Charles Lion, Sex­tos Plage

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Après avoir pas­sé quelques jours en pleine mon­tagne, et super­be­ment accom­pa­gné par les créa­tures déli­cieu­se­ment indé­centes de Rémy Char­nat, voi­ci votre ser­vi­teur de retour dans son domaine de pré­di­lec­tion – le lit­to­ral et la plage. Et avec de telles pré­fé­rences, com­ment résis­ter à un texte dont le titre pro­pose de faire la liai­son entre plage et sexe, l’essence même des Lec­tures esti­vales ? Voi­ci donc Sex­tos Plage, un texte très court (briè­ve­té en quelque sorte impo­sée par le sujet) signé Charles Lion, et qui pro­met des esca­pades des plus sen­suelles. Je peux vous avouer que j’ai eu l’eau à la bouche rien qu’à ima­gi­ner les scé­na­rios qu’un tel titre peut évo­quer dans un esprit aus­si récep­tif à l’indécence que le mien.

L’intrigue se joue en petit comi­té, entre deux pro­ta­go­nistes réunis dans une constel­la­tion plu­tôt clas­sique – un homme plus âgé, une femme plu­tôt jeune :

« mes che­veux poivre et sel tra­hissent un déca­lage d’âge qui sou­ligne la magni­fique jeu­nesse de ma déli­cieuse créa­ture. » [1]Charles Lion, Sex­tos plage, posi­tion 18

Aman­dine et le nar­ra­teur – res­té ano­nyme à moins de vou­loir lui prê­ter l’identité de l’auteur – forment un couple que la vie pro­fes­sion­nelle sépare assez sou­vent et qui a pour­tant trou­vé le moyen de remé­dier aux absences répé­tées en se ser­vant des gad­gets que la tech­no­lo­gie a fini par démo­cra­ti­ser en les met­tant entre toutes les mains. L’intrigue se tisse donc, après un coup de pro­jec­teur sur les per­son­nages, leurs per­son­na­li­tés et leur arrière-plan, à coups d’échanges de tex­tos, cha­cun d’à peine quelques lignes, dans une ambiance de plus en plus tor­ride, ali­men­tée par les demandes tou­jours plus exi­geantes de l’un et la déter­mi­na­tion de l’autre – fidè­le­ment confir­mée par ses actes – d’aller jusqu’au bout des défis.

À suivre ces dia­logues sou­vent déca­lés, le lec­teur découvre, au fur et à mesure des échanges, une rela­tion assez com­plexe où les sen­ti­ments côtoient des jeux sexuels assez inso­lites où les par­te­naires sortent des limites de la banale gali­pette. Après des débuts qu’on pour­rait qua­li­fier de presque sages – une petite exhi­bi­tion par-ci, une bran­lette dans les dunes par-là – les par­te­naires dérivent vers des pra­tiques de plus en plus osées où la mas­tur­ba­tion don­née en spec­tacle – avec ou sans uti­li­sa­tion de jouets – et l’intervention d’un ou de plu­sieurs joueurs sup­plé­men­taires concourent à créer une ambiance de serre chaude. Il faut pour­tant sou­li­gner que les rôles sont clai­re­ment dépar­ta­gés dans le couple, l’homme étant seul aux com­mandes, la par­tie active, celui qui sans cesse pro­pose voire réclame, tan­dis que la femme reste pas­sive, récep­tive, une sorte d’actrice voire de marion­nette qui suit les ins­truc­tions du met­teur en scène pour rendre vie aux fan­tasmes que celui-ci lui fait par­ve­nir du bout du monde, sous forme de carac­tères d’un tex­to, comme à l’état embryon­naire. Et c’est donc ain­si que, dans le texte et dans le fan­tasme comme dans la vie, c’est bien la femme qui donne nais­sance, qui incarne – dans la plus lit­té­rale des inter­pré­ta­tions – les mots en s’étalant sous les regards des badauds comme sous des coups de pro­jec­teurs, Aman­dine étant deve­nue le foyer de toutes les atten­tions, pla­cée au centre de tous les regards, écran où se jouent tous les fantasmes.

À lire :
Clément Villaume, L’Amour en mer

Le lec­teur trans­for­mé en voyeur n’aurait qu’à se lais­ser empor­ter par le ciné­ma que se jouent les deux amants pour jouir des scé­na­rios ima­gi­nés par l’un et réa­li­sés par l’autre, s’il n’y avait comme un hic dans tout ça pour mettre comme une branche entre les roues de la méca­nique pour­tant si bien hui­lée à force de mouiller. Tout d’abord, on ne peut pas ne pas remar­quer l’absence d’initiative du côté fémi­nin du couple, et une telle réduc­tion a de quoi déran­ger quand il s’agit de par­ler de sexua­li­té assu­mée. Mais ceci n’est qu’un détail qui prend toute sa signi­fi­ca­tion dès qu’on se rend compte d’une dérive autre­ment plus inquié­tante. J’ai déjà évo­qué le rôle très actif du mâle, un rôle qui s’apparente à celui d’un scé­na­riste voire d’un met­teur en scène. Ceci est vrai pour le début du texte, mais dès que l’homme se rap­proche de son fan­tasme pri­maire – fan­tasme qui très vite devient une obses­sion – il y a comme un malaise. On a déjà vu que les fan­tasmes – et les mises en scène de ceux-ci – se libèrent au fur et à mesure des échanges, pro­fi­tant de la pro­fonde com­pli­ci­té des amants. Mais cela ne se borne pas à l’usage de godes et d’autres usten­siles ou à l’implication de mul­tiples par­te­naires. Peu à peu, la par­tie mas­cu­line cède à ses pul­sions et réclame à « son amou­reuse » de se lâcher dans des pra­tiques uro­lo­giques et sca­to­lo­giques, révé­lant par son insis­tance et un lan­gage approxi­ma­tif un côté de gamin obsé­dé qui cadre très mal avec le pro­fil ini­tial – à moins qu’il ne s’a­gisse de le contre­ba­lan­cer – que le nar­ra­teur a dres­sé du per­son­nage : un uni­ver­si­taire « avan­cé dans [s] a car­rière », un homme mature avec un « phy­sique que les femmes qua­li­fient de très agréable ».

Il suf­fit de pas­ser en revue les tex­tos envoyés du fin fond des steppes asia­tiques pour voir se déga­ger cette image d’un obsé­dé retom­bé à l’état de gamin, et un gamin qui adore se vau­trer dans les excré­ments pour le seul plai­sir de salir – ou de salir l’autre. Atten­tion pour­tant, ce ne sont pas tel­le­ment ces dérives « excré­men­tielles » qui me dérangent, mais le ton que prennent les échanges, cette note infan­tile frô­lant une sorte de démence pré­coce, comme dans ce dia­logue qui pour­tant se joue entre adultes :

« – […] Tes maillots sont-ils bien par­fu­més ?
- Celui d’aujourd’hui a une odeur assez forte […]
- Tu as car­ré­ment fait dedans […] ?
[…]
- Faut que tu chies une grosse merde dans le tis­su main­te­nant ! » [2]l.c., posi­tion 766

Et ain­si de suite dans une des­cente vers les limbes d’une enfance mal digé­rée (et c’est le cas de le dire), des­cente dont les dia­logues sont des éche­lons de plus en plus glissants.

Il y a des pas­sages qui donnent l’impression que ce texte n’est rien d’autre qu’un pré­texte pour éva­cuer des dési­rs, des obses­sions réel­le­ment inavouables, et que sa rédac­tion ou sa lec­ture ne seraient pas dépla­cées dans une séance de thé­ra­pie. Et pour­tant, n’imaginez pas que je veuille ain­si le dis­qua­li­fier ! Le trai­te­ment des per­son­nages, le pas­sage du rôle de nar­ra­teur à celui de scé­na­riste, la réa­li­sa­tion – et sous nos yeux ! – du scé­na­rio par Aman­dine, tout cela n’est pas sans plaire, et il y a des pas­sages qui peuvent fas­ci­ner. D’autant plus que l’auteur a su savam­ment exploi­ter une situa­tion que beau­coup ont déjà pu connaître, l’éloignement et les moyens de remé­dier à la frus­tra­tion sexuelle offerte par les nou­velles tech­no­lo­gies. Et n’oublions pas que tout cela se joue à la plage, dans une ambiance esti­vale et un dépay­se­ment par­fait par rap­port au quo­ti­dien, ce qui fait du texte le can­di­dat par­fait pour mes Lec­tures esti­vales. On s’y croi­rait, rien qu’à suivre ce dialogue :

« – Com­ment es-tu habillée ? As-tu déjà pas­sé l’heure de l’apéro ?
- Robe très vapo­reuse, vert d’eau, courte et lar­ge­ment décol­le­tée, grand cha­peau de paille, lunettes de soleil de pin-up et tro­pé­ziennes. Bref, je fais ma salope ingé­nue. […]
- On se croi­rait dans « Emma­nuelle ». Et cet apé­ro ?
- Un mus­cat bien frais bien sûr avec quelques olives. J’en suis à la salade de sai­son à pré­sent.
- Sans culotte bien sûr ?
- Quelle ques­tion mon amou­reux !!
- Que bou­quines-tu la chatte au vent ? » [3]l.c., posi­tion 443

On voit la scène se dérou­ler, comme dans un film, et si les images évo­quées ne sont peut-être pas les plus ori­gi­nales qu’on puisse ima­gi­ner, elles sont effi­caces, et le lec­teur n’a qu’une seule envie : Rejoindre la belle et res­pi­rer à pleins pou­mons la brise marine embau­mée par cette chatte magnifique !

À lire :
Mily Barelli, Les Innocentes

Si l’auteur a bien construit son texte pour en faire une fenêtre sur le pro­ces­sus créa­tif, on y trouve une étrange lacune que je n’arrive pas à m’expliquer. Le nar­ra­teur insiste lar­ge­ment – dans ses inter­ven­tions ser­vant d’introduction et d’épilogue – sur sa pro­fes­sion. À savoir celle d’un anthro­po­logue obli­gé de pas­ser des mois entiers près des peu­plades qu’il s’est pro­po­sé d’étudier, en l’occurrence des tri­bus cha­ma­niques de Sibé­rie. Cela explique certes les longues absences qui obligent les amants d’avoir recours aux tech­no­lo­gies de la com­mu­ni­ca­tion, mais le pré­texte me semble un peu trop gran­di­lo­quent pour ne ser­vir qu’à ça. Et il me semble que les domaines en ques­tion – sexua­li­té et cha­ma­nisme – sont par­faits pour mutuel­le­ment s’influencer, s’enrichir, et pour­tant il n’y a rien dans le texte qui indique une quel­conque com­mu­ni­ca­tion entre ces deux sphères qui pour­tant offri­raient un bel angle d’attaque pour péné­trer encore plus loin au fond des per­son­na­li­tés qui se font face.

Voi­ci donc du bien et du moins bien inti­me­ment liés, et la lec­ture laisse une impres­sion ambi­va­lente. C’est peut-être l’oc­ca­sion de men­tion­ner le fait que, sur le site Ama­zon, le titre est accom­pa­gné par un « Sai­son 1 », qua­li­fi­ca­tif absent du texte dans sa ver­sion Kindle, mais qui donne espoir de voir une suite de cette rela­tion par­ti­cu­lière. Et comme c’est l’ef­fort qui fait avan­cer, il y aura peut-être encore des sur­prises que nous réserve cet auteur.

Mise à jour (jan­vier 2022)

Le titre n’est plus dis­po­nible sur le site d’A­ma­zon. Je ne sais pas s’il a été publié ailleurs, et je n’ai ni le temps ni le cou­rage de faire des recherches sup­plé­men­taires. Il existe tou­te­fois un autre titre signé Charles Lion, Le XVIIIème, mai­son pour couples uni­que­ment.: Hié­ros Gamos. À vous de voir si celui-ci peut conve­nir à vos envies d’indécence.

Charles Lion
Sex­tos Plage
Auto-édi­tion
ASIN : B074YVMFQ8

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Charles Lion, Sex­tos plage, posi­tion 18
2 l.c., posi­tion 766
3 l.c., posi­tion 443
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95