Au pays des fantasmes, tout n’est pas toujours bien net ou bien propret. Et c’est pour cela sans doute que la plupart de ceux-ci sont condamnés à le rester – des fantasmes sans espoir de jamais se voir réalisés dans la dimension non-virtuelle de la vie. Quoi qu’il en soit, voici que je vous expose l’illustration d’un de ces fantasmes, l’œuvre d’un artiste qui, je le pense, fera vibrer plus d’un de mes visiteurs et qui viendra peut-être vous hanter dans l’obscurité de vos idées peu avouables.

Une fois de plus, comme cela m’arrive depuis quelques mois, c’est sur Deviant Art – site très bien nommé si jamais il en fut un – que tout a commencé. Accro à ce site depuis que je vois défiler dans la timeline de mon compte Twitter les fruits des recherches des community-managers de BD-Adultes, je m’y suis constitué un fond d’artistes bien à moi, alimenté par de vaillants algorithmes qui n’arrêtent pas de me proposer des pistes à explorer pour agrandir mon réseau. Et il y a à peine deux semaines que j’y suis tombé sur le dessin d’une jeune femme couchée sur sa serviette de plage, nue, en train de se faire tondre sa superbe chevelure…

Bon, on connaît toutes et tous la mode du sans-poil qui incite des femmes confirmées à se payer des séances aussi coûteuses que désagréables chez leur esthéticienne de confiance afin de se libérer de leur pilosité pour retrouver une sorte de virginité pré-pubère. Arrachant au passage leurs parties les plus intimes à l’ombre protectrice de leurs buissons pour permettre à celles-ci de s’épanouir sous les regards – et les langues – des butineurs. Les sexes imberbes, rien de spécial donc, au point de devoir reléguer au nombre des espèces en voie de disparition les chattes bien en poil. Mais la chevelure ? C’est déjà nettement plus rare.

Certes, rien n’empêche plus les femmes de se couper les cheveux et d’arborer des coiffures courtes pour mettre en valeur la beauté de leurs têtes et de leurs visages. Il suffit de penser à Annie Lennox, la chanteuse culte des Eurythmics, à Miley Cyrus au moment de sa chevauchée légendaire sur une boule de démolition, ou encore à des actrices comme Halle Barry, Emma Stone, Charlize Theron et tant d’autres (et ben, c’est la première fois que je fais défiler les pages de la presse people afin de me documenter…) qui, à un moment donné, ont choisi de « couper court », de façon plus ou moins durable, au canon de beauté classique.
De la coupe courte à la calvitie, il ne manque plus que quelques centimètres, voire moins, mais cette démarche est sans doute toujours perçue comme trop radicale (ou synonyme de maladie) pour se généraliser. Encore que les happy few qui, à un moment ou à un autre, ont franchi cette étape supplémentaire, comme par exemple la chanteuse Sinead O’Connor ou encore l’actrice Demi Moore dans G.I. Jane, font rayonner une sexualité qui ne laisse pas indifférente.
Ensuite, il y a un domaine où l’absence de pilosité est carrément une sorte d’image de marque, d’appartenance, un sceau des origines – à savoir l’intelligence et / ou la vie artificielles souvent déclinées au féminin pour coupler la peur de l’anéantissement et du remplacement ressenti face à un être censé supérieur à la morbide et troublante fascination d’une séduction potentiellement fatale.

De Maria, doppelgänger robotique de Metropolis (1927), jusqu’à à ses « incarnations » les plus récentes – Ava, la femme artificielle du film Ex Machina (2015) et Sophia, le robot à visage féminin des laboratoires Hanson présenté en avant-première en juin 2015 – la tête présentée dans sa nudité totale aussi fascinante que profondément dérangeante est le sceau de l’artificiel et de l’attraction que celui-ci peut exercer. Et il y a aussi, si vous me permettez une parenthèse révélant ma profonde nerditude, l’illustration par le contraire de ce que je viens d’affirmer, à savoir l’exemple de Seven of Nine, femme humaine kidnappée et « augmentée » par les Borgs, une des races de l’univers Star Trek, race qui cherche à allier la vie biologique à la technologie. Au moment de son entrée en scène, Seven of Nine est chauve comme tous les membres de cette race hybride, et le processus de sa « ré-humanisation » est couronnée par la présence d’une abondante chevelure.
On reconnaît là l’ambivalence de la calvitie féminine, ambivalence qui vient diversifier encore celle des héroïnes romantiques aussi belles que fatales, remplaçant les origines surnaturelles des sorcières, vampires et autres goules par les origines artificielles des Èves futures. Si la calvitie, rare dans notre quotidien mais savamment exploitée par les écrivains, n’a donc plus rien de carrément extraordinaire, il n’est pas courant de voir entrer cet élément dans les jeux sexuels. Mais je me rends compte qu’il faut sans doute être plus précis : Ce n’est pas tellement la calvitie dont je m’apprête à parler dans un cadre sexuel, mais le processus qui y mène, la tonte. Les femmes chauves, si elles ne sont pas légion dans la pornographie visuelle, on les y trouve quand même, surtout quand il s’agit de montrer (l’image qu’on se fait d”) une certaine sexualité lesbienne. La représentation de la tonte est par contre beaucoup plus rare, et je me suis retrouvé avec sur les bras une dizaine de clips, très courts en général (moins d’une minute) avec quelques rares exceptions. Dans la plupart des cas, la tonte se place dans un contexte de BDSM, marque d’une domination certaine qui s’en prend à un des éléments-clés de la féminité pour montrer et exercer un pouvoir absolu – pouvoir qui oblige la victime à porter ses marques bien au-delà de la séance de jeu. La peine physique, omniprésente dans le BDSM plus conventionnel (et dans la littérature qui s’en inspire), y est remplacée par la honte de ce qui est souvent ressenti – et représenté aussi – comme une nudité plus totale que l’absence des vêtements.

Ensuite, le geste de couper les cheveux s’apparente très souvent à l’idée de priver quelqu’un de sa force – de le rendre moins dangereux – en le tondant. En fin de compte un geste castratrice poussant à ses extrêmes les relations de pouvoir et de soumission, encadrées et en quelque sorte domptées par le BDSM pour un usage plus compatible avec la civilisation du XXIè siècle. L’exemple le plus connu de cet aspect-là est sans aucun doute celui de Samson, Juge d’Israël tombé entre les mains des Philistins, capables de le maîtriser suite à la trahison de son amante, Dalila, qui a profité de son sommeil pour lui couper les sept tresses où résidait sa puissance :
« … elle rasa les sept tresses de la tête de Samson, et commença ainsi à le dompter. » (Livre des Juges 16, 19)

On le voit, il y a tout une symbolique qui évolue autour des cheveux, et le fait de se les faire enlever est tout sauf innocent. Et le geste peut s’accompagner d’une très forte connotation érotique telle que l’artiste allemand l’a évoquée dans son illustration du récit biblique.
Et voici où s’ouvre le domaine de Boldlyfashion, un artiste qui a fait de cette pratique son sujet de prédilection, et dont les dessins font naître un trouble certain, contrepartie de la force suggestive qui s’en dégage et subjugue le spectateur. Je vous conseille de lire un des rares textes qu’il a choisi de publier sur un blog brièvement tenu en 2014, texte accompagné de quelques illustrations dans un style d’autant plus efficace qu’il semble négligé. On s’étonne devant l’intensité des effets, inversement proportionnelle à l’économie des moyens, comme par exemple dans le récit du nouveau boulot d’Alexandra. L’anglais plus qu’approximatif de ce très petit texte ne fait que rajouter à son charme en soulignant le caractère d’urgente spontanéité qui s’y exprime.


J’ai été surpris par la violence des effets engendrés par la lecture des textes et la contemplation des images. Est-ce la sexualité à l’état brut qui vient très efficacement renforcer les connotations d’aliénation et de menace évoquées plus haut ? Est-ce le trouble d’une variante peu exprimée dans les relations de domination – soumission ? Je ne saurais le dire, mais je vais à coup sûr faire quelques recherches supplémentaires afin de dégoter d’autres textes pour exploiter un sujet aussi prometteur. Et si un de mes amis auteurs (ou éditeurs) devait passer par ici, ce serait peut-être l’occasion de céder au trouble afin d’y puiser de nouvelles inspirations ?