Hen­ri d’Ar­gis, Mons et le « gai savoir »

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Comme je l’a­vais pro­mis hier, je suis par­ti à la recherche de quelque anec­dote, de quelque date, de quelque fait divers, qui puisse me per­mettre de vous concoc­ter un petit article dédié à Mons. Ville qui occupe une place impor­tante dans mon pas­sé per­son­nel et dont j’ai déjà eu l’oc­ca­sion de vous par­ler dans mon article à pro­pos de l’His­toire du Hai­naut.

Qu’est-ce que je dois vous dire… J’ai raté l’an­ni­ver­saire de la bataille de Jemappes (le 6 novembre 1792), et je ne vou­lais quand-même pas vous rabâ­cher le conte­nu de ce qu’on peut trou­ver sur Wiki­pe­dia. Comme je suis  – vous fini­rez bien par le com­prendre – un lit­té­raire (mal­gré mes orien­ta­tions pro­fes­sion­nelles ulté­rieures), je me suis rap­pe­lé le fait qu’un des plus grands noms de la lit­té­ra­ture fran­çaise est lié à celui de Mons. En fait, Paul Ver­laine y fut incar­cé­ré entre le mois d’oc­tobre 1873 et celui de jan­vier 1875 après avoir tiré sur Rimbaud.

J’ai donc pris la déci­sion de faire un tour sur Gal­li­ca (la BNF sur la toile) pour y mener quelques recherches. Et là, sur­prise. Si je n’ai rien pu trou­ver dans les textes de Ver­laine lui-même, j’ai fini par débus­quer un livre, d’un nom­mé Hen­ri d’Ar­gis, où se trouve un bref pas­sage sur Mons. Le roman est dédié à l’au­teur des « Fêtes Galantes » (« Hom­mage de res­pec­tueuse admi­ra­tion ») et celui-ci a consen­ti à rédi­ger la pré­face, en 1888. Le roman rap­pelle, en son titre, une ville biblique, de dou­teuse mémoire, ren­due immor­telle par le sou­ve­nir d’une ven­geance céleste véri­ta­ble­ment infer­nale – Sodome. Titre qui fait immé­dia­te­ment pen­ser à celui qu’a choi­si, quelques années plus tard, un autre auteur, à peu près contem­po­rain, mais infi­ni­ment plus célèbre. Rap­pro­che­ment encore ren­for­cé par la notice qui annonce la sor­tie d’un autre roman, qui s’ap­pel­le­rait – Gomorrhe

Comme je n’a­vais jamais enten­du par­ler d’un tel roman, ma curio­si­té était réveillée, et j’ai vou­lu me ren­sei­gner de plus près à ce sujet. Mais là, autre sur­prise : les pages vir­tuelles, d’ha­bi­tude si élo­quentes, de Wiki­pe­dia, res­tèrent muettes. Autre recherche donc, enta­mée, cette fois-ci, sur Google. Et c’est là que j’ai trou­vé la page que voi­ci, qui nous four­nit  le pré­cieux ren­sei­gne­ment qu’il s’a­git ici du « pre­mier roman homo­sexuel » … Et ben – voi­là ce qu’on risque de trou­ver sur la toile, avec rien que la bonne volon­té d’y ramas­ser matière à vous four­nir un petit article. Soit dit en pas­sant, les infor­ma­tions au sujet d’Hen­ri d’Ar­gis sont extrê­me­ment rares et contra­dic­toires, et celui qui vou­drait se docu­men­ter d’une façon un peu sérieuse devra sans doute aller cher­cher ailleurs que sur le net.

À lire :
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Mais tout cela ne nous inté­resse pas trop, parce que, dès qu’un auteur décide de publier, c’est le texte qui attire notre atten­tion, et qui mène une vie à part, indé­pen­dante de celle de son auteur. Et comme je suis par­ti avec l’in­ten­tion de vous par­ler de Mons, je vais vous don­ner le pas­sage où le pro­ta­go­niste, Soran, à la recherche d’une retraite, approche de la capi­tale hen­nuyère, ce qui four­nit au nar­ra­teur l’oc­ca­sion d’in­sé­rer quelques des­crip­tions. Si, après la lec­ture, l’en­vie vous prend d’é­tu­dier ça de plus près ( et, per­son­nel­le­ment, je trouve ces pas­sages assez bien écrits), sui­vez le lien qui se trouve en fin de page. Et main­te­nant, fon­cez, lisez !


La Retraite

I

A peu de kilo­mètres de Mons, en pas­sant par Cuesmes et Fra­me­ries, après avoir tra­ver­sé des pay­sages déso­lés qui semblent reflé­ter une tris­tesse interne (des mineurs sont là-des­sous, pei­nant) comme une fraîche oasis dans ce morne désert, on gagne un char­mant réduit, plus char­mant de l’a­ri­di­té environnante.

Com­bien, du reste, en arri­vant, le voya­geur ulcé­ré comme Soran est dis­po­sé pour en jouir !

En sor­tant de Mons, des routes moins plates que le pays, pavées d’un pavé bos­sué, atroce, vous secouent affreu­se­ment, cepen­dant que se déroule un pano­ra­ma alar­mant ; des champs de bet­te­raves ou de pommes de terre ; là un arpent de blé ou d’a­voine : toute cette ver­dure est noi­râtre comme nour­rie de char­bon ; tan­tôt, la blonde che­ve­lure cen­drée de l’orge.

En tour­nant la tête, on aper­çoit Mons, la ville Mont, bâtie en gra­dins, et la tour de son châ­teau, sem­blant, avec ses allures byzan­tines, la flèche pleine d’a­na­chro­nismes de l’é­glise voi­sine ; au pied, comme, un peu, dans les envi­rons de Paris, une cam­pagne très soi­gnée, élé­gante, avec une petite rivière.

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Elio di Rupo - l'union par la force de volonté

A l’ho­ri­zon, en conti­nuant, de lourds nuages très noirs déteignent sur des nuées plus pâles : c’est les char­bon­nages avec leurs che­mi­nées cou leur de suie et leurs construc­tions de planches et de briques ; à côté, des col­lines de terre mêlée de char­bon com­plètent cette lugubre toi­lette ; en un plain-chant mor­tuaire, des ulu­le­ments sourdent plain­ti­ve­ment du sol, comme de très loin : c’est la machine qui sans cesse remonte et enterre les ouvriers.

Le vil­lage des mineurs, Fra­me­ries, est pro­pret et un peu sali : on dirait d’un homme très noir qui vou­drait se bien débar­bouiller : des bandes d’en­fants, huit ou dix, deux ou trois, se vautrent dans les ruis­seaux ; blonds pour la plu­part, avec des têtes de ché­ru­bins un peu nègres : beau­coup d’en­fants ; le mineur, c’est son seul plai­sir, est très pro­li­fique : n’est-ce pas aus­si le sort com­mun, qu’il naisse beau­coup de malheureux ?

Tous ces enfants sont très beaux.

Voi­ci venir des mineurs ; ils ont pas­sé dix heures à un demi-kilo­mètre sous terre : les femmes d’a­bord ; leurs che­veux blonds entoures d’un filet qui retient la poudre char­bon­neuse semblent plu­tôt châ­tains ; de fortes mamelles igno­rantes du cor­set fluent un peu sous la blouse et des mol­lets ner­veux d’hommes appa­raissent au bas d’un pan­ta­lon court ; puis des ouvriers aux allures plu­tôt moins robustes ; le dur tra­vail qui déve­loppe les unes étiole les autres.

Les visages qui furent beaux se sont épais­sis d’a­né­mie : et, a leurs yeux brillants dans ce teint sombre et très étonnes de la lumière, on dirait plu­tôt de bêtes rôdant : tous ces gens ne parlent pas, ils n’ont rien à se dire et sont très fatigués.

Presque à chaque mai­son, un esta­mi­net : aus­si­tôt mariées, les femmes ne des­cendent plus à la mine ; elles s’oc­cupent du ménage et des enfants et se leurrent d’un petit béné­fice en débi­tant quelques ton­neaux de mau­vais genièvre ou de pire bière.

Devant les portes, des mineurs se reposent : les uns, assis sur leurs talons, fument leur pipe ; d’autres, plus nom­breux, jouent aux billes ; d’autres, à plat ventre, dorment.

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95