Parfois, chers lecteurs, on nous raconte des bêtises. Rien d’extraordinaire à cela, me direz-vous. Certes non. Mais cela se complique quand ça se passe à l’école. Les profs, malgré tout ce qu’on peut lire depuis un certain temps, ont gardé beaucoup de prestige, surtout dans les yeux des enfants. Mais ne restons pas dans l’abstrait.
Moi, je me souviens encore d’un cours de géographie à l’école primaire, en quatrième année, quand on parlait de frontières. Sujet abstrait pour un enfant de dix ans qui ne connaît pas encore grand chose sauf sa petite ville (on était en 1970, hein ? Ce n’était pas encore la mode des grands départs dès la naissance …). Il fallait alors expliquer le concept en termes faciles, nécessairement réducteurs. Un peu trop, dans ce cas précis, parce que l’instit” nous a expliqué qu’il y avait une frontière partout où les gens changeaient de langue. J’ai digéré cette idée farfelue, et il m’a fallu des années pour me débarrasser de cette bêtise particulière qui confond pas mal de choses, ce qui ne l’a pas empêchée de faire long feu.
Rien de tel qu’un regard salutaire vers nos voisins occidentaux, les Belges, habitants d’un pays notoire par son caractère multilingue. Il suffit de franchir la frontière (politique et administrative, celle-ci) pour se rendre compte : Malgré des panneaux de signalisation légèrement différents, le nombre accru de baraques à frites et de logos de brasseries différentes, on y parle toujours – allemand. Même l’accent ne change pas vraiment entre Aix-la-Chapelle et Eupen. Il faut pousser dans la direction de Welkenraedt pour se retrouver en pays francophone, encore que le passage se fait très doucement. Les langues s’estompent donc plutôt au lieu de s’arrêter net à quelque endroit désigné par une volonté politique. Même situation plus au sud, au Luxembourg et en Alsace, où les frontières linguistiques sont loin de recouper celles des États. Pas besoin d’ailleurs de se borner à la seule Allemagne. Regardez un peu la France et ses « extrémités », telles la Bretagne, la Flandre, le Pays Basque, la Catalogne, la Corse, le pays de Nice. On y rencontre partout des parlers différents de celui de la douce France, même s’il faut parfois pousser un peu pour se rendre compte. Mais à l’heure européenne, même la France, obsédée pourtant toujours de centralisation, permet la signalisation en plusieurs langues, ce qui montre à tout le monde qu’il y a, quelque part, une différence à découvrir.
Il suffit donc de regarder un peu attentivement autour de soi pour se rendre compte de l’existence d’une situation complexe qu’on ne saurait réduire à des concepts simples. Les entités actuelles ont été forgées à travers un tel nombre d’années et par tant de revers et d’accidents de l’Histoire qu’il est impossible de trouver des populations linguistiquement homogène. La réalité est, comme toujours, riche – et enrichissante – , bariolée, bruyante, et irréductiblement rebelle à toute tentative de régularisation.
Et même si l’homme a une tendance à catégoriser cette réalité beaucoup trop complexe à laquelle il est confronté dès qu’il quitte le foyer de ses idées préconçues, à simplifier le paysage immense qui se présente à ses yeux et à ses neurones afin d’assurer une maîtrise illusoire de son environnement, il faut impérativement dépasser ce stade-là, parce qu’il nous oblige à exclure des parties de la réalité sans lesquelles elle n’est pourtant plus que – fictive.