Jack Sabal, Les deux Anglaises

La forêt, on le sait depuis au moins l’in­ven­tion de la « matière de Bre­tagne », est peu­plée de toutes sortes de monstres et autres créa­tures sur­na­tu­relles et / ou peu fré­quen­tables. Quoi qu’il en soit, depuis la décou­verte de l’é­co­lo­gie et la vul­ga­ri­sa­tion de l’i­dée d’une « nature » d’a­vant les sup­po­sées méfaits de la civi­li­sa­tion – qui serait l’ha­bi­tat le mieux adap­té non seule­ment de l’homme, mais de tout ce qui l’en­toure – l’i­mage des éten­dues boi­sées a quelque peu évo­lué vers le posi­tif. Mais essayez un peu de vous aven­tu­rer dans nos cam­pagnes pour y évo­quer le loup et vous aurez vite fait de tou­cher du doigt les peurs ori­gi­nelles autre­ment plus puis­santes que tout ce que peut inven­ter le génie cor­rom­pu des cita­dins du XXIe siècle. Reste à savoir quelle est l’i­dée de Jack Sabal à pro­pos de ce sujet, et s’il arrive à lais­ser ses lec­trices et ses lec­teurs avec l’im­pres­sion que les ren­contres avec les monstres peuvent aus­si appor­ter quelque chose à celui – ou celle – qui consent à se lais­ser appro­cher, à se lais­ser pétrir la chair, à s’ou­vrir à une péné­tra­tion des plus insolites.

Pour illus­trer tout cela, Jack Sabal a eu l’i­dée géniale de pla­cer ses deux pro­ta­go­nistes – deux jeunes miss anglaises répon­dant aux doux noms tout ce qu’il y a de plus english de Gla­dys et de Mary – dans un grand pré à l’o­rée d’un « bois épais [qui] fer­mait le pré de l’autre côté« 1. Un bois qui est intro­duit dans le récit presque en même temps que ses pro­ta­go­nistes fémi­nines et lequel, s’il n’in­ter­vient pas acti­ve­ment dans l’in­trigue, on aime­rait voir trai­té comme un des héros du roman. Un héros qui hante l’i­ma­gi­na­tion tel­le­ment fer­tile des jeunes miss qui aime­raient voir par­tout de poten­tiels par­te­naires de leurs jeux très peu inno­cents : « Ima­gine qu’il y ait quelqu’un dans le bois…« 2 Injonc­tion lan­cée par Gla­dys à sa copine, très bien­tôt sui­vie par une invi­ta­tion au jeu :

On dit qu’il y a un type, dans le bois. Il a des jumelles, il voit tout en détail, on va lui mon­trer notre fente.3

Mais atten­dez un peu ! Vous m’en­ten­dez évo­quer la forêt et les bois à lon­gueur de para­graphes et vous vous deman­dez sans doute si vous êtes au bon endroit, à savoir en plein milieu des Lec­tures esti­vales ? Et oui, vous ne vous êtes pas trom­pés de sor­ties, mais lais­sez-moi glis­ser une petite paren­thèse dans le texte pour mieux vous expliquer :

Paren­thèse de couverture

En recher­chant les textes pour mes Lec­tures, je me suis ren­du compte du fait que Les Deux Anglaises sont dis­po­nibles dans deux édi­tions dif­fé­rentes, celle de 2015 et celle de 2024. Un phé­no­mène que j’ai déjà pu consta­ter par le pas­sé pour d’autres titres de cette col­lec­tion. Figu­rez-vous main­te­nant que la pré­sence du texte dans l’é­di­tion 2025 des Lec­tures esti­vales du San­glier est due au seul fait que la cou­ver­ture de l’é­di­tion de 2024 évoque une ambiance de – vacances à la mer… Contem­plez un peu la cou­ver­ture que je viens de vous col­ler à gauche de ce para­graphe et dites-moi si je me trompe ? Deux jeunes filles très légè­re­ment vêtues, la tente au milieu d’une bande de sable, le ciel aux reflets azu­réens, et même un bout de mer, entre le jeune homme à droite et le poteau contre lequel il repose sa tête. Qu’est-ce que cela peut bien évo­quer, selon vous ?

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Fran­che­ment, c’est malin, mes­dames et mes­sieurs de chez La Musar­dine … Mais bon, je ne vais pas trop vous en vou­loir, vu que votre petite âne­rie m’a fait décou­vrir un auteur que je ne soup­çon­nais pas aus­si fer­tile. Du coup, trin­quons aux lec­tures futures !

Bon, plage, pré, bois – de gus­ti­bus non dis­pu­tan­dum et les délices de la plage ne sont pas pour tout le monde. J’ai du mal à le com­prendre, mais je fais des efforts. Il paraît même que dans ces temps de chan­ge­ment cli­ma­tique et de cani­cules, de plus en plus de gens cherchent à se sous­traire à trop de cha­leur en han­tant les contrées boréales. Et des vacances tout près des bois, dans un pré arro­sé par un ruis­seau, c’est pra­ti­que­ment le modèle avant l’heure d’une cool­ca­tion4. Sans par­ler des averses qui feront débor­der le ruis­seau en ques­tion, détail impor­tant pour la suite de l’intrigue.

Mais – tant de paroles pour jus­ti­fier mon choix et pour atti­ser l’in­té­rêt de mes lec­trices et de mes lec­teurs, sans avoir mon­tré le plus petit bout de tétons de nos deux Anglaises et encore moins sans voir le moindre monstre sor­tir du bois. Et je tiens à vous le dire tout de suite, ce n’est pas le monstre qui pren­dra sur lui de sor­tir d’entre les arbres abri­tant son repaire, ce sera à ses proies de faire l’ef­fort de venir s’ins­tal­ler dans sa demeure. Et comme chaque monstre pré­ten­dant à un cer­tain stan­ding, celui-ci pour­ra se ser­vir de quel­qu’un pour s’oc­cu­per de ses proies, à la façon des fac­to­tums d’un Comte Dra­cu­la. Et la tâche de ces esprits ser­viles – à vous de juger de sa péni­bi­li­té – ne se borne pas au seul fait de venir ramas­ser les jeunes miss au milieu de leur aire de cam­ping impro­vi­sée et inon­dée par des averses, mais ils devront encore se char­ger de conve­na­ble­ment pré­pa­rer les vic­times, à les mettre dans le bon état d’es­prit, à lubri­fier leurs méninges et leurs ori­fices avant de pou­voir son­ger à lais­ser les devants de la scène au pro­ta­go­niste de la fable.

On voit donc les jeunes femmes pas­ser par les étapes suc­ces­sives de l’i­ni­tia­tion, des caresses entre amies et entre femmes aux mots et aux gestes crus, des orgasmes sus­ci­tés par de savantes mani­pu­la­tions des chairs lubri­fiées aux mul­tiples péné­tra­tions, avant de pas­ser à l’é­tape sui­vante consis­tant à ser­vir d’a­muse-gueule au maître de la mai­son­née. Pri­vées de liber­té et de vête­ments ensuite, les miss seront dou­ce­ment et pro­gres­si­ve­ment mises en contact avec le pro­ta­go­niste. Des regards à tra­vers une porte entre­bâillée aux cris de celles choi­sies pour four­nir au monstre sa ration quo­ti­dienne de chair, pré­ludes à un contact de plus en plus direct et une domi­na­tion de plus en plus enva­his­sante et irré­sis­tible, une abo­li­tion pro­gres­sive du libre-arbitre des vic­times suite à une faim d’or­gasmes de plus en plus puis­sants sus­ci­tée par des attri­buts à la taille de la répu­ta­tion de celui qui les manie.

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On ima­gine que les deux miss en ques­tion ne sor­ti­ront pas indemnes de telles expé­riences qui les auront obli­gées à aller bien au-delà de leurs limites spi­ri­tuelles et à conscien­cieu­se­ment son­der la flexi­bi­li­té de leurs sphinc­ters res­pec­tifs. Je ne vais évi­dem­ment pas vous gâcher le plai­sir de décou­vrir tout cela par vous-mêmes, mais per­met­tez-moi de lâcher un indice. Dans les his­toires de monstres, la fas­ci­na­tion de ces êtres hors pair est sou­vent telle que les proies finissent par se trans­for­mer en chas­seuses afin d’at­ti­rer vers leur maître d’autres chairs à conqué­rir. Et c’est cette pers­pec­tive-là qui m’a per­mis de goû­ter à l’é­pi­logue comme s’il s’a­gis­sait là du véri­table plat de résis­tance. Une autre trans­for­ma­tion pour pré­cé­der tant d’autres et qui m’a lais­sé avec une faim de lec­tures à venir qui ne doit pas être loin der­rière celle du monstre.

Jack Sabal – l’œuvre submergée

J’ai d’ailleurs constate avec une cer­taine sur­prise que le Sieur Sabal est à l’o­ri­gine d’une œuvre éro­ti­co-por­no­gra­phique assez impor­tante. Le pro­blème ? Il faut vrai­ment creu­ser pour s’en rendre compte. Dans ma librai­rie numé­rique de réfé­rence, 7switch, on trouve à peine deux pauvres titres5. Sur le site de son édi­teur his­to­rique – Média 1000 pas­sé dans le giron de la Musar­dine vers le milieu des années 1990 – il y a déjà une petite dizaine de textes (Les Deux Anglaises, tout comme sur le site de 7switch, répon­dant pré­sentes dans l’é­di­tion de 20156 et de 2024), chiffre qu’on voit plus que dou­bler quand on consulte le site belge d’A­ma­zon. Qui pré­sente, d’a­près mes recherches, la liste la plus com­plète des textes de Sabal. Ce qui cor­res­pond – si j’ai bien comp­té en tenant compte des réédi­tions – au résul­tat obte­nu à tra­vers la page de recherche de la BNF.

On se demande pour­quoi l’é­di­teur ne tire pas pro­fit d’un auteur aus­si pro­li­fique ? Pour avoir quelque chose à pro­po­ser aux lec­teurs et aux lec­trices dans les années à venir ? À moins bien sûr que les textes soient jugés trop per­vers pour oser les pro­po­ser aux lec­teurs du XXIe siècle7 ? Ques­tion de droits expi­rés, sinon ? Je n’ai fran­che­ment aucune idée, mais j’a­voue que cer­tains de ces titres ris­que­raient de me séduire, à l’ins­tar de ceux met­tant en scène le per­son­nage de Suzanne. Per­son­nage qui me semble digne du plus grand inté­rêt ! À en juger au moins d’a­près des titres tels que : Coquine Suzanne, La Petite Suzanne, Les plai­sirs de Suzanne, Suzanne et l’en­fer du sexe, Suzanne et le vieux mon­sieur.

Jack Sabal
Les deux Anglaises
Média 1000
ISBN : 9782744810879

  1. Jack Sabal, Les deux Anglaises, loc. 48 ↩︎
  2. Jack Sabal, Les deux Anglaises, loc. 51 ↩︎
  3. l.c., loc. 55 ↩︎
  4. Néo­lo­gisme com­po­sé de l’an­glais « cool » pour froid, frais et de « cation », der­nière par­tie de l’an­glais « vaca­tion » pour vacances. Des vacances au frais, donc. ↩︎
  5. Trois, si l’on compte les deux édi­tions des Deux Anglaises. ↩︎
  6. Celle dont le San­glier vous pré­sente la cou­ver­ture dans cet article. ↩︎
  7. Une rai­son qui ne me semble que peu per­ti­nente vu la qua­li­té des textes d’un Ber­nard Mar­ge­ride mal­en­con­treu­se­ment rete­nus pour cette édi­tion des Lec­tures esti­vales↩︎
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95