauf que, dans les ban­lieues chaudes de Fran­çois Four­net – auteur dont je ne sais stric­te­ment rien, je suis donc dans l’im­pos­si­bi­li­té de vous dire si ses ban­lieues à lui sont fan­tas­mées à part entière ou s’il y a une quel­conque base auto­bio­gra­phique – le monstre n’est peut-être pas celui qu’on croit.

À lire :
Roman K., Shooting Mona

L’in­trigue démarre – vous allez sûre­ment être sur­pris – avec une affaire de drogue, où on voit le pro­ta­go­niste du récit négo­cier le prix d’une bar­rette de shit avec le plus gros dea­ler du coin (à en croire la qua­trième de cou­ver­ture), Allan. C’est l’ins­tant qu’à choi­si la copine de celui-ci, Yas­mi­na, pour se rame­ner. Ins­tant fati­dique si jamais il y en a eu, dans le sens qu’il déclenche une suite d’ac­tions qui chan­ge­ra tout pour les deux pro­ta­go­nistes, Malik et Yas­mi­na, sujets tous les deux dès la pre­mière ren­contre à une attrac­tion mutuelle et inex­pli­cable qui semble éli­mi­ner toute capa­ci­té de réflexion, presque ins­tan­ta­né­ment rem­pla­cée par le besoin invin­cible de jouir. Au plus gros plai­sir des lec­trices et lec­teurs vu que ces deux-là seront empor­tés par un oura­gan des sens qui les fera décou­vrir des excès qu’il est par­fois dif­fi­cile de seule­ment ima­gi­ner. Les marées de foutres d’il y a deux para­graphes se rap­pe­lant à votre bon souvenir.

Cette déme­sure est un indice de ce que ce texte a de quoi sur­prendre, en dépas­sant le ter­rain des cli­chés trop faciles et trop sou­vent remâ­chés comme celui des ban­lieues en cha­leur. Et à regar­der de plus près, en scru­tant Malik, on lui découvre un je-ne-sais-quoi qui rap­pelle un ancêtre de ce per­son­nage, une figure qui han­tait la lit­té­ra­ture euro­péenne de l’âge baroque, des pro­ta­go­nistes qui accu­mu­laient les aven­tures les plus lou­foques, de pré­fé­rence dans des ter­ri­toires han­tés par toutes sortes de monstres, des per­son­nages qui s’at­ti­raient la sym­pa­thie du public par leur naï­ve­té et un drôle de cou­rage né d’une bonne grosse dose d’in­sou­ciance. Je parle ici des romans pica­resques dans la veine des Laza­rillo de Tormes, de leurs héros de basse extrac­tion qui ont lais­sé un si riche héri­tage à la lit­té­ra­ture, héri­tage qu’on retrouve jusque dans le chef d’œuvre de Cer­van­tès et qui a lais­sé des traces dans le Roman comique du Sieur Scar­ron, ouvrage plus près de nous autres fran­co­phones. Et le pica­ro est inima­gi­nable sans l’hu­mour, même si les rires se déclenchent bien sou­vent aux frais du pro­ta­go­niste en train de rece­voir une volée de poings en pleine figure pen­dant que les badauds se gaussent de ses mésaventures.

Quand on sait à quel point le genre éro­tique peut man­quer d’hu­mour – et tout par­ti­cu­liè­re­ment dans tout ce qui touche de près ou de loin à l’u­ni­vers du BDSM qui se prend tel­le­ment au sérieux que cela me fait déban­der pra­ti­que­ment illi­co pres­to – on ima­gine faci­le­ment que peu de textes me plaisent autant que ceux qui allient les larmes ver­sées en rigo­lant aux liquides que fait cou­ler le désir. Et com­ment res­ter de glace quand Malik, obli­gé de sau­ver sa peau quand le petit ami de sa copine choi­sit le pire ins­tant pour rega­gner ses pénates, quand donc ce pauvre diable de Malik qui ne com­prend stric­te­ment rien à ce qui lui arrive se retrouve dans l’o­bli­ga­tion de se cacher dans le seul récep­tacle assez spa­cieux pour le mettre à l’a­bri d’un sort qu’on ima­gine peu enviable – à savoir le fri­go… Et com­ment ne pas appré­cier l’i­ro­nie de la déme­sure par laquelle l’au­teur se frotte au fan­tasme de la femme-fon­taine quand il fait répandre aux siennes des quan­ti­tés de cyprine qui lar­ge­ment suf­fi­raient à s’y noyer si on avait le mal­heur de tom­ber dans une des flaques lais­sées sur le plan­cher de l’ap­par­te­ment. Ou encore la domi­na­tion fémi­nine incar­née par Camé­lia, la cou­sine de notre Dul­ci­née moderne dont les actes déclenchent de tout autres sou­pirs que ceux du déses­poir amou­reux. Celle qui, fré­quen­tant à Paris le milieu fri­qué de « putains de bourges »[2]Ban­lieues chaudes, p. 168, pour le dire avec les mots de Malik, sert de point de ren­contre avec un milieu social d’ha­bi­tude inac­ces­sible aux gars du « neuf-trois », autre par­ti­cu­la­ri­té qui n’est pas sans rap­pe­ler les romans picaresques.

À lire :
Alison S., Alison

Avant de ter­mi­ner, un mot à pro­pos de la cou­ver­ture. Celle-ci met en scène une belle jeune femme blonde, à la poi­trine assez peu déve­lop­pée mais néan­moins très appé­tis­sante. Il n’empêche que c’est, il me semble, le contraire des beau­tés ima­gi­nées par Fran­çois Four­net dont les noms indiquent des ori­gines situées quelque part sur les rives méri­dio­nales ou orien­tales de la Médi­ter­ra­née tan­dis que la belle blonde rap­pelle plu­tôt le type cau­ca­sien. Si cela répond sans doute aus­si à des fan­tasmes assez répan­dus, il y a quand même comme un manque de per­ti­nence dans le choix d’un modèle qui n’a pas grand chose à voir avec ce qui se passe dans le roman. Je n’ai pas l’ha­bi­tude de juger un texte par sa cou­ver­ture, et j’ai déjà dit tout le bien que je pense des Ban­lieues chaudes, c’est juste que cette cou­ver­ture quelque peu à côté de la plaque est comme un écho au texte de pré­sen­ta­tion où il est ques­tion des ten­dances domi­na­trices de Yas­mi­na qui entraî­ne­rait son com­pa­gnon dans la débauche. Et bien, on se demande si la per­sonne qui a rédi­gé ce texte a réel­le­ment lu le roman, parce que ce n’est pas du tout ça. C’est jus­te­ment l’ab­sence de volon­té qui carac­té­rise la rela­tion de Malik et de Yas­mi­na qui se laissent tous les deux empor­ter par un désir irré­pres­sible bien plus fort que tout ce qu’ils pour­raient espé­rer lui oppo­ser. Mais bon, ce n’est qu’un détail qui, je l’es­père, n’empêchera per­sonne de dévo­rer ce beau mor­ceaux bien juteux.

Vous l’au­rez com­pris, Ban­lieues chaudes augure bien de l’a­ve­nir de Média 1000, et je ne peux que féli­ci­ter Chris­tophe Sié­bert pour le flair excellent qui lui a per­mis de recon­naître le talent de Fran­çois Four­net. Un nom que j’es­père retrou­ver encore bien des fois dans le cata­logue de la Musar­dine. Quant au sort réser­vé à Malik et à Yas­mi­na, je vous laisse décou­vrir leurs aven­tures aus­si épa­tantes que lubriques.

Fran­çois Four­net
Ban­lieues chaudes
La Musar­dine
ISBN : 9782744827242

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Cf. l’ar­ticle mis en ligne il y a à peine quelques jours à pro­pos de Vices au cam­ping, excel­len­tis­sime BD de Chris.
2 Ban­lieues chaudes, p. 168
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95