Amantes & Maîtresse

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Depuis quelques semaines, le silence s’est fait autour des Édi­tions À l’Ho­ri­zon­tale, et l’a­ven­ture semble s’être ter­mi­née avant que je n’aie eu le temps de par­ler de ce qui aura donc été leur seule publi­ca­tion. Si je regrette chaque dis­pa­ri­tion d’un édi­teur – et elles ont été nom­breuses en 2018 – celle-ci me fait mal au cœur compte tenu de l’en­ga­ge­ment à fond de leurs fon­da­teurs, Sté­phane Rou­cai­rol et son mari Chris­tophe aka Sir C. Tan­dis que Chris­tophe a assu­ré une bonne par­tie du tra­vail créa­tif en tant que pho­to­graphe et auteur[1]Et voi­ci que l’au­teur vient enfin de sor­tir de l’a­no­ny­mat jalou­se­ment gar­dé depuis la publi­ca­tion en 2017. Si je suis le pre­mier à en par­ler, c’est bien sûr avec l’au­to­ri­sa­tion des prin­ci­paux … Conti­nue rea­ding, Sté­phane a rem­pli les rôles d’é­di­trice et en même temps de modèle, ne recu­lant devant aucune har­diesse pour faire vivre son pro­jet. Ayant, depuis le temps, côtoyé un cer­tain nombre de per­son­nages de l’é­di­tion numé­rique, je sais à quel point il est dif­fi­cile – d’autres diraient sans doute « impos­sible » – de s’im­po­ser grâce à ses seuls efforts et à la qua­li­té des ouvrages. Il ne me reste donc plus qu’à saluer cet effort de la part de Sté­phane et de ses col­la­bo­ra­teurs – tout en espé­rant qu’ils décident un jour de relan­cer la machine pour d’autres pro­jets afin de séduire des lec­teurs atti­rés par une sen­sua­li­té plei­ne­ment assu­mée. Assu­mée au point de mettre un corps et un visage sur son pro­jet, har­diesse qui n’est pas don­née à tout le monde.

Amantes et Maî­tresse donc. Quant à la forme, c’est une sorte de roman-pho­to tel qu’on les connaît depuis l’a­près-guerre quand, né en Ita­lie au car­re­four de la bande des­si­née et du ciné­ma du nou­veau réa­lisme, il a vite fait de fran­chir les Alpes pour s’ins­tal­ler dans les parages hexa­go­naux où il a fleu­ri dans les années 50 et 60 avant d’en­ta­mer son déclin dans les années 70. Depuis, le numé­rique a contri­bué à lui rendre un nou­veau souffle, notam­ment avec Lia Rochas-Pàris et son pro­jet de roman-pho­to 2.0., visible par exemple dans le Café mati­nal où le pro­cé­dé est appli­qué à des interviews.

D’une ins­pi­ra­tion moins céré­brale, Amantes & Maî­tresse s’a­dresse sur­tout aux sens, essayant de cap­ter, dans l’u­ni­vers assez den­sé­ment peu­plé de l’é­ro­tisme, l’at­ten­tion des lec­trices[2]C’est en toute connais­sance de cause que j’u­ti­lise ici le terme fémi­nin, Sté­phane Rou­cai­rol ayant plu­sieurs fois sou­li­gné que les ambi­tions de la mai­son visaient sur­tout les femmes. Dans un … Conti­nue rea­ding en appe­lant le regard à la res­cousse de l’i­ma­gi­na­tion en lui pro­po­sant des pho­tos sen­suelles met­tant en scène la beau­té de la femme épa­nouie, quelque part dans l’âge d’or du corps fémi­nin entre la qua­ran­taine et la cin­quan­taine. La pré­sen­ta­tion du texte joue d’ailleurs avec un cer­tain charme autour du côté « voyeu­riste » de cet appel aux regards en pla­çant sur la cou­ver­ture deux beau­tés en train de se faire plai­sir, vues à tra­vers un trou, pro­cé­dé qui n’est pas sans rap­pe­ler celui de la célèbre serrure.

Face à la place occu­pée par le texte, le terme « roman-pho­to » est d’ailleurs à consi­dé­rer avec une cer­taine pru­dence, étant don­né qu’il y a des pages entières sans le moindre élé­ment visuel. C’est le cas notam­ment des pas­sages nar­ra­tifs comme par exemple la longue intro­duc­tion qui met en scène les pro­ta­go­nistes et leurs anté­cé­dents grâce au voyage de la nar­ra­trice vers des retrou­vailles avec son amie d’en­fance, Emma, dans le vil­lage natal. Ce pas­sage me semble d’ailleurs un des plus forts du texte, le dépla­ce­ment de la nar­ra­trice dans l’es­pace évo­quant des sou­ve­nirs qui four­nissent ensuite l’oc­ca­sion de des­cendre au fond des années et de racon­ter, en flash, les épi­sodes mar­quants de la vie d’Em­ma, celle dont la nar­ra­trice ne tar­de­ra pas à décou­vrir les aven­tures sen­suelles lui ayant per­mis de sor­tir du gouffre où on la découvre à tra­vers le récit pré­pa­ra­toire du pre­mier cha­pitre. Construit à la façon d’un cliff­han­ger à l’a­mé­ri­caine, celui-ci se ter­mine sur l’i­mage d’une Emma pétillante qui n’a plus rien à voir avec la femme dés­illu­sion­née et en deuil dont on vient de faire connais­sance. Ce sont les cha­pitres sui­vants qui four­ni­ront à la nar­ra­trice et aux lec­teurs les clés de l’é­nigme, et c’est là-des­sus que les bonnes choses vont com­men­cer, en même temps qu’ap­pa­raî­tront les pre­mières photos.

À lire :
Barbara Katts, Je vous aime
La splen­deur des corps murs, illus­trés par « Emma » et « Lise ».

L’in­trigue prin­ci­pale est consa­crée au réveil d’Em­ma qui désor­mais prend elle-même la parole pour racon­ter à son amie com­ment elle a retrou­vé, grâce à la sen­sua­li­té d’une amie et par­te­naire – Lise – qui sait com­ment s’y prendre pour com­bler les besoins d’une femme, la joie de vivre. Doré­na­vant, c’est une suite d’a­ven­tures éro­tiques : les nuits tor­rides avec Lise, l’en­vie ensuite de redé­cou­vrir les caresses d’un homme, une dose de sou­mis­sion entre les mains de celui-ci, et ensuite la confron­ta­tion avec Lise deve­nue son amante à laquelle la jalou­sie ins­pire des gestes plus har­dis et en même temps plus corsés.

Amantes & Maî­tresse est res­té le pre­mier et le seul titre des Édi­tions À l’ho­ri­zon­tale, mais les ambi­tions des édi­teurs ont lais­sé des traces dans le roman qui se ter­mine, comme déjà le pre­mier cha­pitre, sur une fin ouverte qui aurait per­mis d’en­chaî­ner d’autres aven­tures sur la piste ouverte par le récit d’Em­ma : Pen­dant que Lise confie à son amante qu’elle aime­rait ren­con­trer Marc, l’a­mi domi­na­teur croi­sé sur un site de ren­contres, la der­nière page rend la parole à la nar­ra­trice du récit-cadre qu’on découvre « ter­ri­ble­ment exci­tée » [3]Amantes & Maî­tresse, p. 62 après avoir enten­du le récit des frasques d’Em­ma. Et la voi­ci en proie à des inter­ro­ga­tions quant à son propre cou­rage dans des situa­tions comparables :

Me serais-je lais­sée ten­tée par Lise ? Ou par Marc ? Ou… les deux ? [4]Amantes et Maî­tresse, p. 62

Si l’in­trigue n’a rien de bien spé­cial, elle dépasse quand même de loin le rôle ingrat auquel elle n’est que trop sou­vent relé­guée dans les textes à ins­pi­ra­tion éro­ti­co-por­no­gra­phique où elle se borne très sou­vent à four­nir un pré­texte aux mul­tiples pas­sages à l’acte. Dans Amantes & Maî­tresse, la nar­ra­tion ne se laisse pas can­ton­ner dans un rôle aus­si minable, les scènes décrites par la nar­ra­trice du récit-cadre évo­quant avec une puis­sance cer­taine les images de la vie d’Em­ma qui, à tra­vers ces évo­ca­tions, devient un être à part entière – dans la mesure du lit­té­rai­re­ment pos­sible. Quant aux pho­tos, l’élé­ment cen­sé faire la dif­fé­rence, je me demande si elles ne sont pas autant d’embûches sur la route de l’i­ma­gi­na­tion, four­nis­sant des « objets » bien trop concrets à une ima­gi­na­tion qui aime­rait prendre son propre envol. Ceci n’est pas un juge­ment de qua­li­té, les pho­tos cap­tant quelques ins­tants très sen­suels – et qui suis-je pour me plaindre de pou­voir jouir du pri­vi­lège de voir l’é­di­trice elle-même se pro­duire en cos­tume d’Ève ? J’ai pour­tant l’im­pres­sion que l’i­ma­gi­na­tion va plus loin quand elle est libre de tout – ima­gi­ner… et de com­po­ser elle-même les images capables de ren­for­cer le désir, nées à tra­vers la mon­tée du désir, des images qui peut-être revêtent les visages d’hommes ou de femmes croi­sés quelque part ou sur­gis d’un pas­sé plus ou moins loin­tain. Vous m’op­po­se­rez peut-être la bande des­si­née qui aurait opté pour une même approche. À la sur­face, disons que ce n’est pas faux, mais les images telles qu’on les trouve dans la qua­si-tota­li­té de la bande des­si­née sont à l’o­ri­gine des des­sins, un domaine de l’art avec d’autres moyens que celui de la pho­to­gra­phie. Au moins quand il s’a­git d’un cer­tain pho­to-réa­lisme tel qu’il a été uti­li­sé dans Amantes & Maî­tresse où les pho­tos sont certes tra­vaillées pour ren­for­cer l’ef­fet sen­suel recher­ché, mais où elles sont tou­jours avant tout des portraits.

À lire :
Rebecca, Hot Moms #1

L’é­di­trice a expli­qué que le roman est né à la suite d’un constat comme quoi il y aurait une lacune entre éro­tisme et por­no­gra­phie. Sur la page web – actuel­le­ment dis­pa­rue des radars, mais tou­jours visible grâce à des outils tels que la Way­ba­ck­ma­chine – on pou­vait le lire dans ces termes quelques peu poétiques :

Le Charme : Éro­tique ou Por­no ? ‑16 ou + 18. N’y‑a t’il donc rien entre les deux ? Le sexe ne peut-il pas être aus­si sen­suel, beau, agréable, plai­sant, jouis­sif tout en res­tant esthé­tique ? [5]Le Charme : Ero­tique ou Por­no ?

Un constat que Sté­phane Rou­cai­rol répète dans des mots très proches dans une inter­view concé­dée à France Bleu dans le cadre de l’é­mis­sion L’Héraultais(e) du Jour dif­fu­sée le 27 sep­tembre 2017 :

On s’est aper­çu qu’il y avait un vide entre l’é­ro­tique et le por­no­gra­phique. [6]Sté­phane Rou­cai­rol in : L’Hé­raul­taise du jour, le 27 sep­tembre 2017, à par­tir de 00:30.

L’exis­tence d’une lacune entre les façons de pré­sen­ter voire de sti­mu­ler la sexua­li­té – quelle que soit son impor­tance et quel que soit le rôle du genre – ne fait guère de doute, et c’est par la même brèche qu’une Eri­ka Lust a choi­si de péné­trer dans la chasse gar­dée de la por­no­gra­phie à domi­nante mas­cu­line telle qu’elle se consomme depuis des décen­nies avec ses images les unes plus crues que les autres, sa recherche de tou­jours plus de cruau­té et ses expé­di­tions quo­ti­diennes au fond du cra­pu­leux. Reste à savoir si la piste explo­rée par les créa­teurs d’À l’Ho­ri­zon­tale a été la bonne et si des res­sources plus impor­tantes leur auraient per­mis de se remar­quer ailleurs que dans la région et de s’im­po­ser sur un niveau natio­nal. Dans la mesure où il est pos­sible d’ap­por­ter un juge­ment sur la base d’un seul titre, je pense qu’un public aurait pu se trou­ver pour appré­cier un ouvrage qui pro­pose un beau mélange d’élé­ments tex­tuels et visuels. Sur­tout parce que le texte est assez fort pour pou­voir exis­ter sépa­ré­ment des images, avec ses per­son­nages cré­dibles et sa recherche de sen­sa­tions fortes sans sor­tir trop loin du quo­ti­dien. Ce qui per­met effec­ti­ve­ment à Mme Tout­le­monde de se glis­ser dans la peau des pro­ta­go­nistes et de vivre quelques esca­pades par procuration.

Vous l’au­rez com­pris, les Édi­tions À l’Ho­ri­zon­tale ont été mises en pause. Si tou­te­fois vous aime­riez vous pro­cu­rer le texte pour voir par vous-même – ou pour suivre le conseil des édi­teurs, à savoir le dégus­ter en tête-à-tête, allon­gés – Sté­phane Rou­cai­rol vient de me confier qu’il leur reste quelques exem­plaires. Si vous êtes inté­res­sés, contac­tez-la à l’a­dresse alhorizontale@orange.fr.

Amantes & Maî­tresse
Édi­tions À l’Ho­ri­zon­tale
ISBN : 978−2−955−55991−8

Amantes et Maitresses

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Et voi­ci que l’au­teur vient enfin de sor­tir de l’a­no­ny­mat jalou­se­ment gar­dé depuis la publi­ca­tion en 2017. Si je suis le pre­mier à en par­ler, c’est bien sûr avec l’au­to­ri­sa­tion des prin­ci­paux concernés.
2 C’est en toute connais­sance de cause que j’u­ti­lise ici le terme fémi­nin, Sté­phane Rou­cai­rol ayant plu­sieurs fois sou­li­gné que les ambi­tions de la mai­son visaient sur­tout les femmes. Dans un article du Midi Libre il est ques­tion du « pre­mier roman pho­to de charme pour les femmes » et dans une inter­view pour France Bleu elle insiste sur l’im­por­tance du public fémi­nin et son inté­rêt pour les textes éro­tiques révé­lé à tra­vers le suc­cès des 50 nuances de Grey
3 Amantes & Maî­tresse, p. 62
4 Amantes et Maî­tresse, p. 62
5 Le Charme : Ero­tique ou Porno ?
6 Sté­phane Rou­cai­rol in : L’Hé­raul­taise du jour, le 27 sep­tembre 2017, à par­tir de 00:30.
La Sirène de Montpeller