Danielle Gré­vi­neau, Sexe sur la plage

Oula­la, les amis… Je viens de lire Sexe sur la plage, un texte signé Danielle Gré­vi­neau que je vous ai annon­cé il y a quelques semaines, et il s’est avé­ré main­te­nant – il faut bien l’ad­mettre face à mes lec­teurs – que c’est prin­ci­pa­le­ment la cou­ver­ture qui m’a mis sous le charme. S’il y a donc une chose qu’on peut affir­mer à pro­pos de Danielle Gré­vi­neau, c’est qu’elle excelle dans l’art de choi­sir avec per­fec­tion les appâts à mettre en avant pour séduire le cha­land. Mais cet effet de séduc­tion ne dure qu’un temps, et le texte doit ensuite sou­te­nir l’é­preuve de la lec­ture, sorte de façon lit­té­raire du pas­sage à l’acte. Et dans le cas de Sexe sur la plage, mal­gré toute la bien­veillance sus­ci­tée par un titre aus­si évo­ca­teur de tous les délices dont votre ser­vi­teur raf­fole, le regard der­rière les cou­lisses a failli me faire renon­cer à la lec­ture dès les pre­miers para­graphes. C’est uni­que­ment par sou­ci de pro­fes­sion­na­lisme que j’ai pous­sé plus loin, à tra­vers des phrases mal construites, un ren­du catas­tro­phique des apos­trophes et une intrigue que le nar­ra­teur a dû faire avan­cer à coups de cra­vache pour mener ses pro­ta­go­nistes à la conclu­sion. Mais, me suis-je dit – et bien à contre-cœur ! – il aurait été indé­cent de pas­ser mon che­min comme si de rien n’é­tait après vous avoir fait baver sur vos cla­viers en vous pré­sen­tant le cul bien rond de la belle naïade assise face à la mer, sans vous dire quelques mots à pro­pos d’un texte qui doit comp­ter par­mi les pires qu’il m’ait été don­né de lire. Et tant mieux si cela évite à cer­tains de pas­ser un mau­vais quart d’heures au fond de leurs tran­sats (et de dépen­ser 2,99 €).

Le début d’un texte lit­té­raire peut avoir une impor­tance toute par­ti­cu­lière, c’est au moins l’o­pi­nion lar­ge­ment répan­due dans les milieux qui lisent. Cer­tains poussent la fas­ci­na­tion jus­qu’à pro­po­ser des ouvrages entiers consa­crés au phé­no­mène, comme p. ex. Laurent Nunez – à ne pas confondre avec l’homme poli­tique – qui a inter­ro­gé, sur 200 pages, L’é­nigme des pre­mières phrases, une enquête que la qua­trième de cou­ver­ture essaie de vendre en affirmant :

Tout ce que l’on peut devi­ner d’une œuvre, et de son auteur, n’est-il pas conte­nu dans « sa » pre­mière phrase ? [1]Laurent Nunez, L’é­nigme des pre­mières phrases, qua­trième de cou­ver­ture, cité d’a­près la pré­sen­ta­tion sur 7switch.

Quant à moi, je n’ai jamais sous­crit à cette idée-là, vu que l’exé­cu­tion et la conclu­sion ont des rôles tout aus­si consi­dé­rables à jouer dans l’ef­fet lais­sé par un texte, et que je parie que vous y trou­ve­rez des phrases tout aus­si lourdes de sens que les inci­pit. Quoi qu’il en soit, dans le cas du texte qui nous occupe aujourd’­hui, on assiste à un drôle de phé­no­mène : un début pro­met­teur com­plè­te­ment mas­sa­cré par la suite et l’in­di­gence des moyens de l’au­trice – à moins qu’on ne soit en face ici d’un de ces algo­rithmes appa­rem­ment capables de com­po­ser des textes plus qu’à moi­tiés déchif­frables pour les humains que nous sommes[2]Voi­ci une ques­tion extrê­me­ment pas­sion­nante. Je vous conseille de lire, pour un début de com­pré­hen­sion, la lec­ture de cet article par David Beer, A machine-gene­ra­ted book and an algo­rith­mic … Conti­nue rea­ding.

Après avoir lon­gue­ment par­lé des débuts, voi­ci celui en ques­tion [3]Je vous mets une cap­ture d’é­cran au lieu d’une simple cita­tion en texte pour que vous puis­siez voir l’ef­fet d’un usage aber­rant des apos­trophes. :

Danielle Grévineau, Sexe sur la plage (extrait)
Danielle Gré­vi­neau, Sexe sur la plage (extrait)

Si on fait abs­trac­tion de l’ef­fet dévas­ta­teur des faux apos­trophes sur l’im­pres­sion visuelle et l’en­trée en scène d’une faute d’or­tho­graphe dès le troi­sième para­graphe, un début plu­tôt pas­sion­nant, sur les cha­peaux de roue, un coup de pro­jec­teur sur un pro­ta­go­niste qu’on ima­gine faci­le­ment dans une colère noire, près de péter un plomb, l’a­per­çu d’une intrigue au fond sombre. Un début qui étonne et qu’on ima­gine plus faci­le­ment à sa place dans un polar. Mais si Alain, et le récit ne laisse pla­ner aucun doute là-des­sus, a gran­de­ment besoin de vacances, les aléas de sa situa­tion pro­fes­sion­nelle ne sont pas seuls à blâ­mer pour son état. Il y a aus­si sa femme, Fabienne, qui y compte pour quelque chose. Radine, en train de se de-fémi­ni­ser, de moins en moins encline aux par­ties de jambes en l’air, elle res­semble plu­tôt à un ramas­sis de cli­chés, à une sorte de femme-épou­van­tail, qu’à un être de chair. Quand on doit par­ta­ger le quo­ti­dien d’une telle mégère, on a besoin d’air, c’est clair, mais est-ce que des vacances en famille peuvent être la solu­tion, sur­tout quand la famille se résume au tête-à-tête entre Alain et sa Dulcinée ?

À lire :
Roseline Parny, Un été d'enfer

S’il y a, avec une belle évi­dence, un bon gros côté cli­ché dans cette situa­tion de départ, celle-ci aurait quand même pu ser­vir de point de départ pour en arri­ver à quelque chose d’in­so­lite, sur­tout dans le contexte esti­val, un peu à la façon des épi­sodes drô­la­tiques insé­rés par June Sum­mer dans son récit ins­pi­ré par la vie au Cap, ou peut-être même en insé­rant le récit éro­tique dans un contexte social. N’au­rait-on pas bien rigo­lé en ima­gi­nant Alain avec sur le dos un gilet jaune pen­dant qu’il fait pas­ser à la cas­se­role des légions de vacancières ?

Mal­heu­reu­se­ment, l’au­trice en a déci­dé autre­ment, et on la voit qui conduit son pro­ta­go­niste vers une ren­contre qui, si elle n’a rien de vrai­sem­blable, pro­met au moins des prouesses phy­siques. Alain tombe, à l’im­pro­viste pen­dant qu’il s’en­file un Sex on the beach (!), sur deux ravis­santes beau­tés qui, appa­rem­ment, n’ont pas atten­du mieux que ce tou­riste de mau­vais poil, excé­dé par l’é­tat de son ménage, pour les emme­ner au sep­tième ciel… Je vais être clair : c’est l’é­té, c’est un texte qui parle d’a­mour à la plage, et on est prêt à faire pas mal de conces­sions pour assis­ter à une par­tie de jambes en l’air bien crous­tillante, capable de gui­der le lec­teur vers l’ins­tant Chan­tilly si cher à ce bon vieil Espar­bec. Et bien non, le texte m’a lais­sé froid au milieu des scènes qu’on aurait ima­gi­nées les plus hot, inca­pable de suivre Alain et ses deux coquines « ter­ri­ble­ment ban­dantes »[4]Sexe sur la plage, empla­ce­ment 164 dans un décor pour­tant vou­lu para­di­siaque par une autrice qui ne manque pas d’in­vo­quer à sa res­cousse la nudi­té ins­tan­ta­née de ses jeunes créa­tures de rêve, et de voir autre chose dans leurs ébats qu’une froide gym­nas­tique des plus conve­nues et des plus fausses. Les deux demoi­selles ont beau être ban­dantes tout ce qu’elles veulent, le texte, lui, ne l’est point.

À lire :
E.T. Raven, Amabilia - Les lèvres rouges de la Muse

Quant à la conclu­sion, je n’ai pas l’ha­bi­tude de la dévoi­ler, et je ne vais pas déro­ger à ce prin­cipe ici. Qu’il suf­fise donc de vous indi­quer qu’elle est moins cré­dible encore que la ren­contre d’A­lain et de ses deux Espa­gnoles et qu’on sent à tra­vers le dénoue­ment la volon­té affi­chée de l’au­trice d’en finir avec ses per­son­nages et son récit. Qu’elle ter­mine comme d’autres ter­mi­ne­raient un che­val qui s’est bri­sé les pattes – d’une balle dans la tête.

Danielle Gré­vi­neau
Sexe sur la plage
Ama­zon Media
ASIN : B07GT21KNL

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Laurent Nunez, L’é­nigme des pre­mières phrases, qua­trième de cou­ver­ture, cité d’a­près la pré­sen­ta­tion sur 7switch.
2 Voi­ci une ques­tion extrê­me­ment pas­sion­nante. Je vous conseille de lire, pour un début de com­pré­hen­sion, la lec­ture de cet article par David Beer, A machine-gene­ra­ted book and an algo­rith­mic author. Et comme on est sur le sujet, voi­ci un lien vers une autre piste à suivre pour plon­ger dans le sujet des algo­rithmes et de leur rôle clé dans la déter­mi­na­tion des futurs best­sel­lers : Want to write a best­sel­ling novel ? Use an algo­rithm, un article pro­po­sé en sep­tembre 2017 par la jour­na­liste bri­tan­nique Don­na Fer­gu­son, jour­na­liste au quo­ti­dien The Guar­dian
3 Je vous mets une cap­ture d’é­cran au lieu d’une simple cita­tion en texte pour que vous puis­siez voir l’ef­fet d’un usage aber­rant des apostrophes.
4 Sexe sur la plage, empla­ce­ment 164
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95