Wein­stein, #meToo, Bal­thus – Le por­no dans la tourmente ?

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Thomas Galley, Les Chattes
Éro­tisme ou por­no­gra­phie ? Les Chattes de Tho­mas Galley

Je suis, et je l’ai reven­di­qué à plu­sieurs reprises, auteur de textes éro­ti­co-por­no­gra­phiques. Il suf­fit de (re-)lire mes romans pour s’en rendre compte : rien de ce qui est expli­cite ne m’est étran­ger. Ensuite, je suis le pro­prié­taire de la Bauge lit­té­raire, un espace dédié aux « domaines phy­siques » de la lit­té­ra­ture, à tout ce qui est amour, sexua­li­té, envie, copu­la­tion, exal­ta­tion, sou­mis­sion, fes­sée, péné­tra­tion, avi­lis­se­ment, éja­cu­la­tion, fon­taine – et j’en passe. Vous l’au­rez devi­né, je parle ici de pré­fé­rence de textes simi­laires aux miens de par le sujet – des textes qua­li­fiés d’é­ro­tiques ou de por­no­gra­phiques – et j’as­sume tota­le­ment cette pas­sion pour une lit­té­ra­ture sou­vent mécon­nue, vili­pen­dée, mépri­sée – et qui pour­tant se consume avec un plai­sir non feint depuis des mil­lé­naires. Pour résu­mer : la Bauge lit­té­raire se veut un espace ouvert à tout ce qui se réclame de l’a­mour dans son expres­sion la plus phy­sique – sans pour autant renier la dimen­sion psy­chique de tout éro­tisme digne de ce nom. Avec tout ça, on ne s’é­ton­ne­ra pas de me voir me poser des ques­tions face à la tem­pête qui est en train de balayer bon nombre de « porcs » et qui fait naître des reven­di­ca­tions par­fois plus que dou­teuses – tan­dis que nombre de ques­tions sou­le­vées visent le por­no dans ce qu’il a de plus essen­tiel – les rela­tions entre les sexes et les ques­tions de pou­voir que cela implique.

Éro­tisme et por­no­gra­phie – une dis­tinc­tion qui n’a pas de sens

Avant de conti­nuer, per­met­tez-moi une petite paren­thèse pour abor­der le sujet de l’im­pos­sible dis­tinc­tion entre éro­tisme et por­no (-gra­phie) par un phé­no­mène inso­lite : Connais­sez-vous Char­lie F ? Ou le mot dièse #CLS (pour : Char­lie Live Show) ? Je vous explique : Char­lie est une cam­girl, une fille qui se pro­duit devant des camé­ras, qui se met à poil devant un public payant, qui se branle et se laisse enfi­ler, par des hommes et par­fois aus­si (assez sou­vent même) par des machines à bai­ser. Et qui attire un public nom­breux à tra­vers ses lec­tures éro­tiques (atten­tion, site très peu NSFW !) que je vous recom­mande très cha­leu­reu­se­ment si vous êtes adepte de fris­sons sus­ci­tés par une voix des plus sédui­santes. Qui a donc dit que por­no et lit­té­ra­ture ne fai­saient pas bon ménage ?

Charlie F #CLS Du très bon roman érotique
Char­lie F #CLS « Du très bon roman érotique »

L’exemple de Char­lie F per­met de consta­ter qu’il y a des gens qui ne se gênent pas de dire éro­tique là où cer­tains ne ver­raient que du por­no. Tan­dis que d’autres essaient de récu­pé­rer les uns – les auteurs qua­li­fiés d’é­ro­tiques étant admis au ber­cail des écri­vains fré­quen­tables – et d’os­tra­ci­ser les autres – les méchants por­no­graphes qui se voient refu­ser toute inten­tion sérieuse, relé­gués dans le coin des per­vers ou celui des écri­vaillons de métier qui sali­raient les pages pour des sommes modiques ver­sées par un édi­teur dont la per­ver­si­té se dou­ble­rait d’a­vi­di­té. – Les cli­chés, ça me convient, hein ? Quoi qu’il en soit, l’ex­pé­rience de plu­sieurs années en tant que chro­ni­queur de textes dont la plu­part pas­se­rait pour pure­ment por­no­gra­phique – des textes où l’on trouve effec­ti­ve­ment toutes sortes de pra­tiques qu’on peut qua­li­fier de vio­lentes ou de dégra­dantes, comme par exemple dans une grande par­tie des romans publiés par Média 1000 – cette expé­rience m’ap­prend pour­tant que ce sont jus­te­ment ces textes-ci qui inter­rogent – consciem­ment ou non – le côté psy­chique de la chose avec une per­ti­nence sou­vent absente chez les auteurs plus « réti­cents ». Comme si la mise à nu total des per­son­nages, leur entière acces­si­bi­li­té, per­met­tait de voir à l’œuvre les rouages du men­tal en même temps que ceux du phy­sique. Les rai­sons d’un tel phé­no­mène sont sans doute mul­tiples, mais je me contente ici de consta­ter, réser­vant l’a­na­lyse à d’autres occa­sions. Fort de cette expé­rience, je refuse donc d’in­tro­duire des dis­tinc­tions arbi­traires et de dres­ser des bar­rières entre des auteurs qui, si l’in­ten­si­té de leur approche peut varier, se rangent tous dans un domaine où le phy­sique joue un rôle de pre­mier plan. D’où l’u­sage fré­quent du terme for­gé par votre ser­vi­teur : érotico-pornographique.

À lire :
Lau­rence H., J'exhibais ma copine dans un club de naturistes

Un débat auquel le por­no lit­té­raire n’é­chappe pas

Je ne vais pas embê­ter mes lec­teurs avec un trai­té de l’é­ro­tisme, ni ten­ter de jus­ti­fier mes choix lit­té­raires. Je me contente de vous dire que, l’a­mour au phy­sique étant une des pul­sions les plus irré­sis­tibles aux­quelles le genre humain puisse se voir confron­té, il me semble tout à fait jus­ti­fié de vou­loir en explo­rer les rouages afin de com­prendre les effets qu’une sexua­li­té assu­mée – ou non – peut avoir sur la condi­tion humaine

Claudio Verdi, La belle-mère perverse. Un titre porno particulièrement obscène de chez Media 1000 que je vous présenterai avec grand plaisir.
Clau­dio Ver­di, La belle-mère per­verse. Un titre por­no par­ti­cu­liè­re­ment obs­cène de chez Media 1000 que je vous pré­sen­te­rai avec grand plaisir.

Ceci étant dit, com­ment faut-il main­te­nant réagir – en tant qu’au­teur de textes por­no­gra­phiques – aux dis­cus­sions par­fois extrê­me­ment vio­lentes déclen­chées par l’af­faire Wein­stein et les vagues #meToo et #balan­ce­Ton­Porc qui, par­ties des réseaux numé­riques, ont fini par inon­der les médias ? Com­ment encore jus­ti­fier le com­por­te­ment de cer­tains de nos per­son­nages qui font fi de tout consen­te­ment pour prendre leur plai­sir là où il se trouve, à savoir entre les jambes des femmes, dans leurs bouches et leurs chattes tou­jours grandes ouvertes et bien hui­lées, prêtes à rece­voir les assauts de nos éta­lons tou­jours bien équi­pés, de suc­com­ber à la seule vue des engins de belle taille qu’elles aiment – évi­dem­ment ! – s’en­fi­ler à lon­gueur de jour­née ? Que faire de ces pro­ta­go­nistes fémi­nines qui, au lieu de dénon­cer les vio­lences, courent après les mal­fai­teurs, domi­na­teurs et autres mâles alpha, pour se trou­ver en bonne posi­tion quand il s’a­git de pré­sen­ter leurs ori­fices aux bites fiè­re­ment dres­sées, quitte à encais­ser les coups – de fouet, de poing – qui viennent avec ?

Il y a dans tout cela une cer­ti­tude : un auteur por­no ne peut se sous­traire à ce débat, au moins tant qu’il met un peu de sin­cé­ri­té et de pas­sion dans ce qu’il fait. Ce que je réclame pour moi, et ce que je sais de tant d’autres dont j’ai eu l’oc­ca­sion de lire les textes pour les chro­ni­quer dans la Bauge lit­té­raire. Pas­sons donc aux choses sérieuses !

Il est incon­tes­table que le débat évo­qué plus haut ait don­né un grand coup de pro­jec­teur sur un com­por­te­ment humain des plus détes­tables et en même temps des plus essen­tiels – l’a­bus de pou­voir. Chaque fois qu’il y a des hié­rar­chies, il y a pos­si­bi­li­té d’a­bus, et nier un phé­no­mène aus­si répan­du serait mécon­naître le fonc­tion­ne­ment des socié­tés humaines. Ajou­tons à cela que le sexe a tou­jours été une mon­naie, et on ima­gine faci­le­ment les méca­nismes à l’œuvre dans l’ombre des cou­lisses, les exi­gences de ceux qui ont des rôles à dis­tri­buer, les pres­sions que subissent celles et ceux qui se battent pour obte­nir la den­rée rare, les mar­chan­dages de bas étage entre ceux d’en haut et celles d’en bas. Les uns font les car­rières, tan­dis que les autres en sont réduites à pas­ser par les fourches cau­dines des pro­duc­teurs et autres supé­rieurs qui mènent tout droit aux cas­ting couches et à la pro­mo­tion cana­pé. Un phé­no­mène sans aucun doute détes­table, mais qui fait néan­moins les délices de plus d’un auteur de por­no pui­sant à pleines mains dans les bas-fonds d’un usage qui conti­nue à nour­rir les fan­tasmes – peu importe la situa­tion où on se trouve. Il n’a pas fal­lu attendre le suc­cès des 50 Shades pour com­prendre que le fan­tasme de l’ob­jet sexuel est loin d’être épui­sé, et un scé­na­rio comme celui des cas­tings couches est bien trop beau pour pas­ser à côté. Après tout, la vague des récits de sou­mis­sion qui peuplent les éta­gères depuis main­te­nant assez long­temps répond à des besoins bien réels, que ce soit du côté des lec­teurs ou de celui des auteurs eux-mêmes.

Phé­no­mène réel ver­sus fan­tasme, voi­ci les pôles entre les­quels un auteur de textes éro­ti­co-por­no­gra­phiques est contraint d’é­vo­luer, et on ima­gine les mal­en­ten­dus qu’il peut y avoir dans un domaine aus­si sen­sible. On ne s’é­ton­ne­ra donc pas d’en­tendre des voix s’é­le­ver pour remettre en ques­tion l’u­sage lit­té­raire – ou peut-être plu­tôt artis­tique dans un sou­ci d’ex­ten­sion du domaine de la lutte – de pra­tiques jugées fri­voles et dont cer­taines frôlent l’acte cri­mi­nel. Et la remise en ques­tion pré­cède de peu la volon­té de s’en­tre­po­ser, de faire appel aux auto­ri­tés pour mettre fin à ce que l’on per­çoit comme des abus et à toute forme de « glo­ri­fi­ca­tion » de ceux-ci. Et voi­là que la bête se réveille et qu’elle lève sa tête qu’on croyait tom­bée depuis bien long­temps : nous voi­là face à la censure.

La cen­sure – volon­té populaire ?

On constate effec­ti­ve­ment que, depuis un cer­tain temps déjà, les appels à la cen­sure se mul­ti­plient un peu par­tout. Les uns vou­draient ban­nir des tableaux de Bal­thus des cimaises du Met, tan­dis que d’autres s’op­posent farou­che­ment à la réédi­tion des pam­phlets anti-sémites et pro-nazis de l’au­teur de Jus­qu’au bout de la nuit. Est-ce qu’on peut dire pour autant que c’est le même com­bat ? Sen­si­bi­li­sés par le débat hou­leux déclen­ché par l’af­faire Wein­stein et ampli­fié ensuite par la vague des #meToo et des #balan­ce­Ton­Porc sur les réseaux numé­riques, les uns vou­draient effa­cer ce qu’ils voient comme une atteinte cri­mi­nelle – des pul­sions pédo­philes figées en cou­leur en quelque sorte – tan­dis que les autres, plus près de chez nous, suc­combent à la peur de voir remises à l’hon­neur – de par la publi­ca­tion dans une des mai­sons les plus pres­ti­gieuses de France – les éruc­ta­tions d’un esprit ron­gé par la haine.

À lire :
Bal­thus, #MeToo et la cen­sure tentatrice
Gustave Courbet, L'Origine du monde
L’O­ri­gine du monde de Gus­tave Cour­bet, cible des cen­seurs des réseaux sociaux.

Tout ça, c’est un champ tel­le­ment large qu’on risque de s’y perdre, qu’on risque de choi­sir la mau­vaise route, de s’é­ga­rer, pour se retrou­ver face à face avec ses propres démons. Un ter­rain où, je l’a­voue volon­tiers, je ne m’a­ven­ture que mal­gré moi. En même temps, c’est un débat impor­tant qu’il faut mener, un débat qu’on aurait cru appar­te­nir à un autre âge ou à des ter­ri­toires en proie à des pas­sions reli­gieuses à l’o­ri­gine d’a­bus et de crimes bien autre­ment plus hor­ribles que les coups de gueule qu’on entend se mul­ti­plier dans les échauf­fou­rées média­tiques occi­den­tales. Et c’est un débat que, en tant qu’au­teur et chro­ni­queur de textes éro­ti­co-por­no­gra­phiques, je ne connais que trop bien pour avoir subi les foudres des uns et des autres. Après tout, il n’est pas loin, le temps où Face­book sup­pri­mait avec une féroce déter­mi­na­tion les repro­duc­tions d’un des plus grands tableaux de Cour­bet, l’Ori­gine du Monde. Et où le moindre petit téton, peu importe qu’il se trouve sur la cou­ver­ture d’un livre de chez Média 1000 ou une œuvre d’art reli­gieu­se­ment conser­vée sur les cimaises du Louvre, sus­ci­tait l’ire des cen­seurs. Ce qui bien sou­vent, menait tout droit au ban­nis­se­ment de l’u­ti­li­sa­teur effronté.

Autre­fois affaire d’É­tat et de ses fonc­tion­naires atti­trés, la cen­sure se fait aujourd’­hui plus dis­crète, jus­qu’à prendre des allures démo­cra­tiques, pous­sant la mau­vaise foi jus­qu’à se jus­ti­fier par une volon­té popu­laire expri­mée à tra­vers une des innom­brables pla­te­formes à péti­tions acces­sibles à tout un cha­cun, une volon­té qui sou­vent fait fi de toute rete­nue et s’ex­prime avec une verve de jus­ti­cier qui n’est pas sans rap­pe­ler celle d’un comi­té du Salut public. Ailleurs, elle met des vête­ments bien moins bario­lés que le cos­tume jaco­bin, pro­fi­tant des consi­dé­ra­tions intel­lec­tuelles pour se fau­fi­ler dans les consciences, dis­til­lant la peur de ce qui risque de faire mal, de déran­ger, pour cla­mer tout haut sa volon­té de faire dis­pa­raître, de sup­pri­mer, de relé­guer à l’ombre. Le cas Céline four­nit un bel exemple de cette approche dégui­sée consis­tant à faire appel à nos ins­tincts huma­ni­taires qui nous indiquent que l’ap­pel à la haine, c’est mal ! Ce qui, bien évi­dem­ment, n’est pas faux. Mais pour­quoi réduire le lec­teur au niveau d’un enfant ou d’un débile inca­pable de se faire ses propres idées ? Pour­quoi ne pas expo­ser un Céline dans ce qu’il a de plus noir afin de faire contre­poids au sty­liste de génie ? Ne vaut-il pas mieux mettre en pleine lumière ce qui a le poten­tiel de nous effrayer au lieu de le gar­der à l’a­bri des regards ? Il faut sans aucun doute se mettre d’ac­cord sur la route à suivre, et c’est là que le débat doit avoir lieu, mais sur le fond ?

On aura com­pris que la cen­sure ne me tente pas, et si je ne veux pas exclure cet outil de façon géné­rale, il me semble que son usage doit être tout à fait excep­tion­nel, et que la liber­té de parole doit pri­mer sur la volon­té de la poli­cer – au nom de quel com­bat que ce soit. De belles consi­dé­ra­tions, me direz-vous, mais qui nous laissent sans réponse à pro­pos de l’at­ti­tude à adop­ter en tant qu’au­teur por­no face aux ques­tions socié­tales comme celle de l’é­ga­li­té entre femmes et hommes, celle du consen­te­ment, celle des abus omni­pré­sents, allant jus­qu’aux agres­sions sexuelles et aux viols. Parce qu’il y a, face à ces ques­tions, aus­si le cas de l’au­to-cen­sure, les ciseaux dans la tête qui empêchent les paroles de cou­ler avant même d’a­voir été clai­re­ment for­mu­lées. Et n’est-ce pas là le pire cas, celui qui ferait tarir les sources de toute créativité ?

Le por­no – tiraillé entre fan­tasme et réalité

Je l’ai dit plus haut, le por­no évo­lue entre réa­li­té et fan­tasme, et les limites ne sont pas tou­jours très claires. Si on ajoute à cela le fait que beau­coup de lec­teurs ont ten­dance à confondre un récit fic­tion­nel avec une entrée de jour­nal – sur­tout si le récit est à la pre­mière per­sonne du sin­gu­lier – on ne s’é­tonne plus de se voir trai­té de toutes sortes de noms d’oi­seaux. Ou – plus grave encore dans le cas des nom­breuses autrices – d’être consi­dé­rées comme du gibier à la dis­po­si­tion du pre­mier venu. Est-ce qu’on doit encore s’é­ton­ner de ce que cer­tains trans­posent, avec une faci­li­té décon­cer­tante, les fan­tasmes dans la vie réelle, revê­tant le cos­tume d’un domi­nant à la Grey pour impor­tu­ner – ou mieux : bous­cu­ler ? trous­ser ? – la secré­taire ou la jeune sta­giaire qui a le mal­heur de dépendre d’un patron ou d’un supé­rieur qui ne sait plus faire la dif­fé­rence entre le film qu’il se joue dans sa tête et les rela­tions humaines dans sa boîte ? Et que dire des clips por­no libre­ment dis­po­nibles à tra­vers la toile, une ava­lanche qui, pour cer­tains, fait office d’é­du­ca­tion sexuelle avec toutes les consé­quences qu’on peut ima­gi­ner sur le com­por­te­ment dans les rela­tions – sexuelles et autres. Des inter­ro­ga­tions et des remises en ques­tion, on le constate aisé­ment, ce n’est pas ce qui manque. Mais le point prin­ci­pal reste : que faire en tant qu’au­teur éro­ti­co-por­no­gra­phique ? Faut-il renon­cer à tout ce qui res­semble de près ou de loin aux vio­lences ? Est-ce qu’il faut se bor­ner à n’é­crire plus que du vanille ? Ne mon­trer plus que des pra­tiques safe ? Tour­ner le dos au pas­sion­nel avec son lot d’ir­res­pon­sa­bi­li­tés et d’actes qu’on croyait sans len­de­main ? Renon­cer à illus­trer des fan­tasmes de séduc­tion pous­sée, de prise en main, de l’en­vie trop sou­vent indi­cible de se voir réduit au rôle d’ob­jet sexuel où le désir naît pré­ci­sé­ment de l’im­puis­sance de celle ou de celui qui s’y voit réduit ? Pre­nons un exemple sou­vent cité comme agres­sion sexuelle, les tri­po­tages dans les trans­ports en com­mun. Quelle femme ose­rait avouer qu’elle aime ça, et pour­tant, c’est le point de départ de nom­breux récits et scé­na­rios por­no, et qui­conque vou­drait dres­ser une liste des textes ins­pi­rés par le sujet aurait bien du bou­lot. De Voyage inavouable (June Sum­mer) aux Nuits de vice en che­min de fer (Sam Par­ker) en pas­sant par Le train 8427 en pro­ve­nance de Genève (Jeanne Sia­lel­li), il y en a pour tous les goûts et jus­qu’aux plus dépra­vés. Per­met­tez-moi de citer un extrait de la qua­trième de cou­ver­ture du der­nier titre :

Dans le train qui la ramène chez elle après un séjour chez sa grand-mère à Genève, une jeune fille est contrainte à se livrer à plu­sieurs hommes dans un com­par­ti­ment du train. Mal­gré la peur qui l’é­treint, elle prend plai­sir à cette vio­lence qui se déchaîne sur elle.

Dans ce court roman éro­tique, Jeanne Sia­lel­li aborde sans tabou et avec un grand talent d’é­cri­vain la déli­cate ques­tion du viol et de son fan­tasme chez les femmes. [1]Jeanne Sia­lel­li, Le train 8427 en pro­ve­nance de Genève, Paris, 24/07/2014

Et oui, de tels textes et de tels fan­tasmes ne sont pas la chasse-gar­dée des hommes, loin de là !

Ou voi­ci un autre fan­tasme for­te­ment appré­cié par les scé­na­ristes de por­no  – peu importe que ce soit dans des textes ou des films – à savoir la séduc­tion au bureau, de pré­fé­rence dans le cadre d’un entre­tien d’embauche. Un scé­na­rio qui exploite avec verve l’é­cart de pou­voir entre celui ou celle qui dis­pose d’un bien convoi­té par autrui. Ce sont sou­vent de telles situa­tions qui sont décrites sous l’é­ti­quette #meToo, et quand on en parle dans la vraie vie ou dans les jour­naux, y a‑t-il une autre réac­tion pos­sible que l’in­di­gna­tion ? Et pour­tant, cela n’empêche pas une artiste comme Rebec­ca Hap [2]Rebec­ca Hap, c’est la scé­na­riste et l’au­trice de Des­pe­rate Hou­se­wives, une BD les­bienne parue en France chez Dyna­mite où les pro­ta­go­nistes se font un devoir de céder à toutes les ten­ta­tions et de … Conti­nue rea­ding de par­ta­ger un tweet qui plei­ne­ment exploite, dans une mise au point admi­rable de par sa conci­sion, le bouillon­nant poten­tiel éro­tique de cet entre­tien qui vire au porno :

Job Interview, tweet posté par Cartoon MOMS
« Job Inter­view », tweet pos­té par Car­toon MOMS

(Vas‑y, Kim­ber­ley, fais voir ta bonne petite chatte… C’est ta maî­trise qui t’a valu l’en­tre­tien d’embauche… mais tu dois me prou­ver que tu le veux réel­le­ment, ce bou­lot.)

Que dire alors face à de telles pro­vo­ca­tions ? S’in­di­gner ? Dénon­cer ? Écrire de longs articles à pro­pos des dan­gers de l’a­bus de pou­voir et comme il fau­drait ins­tal­ler des règles et des lois pour pré­ve­nir de tels abus ? C’est ce qui se serait sans aucun doute pro­duit si on avait lu un tel récit dans un jour­nal ou un maga­zine ou encore sur un réseau numé­rique pour­vu de l’é­ti­quette #balan­ce­Ton­Porc. Ou est-ce qu’il ne vaut pas mieux de plu­tôt admi­rer le coup de crayon de l’ar­tiste et se lais­ser enva­hir par le plai­sir trouble qu’on res­sent à se mettre à la place de la vic­time à deux pas de subir les der­niers outrages aux mains de sa domi­na­trice ? On peut certes trou­ver à redire à l’u­sage de telles situa­tions par le por­no, et il se trou­ve­ra sûre­ment quel­qu’un pour pré­tendre que cela inci­te­ra d’autres à ne voir que des proies sexuelles dans celles et ceux jouis­sant de moins de pri­vi­lèges. Mais n’est-ce pas là faire bien peu de confiance à nos capa­ci­tés intellectuelles ?

Il y donc, d’un côté, de réels abus, tan­dis que de l’autre s’ouvre l’u­ni­vers inson­dable des fan­tasmes qui risquent de débor­der dans le réel et d’in­fluen­cer les com­por­te­ments. Com­ment pré­tendre, pris ain­si entre Scyl­la et Cha­rybde, don­ner une réponse valable ? Il est clair que les abus devront être recon­nus et sanc­tion­nés, mais est-ce qu’il faut pour autant ins­tal­ler un régime figé où tout com­por­te­ment serait sou­mis à un canon aus­si exi­geant qu’impitoyable ?

En fin de compte, est-ce qu’on veut prendre le risque de voir un auteur ou une autrice renon­cer à écrire, quitte à se faire publier, sous pré­texte que cer­tains pour­raient perdre leur nord en confon­dant fan­tasme et réa­li­té ? N’est-ce pas ce même reproche qu’on adres­sait déjà à l’au­teur des Souf­frances du jeune Wer­ther, vers la fin du XVIIIe siècle, à savoir que son texte, en don­nant l’exemple, fai­sait mon­ter le nombre de sui­cides ? Quant à moi, conscient des ambi­guï­tés et des dan­gers, je plaide pour la liber­té d’ex­pres­sion, qu’il s’a­gisse de par­ti­ci­per à un débat poli­tique, de publier un auteur contro­ver­sé ou d’i­ma­gi­ner une scène de séduc­tion qui repousse un peu plus encore les limites de la décence.

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Jeanne Sia­lel­li, Le train 8427 en pro­ve­nance de Genève, Paris, 24/07/2014
2 Rebec­ca Hap, c’est la scé­na­riste et l’au­trice de Des­pe­rate Hou­se­wives, une BD les­bienne parue en France chez Dyna­mite où les pro­ta­go­nistes se font un devoir de céder à toutes les ten­ta­tions et de pro­fi­ter de tout ce que le hasard leur met dans la route.
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

Commentaires

Une réponse à “Wein­stein, #meToo, Bal­thus – Le por­no dans la tourmente ?”

  1. Alors tout d’a­bord mer­ci pour votre men­tion, comme on dit dans les quar­tiers « fran­ch’­ment ça fait tar­pin plaisir ! »
    Et oui la cen­sure, et même pire l’au­to-cen­sure à une aus­si longue his­toire que la mora­li­té et l’im­mo­ra­li­té … seraient elles toutes trois de la même famille ?
    Pour ce qui est de la lit­té­ra­ture coquine / ero­tique / por­no­gra­phique (cha­cun clas­se­ra comme il veut et / ou peut) ce qui me frappe c’est la quan­ti­té d’au­trice et de là ou je regarde les auteurs de sexe fémi­nin sont loins très très loin d’être les plus vanille à la fois dans les actes (Stel­la Tana­gra) que dans la trans­gres­sions des codes moraux (le viol d’un prêtre par un per­son­nage d’Oc­ta­vie Del­vaux ou encore le gang-bang ecclé­sias­tique et sau­tillant par Miss Kat)
    Se dra­per der­rière la défense de la fra­gile femme est donc d’une mau­vaise foi abso­lue, ce qui est nor­mal vous me direz vu qu’une par­tie de ces reven­di­ca­tions viennent d’un cou­rant de militant.es fémi­nistes anti liber­taire (en oppo­si­tion au cou­rant liber­taire mar­xiste fémi­niste – cf 1968 his­toire du féminisme)
    L’un prône la fra­gile éva­nes­cence de la fémi­ni­té, l’al­lai­te­ment et la sacra­li­sa­tion du con alors que l’autre , les noires et rouges, plaident pour une éga­li­té de fait entre tous les genres (je sim­pli­fie à outrance)
    Mais nous vivons dans une époque lisse et poli­cé (mili­cé même) devi­nez qui prend la tête de la course ?
    Pour ce qui est de la cen­sure et de que dire que mon­trer le débat et sans fin. Pour nous limi­ter à la sexua­li­té (je ne pré­cise pas ero­tique / pornographique) :
    Un gang­bang c’est mal et avi­lis­sant – ok – censure
    une sodo­mie c’est de la sou­mis­sion – ok – censure
    une fel­la­tion c’est aus­si de la domi­na­tion phal­lique – ok – censure
    A titre per­so je ne suis pas une adepte des gang bang peut être par manque d’ex­pé­rience par contre niveau sodo­mie et fel­la­tion je sais per­ti­nem­ment que JE domine à ce moment là
    Et même pour aller plus loin si on enlève tout ce que la morale réprouve et qu’on se limite à écrire / fil­mer du vanille comme vous dites (c’est d’ailleurs assez nul comme expres­sion vu que la vanille à un gout très puis­sant on aurait du l’ap­pe­ler cour­gette, ou lai­tue si on avait vou­lu don­ner un truc assez fade)
    Donc si on se limite à rela­ter du « vanille » vous aurez tou­jours un con /conne quelque part qui trou­ve­ra ca outra­geant et mili­te­ra un temps néces­saire pour que ça aus­si soit exclus au final autant tout pros­crire on gagne­ra du temps.

    C’est un vieux drame humain que d’être gou­ver­ner par une mino­ri­té ou être influen­cé / orien­té par des mino­ri­tés (que leur doc­trine soient reli­gieuse, sociale, éco­no­mique, scien­ti­fique …) peut être est il temps d’ar­re­ter de leur don­ner autant d’importance.

    Pour ma part j’ai déci­dé de ne plus me sou­cier de ce qui est dit, pen­sé de moi, on m’ap­pré­cie, comme c’est appa­rem­ment votre cas, tant mieux, on ne m’aime pas … je bloque l’au­teur si je peux, je crée une autre chaîne / pro­fil si besoin, mais je conti­nue quoi­qu’il advienne à expri­mer ma pen­sée à tra­vers, comme vous, d’ar­ticle trop long ou clai­re­ment je reven­dique ne pas être fémi­niste mais bien femi­ni­phile et pour ce qui est de mes fan­tasmes ils sont acces­sibles en web­cam et appa­rem­ment sont plu­tôt très appréciés.
    Arrê­tons de prendre nos confrêres humains pour des cons jus­te­ment osons sim­ple­ment être sans rien reven­di­quer juste l’être si nous ne nous effa­çons pas et que nous ne nous « bat­tons » pas contre eux ils fini­ront par trou­ver d’autres com­bats inutiles et stupides