Connaissez-vous, chers lecteurs, le nom du tout premier Prix Goncourt ? De celui donc qui a eu l’honneur de le recevoir des mains de J. K. Huysmans lui-même (qui dira, bien plus tard, à propos de ce premier lauréat que « c’est encore le meilleur que nous ayons couronné ») ? Moi, j’ai dû m’avouer vaincu, je n’en avais jamais entendu parler. Et force est de constater que John-Antoine Nau, même si quelques-uns de ses romans se trouvent encore par-ci, par-là (en l’occurrence Force ennemie et Les Trois amours de Benigno Reyes), est pratiquement absent de l’histoire (et pire : de la conscience) littéraire.

Quel parcours pourtant que celui d’Eugène Torquet alias J.-A. Nau[1]Je dois une grande partie des détails concernant la vie et les voyages de John-Antoine Nau au travail de Catherine Harlé-Conard, dont l’article est disponible sur internet. : Né aux bords du Pacifique, à San Francisco, en 1860, la vie l’a conduit à travers le monde, avec des escales à Haïti, aux Antilles et à Martinique, avant de le ramener en Europe où il a parcouru la péninsule ibérique et les quatre coins de la France, avec des séjours plus ou moins étendus à Port en Bessin, à Asnières, à Piriac, au Lavandou, à Pontoise, à Carteret, à Saint-Tropez, à Paris, en Corse, à Rouen et – escale finale – à Tréboul, dans le Finisterre (ô si bien nommé), où il s’est couché pour un dernier repos au cimetière marin, le 17 mars 1918. Une vie donc trempée dans l’eau de mer, où brillent les constellations des deux hémisphères, où soufflent les vents torrides du désert et les orages salés des océans, et qui sent l’odeur brûlante du maquis au même titre que le goût terreux des landes du Cotentin.

Au cours de ses pérégrinations, il s’est lié d’amitié avec quelques-uns des maîtres du Néo-Impressionnisme, tel Paul Signac, Henri-Edmond Cross ou encore Lucie Cousturier. Est-il permis de croire que ces obsédés de la lumière étaient attirés par celui qui avait vu le soleil se lever sur les étendues maritimes tout aussi bien que sur le désert africain, et dont les yeux vibraient encore au rythme des vagues scintillantes de la Méditerranée ?
Le petit texte que j’ai l’honneur de vous avoir concocté ne prétend aucunement à apporter le moindre élément de réponse à une telle question. Mais on peut toujours consulter les textes et on se rend vite compte que cet auteur a très souvent troqué son écritoire contre la palette et le pinceau du peintre, et que les couleurs sont omniprésentes dans ses descriptions. Voici quelques petits extrait de la nouvelle Les Trois amours de Benigno Reyes :
« De sa fenêtre il apercevait l’immense rade foraine aux flots verdâtres un peu jaunis, comme huileux, sous le ciel d’outremer intense … » (p. 6)
« Des maisonnettes blanches ou jaunâtres filaient sur le côté de la route, dont l’autre bord dominait de plus en plus de deux cents mètres l’Océan bleu pailleté d’éclats de topaze. » (pp. 25 – 26)
Dépassant les puissants éperons et les cimes de sierras sombres, le pic de Teyde semblait une énorme tente brune et fauve, frottée de poudre d’or et juchée en plein ciel. (p. 26)
On conçoit aisément que celui qui peint avec sa plume ait pu attirer ceux qui se servent des ustensiles plus traditionnelles de leur métier. Quoi qu’il en soit, John-Antoine Nau mérite d’être lu, et si j’ai pu contribuer à cela, je m’en réjouis.
Une dernière remarque avant de conclure : En me mettant sur la trace de cet écrivain-bourlingueur, j’ai eu le bonheur de tomber sur la dénommée Lucie Cousturier, peintre de son état, et peu connue de nos jours. C’est, on le sait, souvent le sort des femmes qui se sont frottées de trop près à leurs collègues masculins. Pensez à Berthe Morisot ou encore à Marie Cassat, consœurs « impressionnistes » de Lucie. Et pour corriger un tant soit peu la postérité qui décerne les honneurs trop facilement aux hommes, soyez assurées, chères lectrices, qu’un article sera très bientôt consacré à Lucie Cousturier.
Références
↑1 | Je dois une grande partie des détails concernant la vie et les voyages de John-Antoine Nau au travail de Catherine Harlé-Conard, dont l’article est disponible sur internet. |
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