Femmes de la Bible – Judith et Hérodiade

Pour com­prendre le para­graphe qui suit, il faut savoir que l’au­teur de ces lignes a eu l’ha­bi­tude de pla­cer des images de femmes dans l’en-tête de la Bauge. L’ar­ticle que vous allez lire a été ins­pi­ré par un chan­ge­ment de décor, pas­sant d’une char­mante jeune fille peinte par Ammy Blanc aux yeux autre­ment plus trou­blants d’Hérodiade.

Paul Delaroche, Salome (détail)
Paul Dela­roche, Salome (détail)

Effec­ti­ve­ment, le regard change. Mais les yeux aus­si ont chan­gé, n’est-ce pas ? Il y a deux jours encore, les yeux tout doux d’une char­mante fillette cap­taient la lumière que vous fai­siez irra­dier, source de lumière de second ordre que vous êtes, chers lec­teurs. La fillette s’est trans­for­mée en femme, aux yeux scru­ta­teurs, grand ouverts sur le monde, allant bien au-delà des appa­rences. Des yeux qui connaissent la souf­france. Celle des autres qu’ils ont vu entrer, et celle qu’ils ont dû expri­mer. Des yeux désa­bu­sés aus­si, qui ont vu beau­coup de choses. Une tête tran­chée, tout récem­ment encore …

Franz von Stuck, Salomé
La résis­tance qui se laisse assas­si­ner, sym­bo­li­sée par une des plaies du Christ ou encore – un vagin …

Ah, les femmes de la Bible et les têtes tran­chées. Le lec­teur, au cou­rant des récits bibliques, hésite entre l’hé­roïne de l’An­cien Tes­ta­ment, Judith, qui, au bout d’une nuit pas­sée ensemble, tran­cha elle-même la tête du géné­ral assy­rien, Holo­ferne, et celle du Nou­veau Tes­ta­ment, Héro­diade, amou­reuse meur­trière qui fit tran­cher la tête de celui qu’elle aimait, et qui prê­chait au fond du désert pour annon­cer, vision­naire, l’ar­ri­vée du Mes­sie – Jean le Baptiste.

Deux femmes, deux hommes tués. Mais quel curieux ren­ver­se­ment des rôles pour­tant. Une femme qui aime son peuple et tue pour le débar­ras­ser de l’en­ne­mi. Une autre femme qui, elle, aime un homme. Qu’elle tue ensuite pour se laver de l’in­sulte d’un amour répu­dié – et pour se débar­ras­ser en même temps de celui qui lui résiste. Les quatre per­son­nages forment des couples impro­bables, où le crime et le châ­ti­ment sont équi­ta­ble­ment répar­tis entre les sexes, et qui sont réunis par cette notion de résis­tance. La résis­tance au peuple enva­his­seur, d’un côté, et, de l’autre, celle à une amante qui désire s’emparer du corps et de l’es­prit de l’homme choi­si. La résis­tance donc qui entraîne la mort, qui assas­sine, et qui se laisse assas­si­ner. Suc­cès de la résis­tance dans les deux cas parce que ni Holo­ferne (res­pec­ti­ve­ment le roi assy­rien), ni Héro­diade arrivent à réa­li­ser leurs buts res­pec­tifs. Le sang ver­sé du cou­pable ver­sus celui de la vic­time inno­cente. La résis­tance qui prend les armes contre celle qui se laisse désar­mer et qui annonce le sacri­fice du Dieu lui-même.

Franz von Stuck, Judith
La résis­tance qui tue, munie de l’é­pée, l’at­tri­but phal­lique par excellence.

Quelle conclu­sion à en tirer ? Aucune, évi­dem­ment, sauf celle peut-être qu’on se laisse faci­le­ment empor­ter bien loin par des yeux qui nous regardent, qui nous font réflé­chir et – divaguer.

PS – Les yeux qui vous regardent sont ceux d’Héro­diade, peinte par Paul Dela­roche en 1843.

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95