L’année passée, j’ai eu le bonheur de découvrir Aaden Farey, un auteur dont la voix est devenue en quelque sorte l’essence même des Lectures estivales. Et aujourd’hui j’ai le plaisir de vous présenter Juste un jeu…, un titre que j’ai ardemment attendu pendant de longs mois, paru presque un an jour par jour après Quelques %, le titre où Farey a raconté avec une délicieuse complicité les aventures d’une bande de jeunes qui, le long des semaines interminables d’un été sous le soleil, se livraient avec toute la naïveté de l’adolescence à une sensualité inconsciente née de l’insouciance estivale et de la proximité des corps qui appelle à toutes les découvertes. Et voici maintenant la suite qui reprend le fil du récit des aventures de Julie et d’Alexandre là où l’auteur l’a délaissé, quelques heures à peine après le départ de Soraya.
On vous rappelle quelques détails en vitesse afin de ne pas vous perdre en cours de route : Julie et Alexandre, frère et sœur, et Soraya, leur cousine – mais pas vraiment vu qu’elle a été adoptée – c’est le trio d’adolescents qui s’est retrouvé réuni, le temps de quelques semaines de vacances, dans la proximité d’une maison de campagne chauffée à blanc non seulement par le soleil d’un mois de juillet quelque part dans le sud, mais surtout par l’éveil des sensualités à coup de défis vaillamment lancés et aussitôt relevés par ces jeunes insouciants et sans défense face à ce que leurs hormones leur font apparaître comme rien qu’un jeu. Et c’est précisément sous le titre de jeu, élevé par l’auteur à l’honneur de sa page de couverture, que désormais se place un récit qui, de par le nombre limité de ses protagonistes et le cadre restreint de ce qui s’y passe – pratiquement plus d’excursions dans la campagne environnante sauf une escapade en boîte de nuit où se rassemble une faune locale plus à même d’éloigner les jeunes que de les attirer – est devenu, après le départ de Soraya, une sorte de huis clos entre Julie et Alexandre. Huis clos où la présence des parents n’est plus qu’un détail accessoire, une présence incommode à laquelle on essaie de se soustraire, une menace qu’on essaie d’ignorer, mais le plus souvent un ingrédient pour rendre plus épicés les défis toujours plus osés, toujours plus transgressifs. Et est-ce qu’il faut ensuite s’étonner que de cette éternelle proximité des chairs en pleine éclosion et de leur exhibition permanente rendue pratiquement inévitable par l’ambiance estivale où la piscine constitue le seul moyen de se rafraîchir, est-ce qu’il faut s’étonner de voir naître dans une telle ambiance, rendue irrespirable par le bouillonnement des hormones d’une jeunesse en chaleur, une attraction que certains – et certainement la société et les lois qui la régissent – considéreraient comme malsaine ? Comment imaginer ces deux personnages – que tout rapproche, que tout devrait éloigner et qui pourtant se retrouvent constamment rejetés sur eux-mêmes – échapper à ce qui se prépare dans un « jeu » dont ils sont les protagonistes et en même temps les pions qui se laissent manipuler avec un plaisir qui ne cherche qu’à se libérer en mettant l’autre en échec ?
Juste un jeu…, c’est un texte très long, plus long encore que le précédent, et il y a eu des moments où j’ai regretté l’ambiance plus légère, plus insouciante, de la première partie, ponctuée de randonnées et d’excursions, les constellations entre les personnages y ayant été plus complexes et plus variées grâce à la présence d’un troisième élément désormais pratiquement absent malgré quelques interventions numériques de Soraya à travers des conversations sur WhatsApp. Mais ces apparitions intermittentes et presque fantomatiques – comme de l’autre côté du souvenir – ne sont pas suffisantes pour distraire le lecteur et encore moins Julie et Alexandre, se frottant l’un contre l’autre dans l’étroitesse des couloirs, des chambres, des cabines de douche et – de leurs lits. Et voici le cadre où se prépare, dans un espace toujours plus restreint qui rend la fuite impossible et la présence de l’autre une nécessité incontournable, le rapprochement intime qui voit le grand frère, au bout d’un parcours marqué par des transgressions devenues en fin de partie des évidences, plonger entre les cuisses de la petite sœur. Et le lecteur, contraint d’assister à des scènes censées soulever l’horreur et l’indignation, en est réduit à saliver sur des scènes d’une défloration fusionnelle où les chairs se pénètrent avec l’entière passion des premières fois. Et c’est là, poussé à une telle extrémité, que le lecteur constate que ce qui a d’abord pu lui apparaître comme des longueurs, avec la répétition presque obsessive des mêmes gestes et des mêmes paroles, remplit un rôle aussi sournois que précis dans la construction narrative, à savoir celui de l’habituer – à force de répétitions – à la transgression – sans pour autant rendre celle-ci banale ! – et de le pousser tout doucement dans la « bonne » direction avant de finir par le mettre devant le fait accompli – en le menant par le bout de son sexe ou de ses tétons – en tant que témoin d’un acte dont il a toutes les peines du monde à ne pas devenir complice.
L’inceste est sans doute un des derniers tabous dans une société qui, c’est au moins l’impression qu’on peut avoir en suivant la presse people, a déjà tout vu, tellement blasée que rien ne peut plus l’ébranler. Et Farey, décidé à pousser la complicité jusqu’au bout, ne se contente pas de quelques vagues allusions anémiques, mais conduit le lecteur là où ça fait mal, dans le lit partagé par le frère et la sœur, sur le lieu même des ébats où Julie aspire à des pénétrations toujours plus profondes et où Alexandre assiste avec un plaisir certainement non feint au spectacle de sa petite sœur qui allègrement avale tout ce qu’il a à lui offrir.
Franchement, j’ai été renversé par la force de cette narration, par la puissance évocatrice d’un auteur qui fait tellement saliver que le dégoût même se noie sous les flots de bave – ou d’autres liquides corporels – provoqués par la brûlante sensualité des corps qui se rapprochent et se trouvent. Et quel plaisir aussi de voir un auteur à l’œuvre dont les paroles incitent à découvrir au fond des abîmes les plus profonds – ceux qu’on imagine allumés par les lointains reflets du feu infernal – le charme de l’amour le plus passionné et tellement « naïf » dans ses gestes qu’on serait presque tenté de les qualifier d’innocents. Juste un jeu…, c’est un titre à la hauteur du sujet qui résume parfaitement l’ambivalence d’un univers tiraillé entre l’innocence des enfants et la dépravation des joueurs dont la décadence rappellerait celle du personnage éponyme de Dostoïevski. Un texte qui, s’il n’a plus rien de la légèreté estivale du premier tome, se fraye sa route envers et contre tout. On peut se demander, à peine sorti de la tempête soulevée par cette expérience des limites, si un tel morceau de bravoure peut encore être suivi par autre chose que le silence.
Mise à jour (2022)
À mon très grand regret, Aaden Farey a retiré ses deux romans érotiques de chez Amazon, et ceux-ci ne sont donc plus disponibles. Voici d’ailleurs un des très grands désavantages des textes publiés en numérique : Une fois retirés de la circulation, il n’est plus possible de mettre la main dessus, contrairement aux ouvrages en papier qui finiront pratiquement toujours par apparaître chez les bouquinistes. J’ai donc retiré des liens qui toutefois ne mèneront plus nulle part.