Pour comprendre le paragraphe qui suit, il faut savoir que l’auteur de ces lignes a eu l’habitude de placer des images de femmes dans l’en-tête de la Bauge. L’article que vous allez lire a été inspiré par un changement de décor, passant d’une charmante jeune fille peinte par Ammy Blanc aux yeux autrement plus troublants d’Hérodiade.

Effectivement, le regard change. Mais les yeux aussi ont changé, n’est-ce pas ? Il y a deux jours encore, les yeux tout doux d’une charmante fillette captaient la lumière que vous faisiez irradier, source de lumière de second ordre que vous êtes, chers lecteurs. La fillette s’est transformée en femme, aux yeux scrutateurs, grand ouverts sur le monde, allant bien au-delà des apparences. Des yeux qui connaissent la souffrance. Celle des autres qu’ils ont vu entrer, et celle qu’ils ont dû exprimer. Des yeux désabusés aussi, qui ont vu beaucoup de choses. Une tête tranchée, tout récemment encore …

Ah, les femmes de la Bible et les têtes tranchées. Le lecteur, au courant des récits bibliques, hésite entre l’héroïne de l’Ancien Testament, Judith, qui, au bout d’une nuit passée ensemble, trancha elle-même la tête du général assyrien, Holoferne, et celle du Nouveau Testament, Hérodiade, amoureuse meurtrière qui fit trancher la tête de celui qu’elle aimait, et qui prêchait au fond du désert pour annoncer, visionnaire, l’arrivée du Messie – Jean le Baptiste.
Deux femmes, deux hommes tués. Mais quel curieux renversement des rôles pourtant. Une femme qui aime son peuple et tue pour le débarrasser de l’ennemi. Une autre femme qui, elle, aime un homme. Qu’elle tue ensuite pour se laver de l’insulte d’un amour répudié – et pour se débarrasser en même temps de celui qui lui résiste. Les quatre personnages forment des couples improbables, où le crime et le châtiment sont équitablement répartis entre les sexes, et qui sont réunis par cette notion de résistance. La résistance au peuple envahisseur, d’un côté, et, de l’autre, celle à une amante qui désire s’emparer du corps et de l’esprit de l’homme choisi. La résistance donc qui entraîne la mort, qui assassine, et qui se laisse assassiner. Succès de la résistance dans les deux cas parce que ni Holoferne (respectivement le roi assyrien), ni Hérodiade arrivent à réaliser leurs buts respectifs. Le sang versé du coupable versus celui de la victime innocente. La résistance qui prend les armes contre celle qui se laisse désarmer et qui annonce le sacrifice du Dieu lui-même.

Quelle conclusion à en tirer ? Aucune, évidemment, sauf celle peut-être qu’on se laisse facilement emporter bien loin par des yeux qui nous regardent, qui nous font réfléchir et – divaguer.
PS – Les yeux qui vous regardent sont ceux d’Hérodiade, peinte par Paul Delaroche en 1843.