Yan­nis Z., Tu as le sexe d’un ange

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« Tu as le sexe d’un ange ! », c’est l’ex­cla­ma­tion du nar­ra­teur quand il voit, pour la pre­mière fois, le sexe épi­lé de Lei­la, sa conquête rem­por­tée au bout d’une nuit pas­sée à dan­ser et à dis­cu­ter dans un club de Mont­pel­lier. Le sexe des anges, ce n’est pas une phrase inno­cente, même dans la bouche d’un puceau. C’est plu­tôt une ques­tion qui peut nous emme­ner loin, très loin dans les pro­fon­deurs voire les abîmes de l’His­toire. Les Pères de l’É­glise se sont pen­chés sur la ques­tion, le concile de Nicée II en a débat­tu (pour fina­le­ment conclure à la non-cor­po­réa­li­té des anges en ques­tion), et cer­tains, dans la Constan­ti­nople assié­gée par les troupes de Meh­met II,  se seraient tel­le­ment lais­sés séduire, dit-on, par des dif­fé­rends tel­le­ment éthé­rés qu’ils en auraient oublié les Otto­mans en train d’en­va­hir la ville et de chan­ger pour tou­jours la face du monde orien­tal. Quoi qu’il en soit, il paraît que (Nicée II !) les anges n’en ont tout sim­ple­ment pas, de sexe, mal­gré cer­tain pas­sage lubrique de la Bible où il fait écrit que

« les fils de Dieu trou­vèrent que les filles des hommes leur conve­naient et ils prirent pour femmes toutes celles qu’il leur plut » (Gen 6, 1–2 )

Celui qui parle du sexe d’un ange (ou des anges) fourre donc ses doigts dans une four­mi­lière et évo­lue dans un champ immense, entre fou­taises théo­lo­giques qui feraient oublier des affaires autre­ment plus impor­tantes et un sujet de débat qui a su pas­sion­ner les esprits les plus dis­tin­gués du globe entier pen­dant des mil­lé­naires. Veuillez pour­tant me par­don­ner, chers lec­teurs, si je garde de toute cette affaire, mal­gré les inter­ven­tions d’un nombre effrayant d’é­mi­nences doc­tis­simes, l’a­vis de celui qui a su trou­ver une for­mule épa­tante de sim­pli­ci­té pour illus­trer la conclu­sion du concile sus-men­tion­né : « pas de corps, pas de zizi et donc pas de par­ties de jambes en l’air » [1]Un contri­bu­teur ano­nyme du Dépar­te­ment Civi­li­sa­tion de la Biblio­thèque de Lyon dans le Gui­chet du Savoir.

Bon. Voi­ci, Mon­sieur Yan­nis Z., où peut mener le choix d’un titre, et il ne faut pas s’é­ton­ner si le lec­teur se retrouve quelque peu à bout de souffle après avoir fait le tour de la civi­li­sa­tion chré­tienne en quelques phrases à peine. Un lec­teur sans doute épa­té par le fait que le texte qui nous inté­resse tourne pré­ci­sé­ment autour de la chose qu’on croyait jus­te­ment impos­sible, à savoir des par­ties de jambes en l’air. Et des par­ties bien jouis­sives, ose­rais-je affirmer.

Mais je vous entends me récla­mer de com­men­cer par le début et de délais­ser les que­relles byzan­tines que j’ai osé éta­ler sous vos yeux. Soit ! On se retrouve donc, au bon milieu des années quatre-vingt du XXe siècle, quelque part dans le sud de la France, plus pré­ci­sé­ment sur une plage nudiste du Cap d’Agde, syno­nyme de débauche, alors comme aujourd’­hui, où quelques bache­liers ont ouvert la chasse aux

« « nym­pho­manes bien chaudes » et autres « salopes en rut » atten­dant de se faire « bai­ser par des éta­lons comme nous ». » (p. 4)

Oui, sans doute. On ne s’é­tonne pas de les voir reve­nir bre­douilles, mais le ton est don­né, et le lec­teur sait désor­mais à quoi s’at­tendre quand il décide de rejoindre cette bande de jeunes au lieu de s’en­fuir au fond de sa biblio­thèque pour y consul­ter un trai­té de théo­lo­gie. Sauf qu’il a, heu­reu­se­ment, affaire à un jeune homme légè­re­ment plus réflé­chi que ses com­pères, ce qui se révé­le­ra d’une cer­taine uti­li­té pour la suite de l’histoire.

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Après la plage, c’est d’a­bord un pub en ville, ensuite une boîte de nuit, et voi­ci qu’on se retrouve dans une de mes par­ties pré­fé­rées du texte où son auteur se laisse aller à une évo­ca­tion aus­si som­maire que géniale de ce que furent les années 80. On peut déjà dire que le sieur Z. sait non seule­ment construire un décor et une ambiance, mais sur­tout séduire son public, et j’ose même affir­mer que ce n’est pas uni­que­ment l’im­pres­sion­nante énu­mé­ra­tion de stars du por­no contem­po­rain qui pro­duit cet effet-là [2]Pour celles et ceux qui font dans le vin­tage, c’est sur les pages 10 et 11..

Pour reve­nir à notre nar­ra­teur (à la pre­mière per­sonne, bien sûr), il se retrouve donc dans une boîte de nuit où il ne tar­de­ra pas (« Je l’ai repé­rée tout de suite. », p. 9) à croi­ser une fille toute à son goût. À par­tir de là, les choses vont leur petit bon­homme de che­min, et je pense que je peux me per­mettre de dévoi­ler l’é­vident : Ces deux-là vont se retrou­ver dans une chambre d’hô­tel, leurs bras, leurs bouches et leurs sexes avides de se décou­vrir, et notre nar­ra­teur, puceau au moment de mettre les pattes dans la boîte de nuit, aura trou­vé ce qu’il était par­ti cher­cher quand il s’est embar­qué dans la nuit : « … je vou­lais de la chair, du plai­sir, du sexe. » (p. 10). Mais il devra se rendre compte qu’il n’est pas au bout de ses décou­vertes, parce qu’une sur­prise de taille l’attend.

Le lec­teur, qui a l’a­van­tage de pou­voir recu­ler dans le temps en reli­sant tous les pas­sages du texte autant de fois qu’il le sou­haite, aurait pu être aver­ti : le mélange des corps, l’é­vo­ca­tion du mythe d’A­ris­to­phane (celui de l’espèce andro­gyne), Lei­la qui « dési­rait que nous ne fas­sions plus qu’un » (p. 14), la nudi­té de Lei­la qui « péné­trait » (p. 24) le nar­ra­teur, celui-ci qui parle de « la semence » de Lei­la (p. 28). Les attri­buts s’é­changent, les dif­fé­rences s’es­tompent, et on assiste à une union pro­gres­sive, union qui mène­ra les amants au point « de ne plus savoir qui était l’homme, qui était la femme » (p. 28). On finit par se rendre compte qu’il y a quelque chose dans cette his­toire qui va plus loin qu’un simple rap­port sexuel, plus loin que ce que veut l’u­sage des pré­cieuses ridi­cules qui hésitent devant les mots trop crus et pré­fèrent par­ler d’union quand il s’a­git tout bête­ment de gali­pettes, plus loin même qu’un one night stand qui aurait dégé­né­ré en affec­tion mutuelle. Je ne vou­drais pas usur­per y le droit le plus noble du lec­teur, à savoir d’ef­feuiller, dans l’in­ti­mi­té de son for inté­rieur, le texte, sorte de ius pri­mae lec­tio­nis, pour y tra­quer tous les détails de cette affaire peu ordi­naire, je me contente donc de vous révé­ler que Yan­nis Z. a écrit, dans Tu as le sexe d’un ange,  une his­toire d’a­mour entre deux êtres humains, un peu comme l’illus­tra­tion de la recons­ti­tu­tion enfin deve­nue pos­sible de l’espèce per­due d’Aristophane.

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La valeur huma­niste est incon­tes­table, et Yan­nis Z. trouve de très belles phrases pour célé­brer l’hu­ma­ni­té capable de s’ex­pri­mer et de se réa­li­ser dans une union (je sais ce qu je viens d’é­crire quelques lignes plus haut, mais le contexte, pour une fois, jus­ti­fie l’ex­pres­sion) aus­si banale que celle d’une nuit d’a­mour qui se répète par­tout, à chaque heure, dans n’im­porte quel coin de la pla­nète. Quant à la valeur lit­té­raire, on peut cer­tai­ne­ment s’in­ter­ro­ger sur la per­ti­nence de remarques intro­duites par : « Nous savons tous que  » (p. 16), et il faut sans doute se poser des ques­tions à pro­pos du rôle du nar­ra­teur qui, par­fois, devient de façon un peu trop osten­sible le porte-parole de  l’au­teur, et qui se laisse aller, par exemple, à des consi­dé­ra­tions poli­ti­co-phi­lo­so­phiques quelques ins­tants à peine avant de perdre sa virginité :

« Le culte de la per­for­mance sexuelle et de la péné­tra­tion est sans doute l’une des pires alié­na­tions men­tales de nos socié­tés soit-disant modernes. (p. 28) »

Il ne serait pas dif­fi­cile de citer d’autres pas­sages où l’on sent un autre se glis­ser dans la peau du nar­ra­teur, mais com­ment en vou­loir à un texte dont le le seul défaut serait de prô­ner avec un peu trop d’in­sis­tance les valeurs humaines dont se réclame son auteur ? Un auteur, sur­tout, qui sait créer une ambiance avec des mots aus­si simples :

« Dehors, il pleu­vait des cordes. J’entendais d’énormes gouttes tam­bou­ri­ner sur les vitres. Les volets étaient ouverts et nous regar­dions le ciel sombre et ora­geux à tra­vers les rideaux. Nous étions bien dans la cha­leur de cette chambre. »

Et qui réa­lise, en pas­sant, l’ex­ploit d’ar­ra­cher à l’obs­cu­ri­té, grâce à la lumière de ses coups de foudre, des bribes de l’am­biance d’une époque révo­lue. Et com­ment vou­lez-vous que le vieux nos­tal­gique irré­sis­tible que je suis puisse résis­ter à cela ?

Yan­nis Z.
Tu as le sexe d’un ange
Édi­tions Arta­lys
ISBN : 979−10−91549−63−9

Yannis Z, Tu as le sexe d’un ange
Cré­dit pho­to­gra­phique Alexan­dra Lexey / 123RF

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Un contri­bu­teur ano­nyme du Dépar­te­ment Civi­li­sa­tion de la Biblio­thèque de Lyon dans le Gui­chet du Savoir.
2 Pour celles et ceux qui font dans le vin­tage, c’est sur les pages 10 et 11.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95