En-tête de la Bauge littéraire

Liège ou l’indépendance ardem­ment défendue

Par­lons de Liège, cette ville revêche, qu’il faut savoir décou­vrir pour l’ai­mer et dont les beau­tés s’ap­pré­cient au bout des efforts.

Notger, premier Prince-Évêque
Not­ger, pre­mier Prince-Évêque

Au voya­geur qui s’ap­proche de Liège, la ville offre de par­tout le même spec­tacle : blot­tie au fond de sa cuve, la masse de ses toits forme une sorte de bouillie d’où s’é­lancent ses nom­breuses églises romanes, telles des récifs poin­tant au milieu des flots. En même temps, ce spec­tacle ne laisse pas sub­sis­ter le moindre doute quant aux ori­gines de la ville : elle s’est construite autour d’un ora­toire, bâti au VIème siècle, en pleine nuit méro­vin­gienne, sur ordre de l’é­vêque de Tongres. Plus tard, ce furent encore et tou­jours des hommes d’é­glise dont le sou­ve­nir et les actions contri­buèrent à son déve­lop­pe­ment rapide, prin­ci­pa­le­ment Saint Lam­bert par son mar­tyre, Saint Hubert par le trans­fert du siège épis­co­pal et Not­ger, pre­mier prince-évêque, par sa sagesse et ses bonnes rela­tions, notam­ment avec l’Im­pé­ra­trice du Saint-Empire, Théophano.

Théophanou, Impératrice du Saint-Empire
Théo­pha­nou, Impé­ra­trice du Saint-Empire

Arrê­tons-nous un peu avant de conti­nuer la route qui nous mène­ra tout droit vers le car­nas­sier bour­gui­gnon. Un homme d’o­ri­gine alle­mande, Not­ger ; une femme d’o­ri­gine grecque, Théo­pha­no (enter­rée à Cologne, d’ailleurs), impé­ra­trice, nièce de l’Em­pe­reur de Byzance ; et une ville qui doit ses ori­gines à l’é­vêque de Tongres – quel bel ensemble pour illus­trer l’u­ni­vers cos­mo­po­lite que fut l’an­cien Empire.

Je disais donc : Bour­gogne. Et effec­ti­ve­ment, l’an­née 1474 fut noire pour Liège, quand, le 3 novembre, les troupes de Charles le Témé­raire incen­dièrent et pillèrent la ville dont il ne sub­sis­ta pra­ti­que­ment plus rien – sauf, évi­dem­ment, ses églises.

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Le sou­ve­nir de la R®enaissance de Liège est lié à un homme dont les ori­gines sont – encore – ger­ma­niques : Érard de La Marck, issu d’une famille illustre qui a don­né des arche­vêques à Cologne, des prince-évêques à Liège et qui a fait construire le châ­teau-fort de Sedan. Tan­dis qu’un de ses ancêtres, Guillaume, le mal-famé « San­glier des Ardennes », pré­fé­rait encore contri­buer aux troubles de la cité en assas­si­nant le prince-évêque, Érard choi­sit de la recons­truire. Notam­ment son palais dont on a même dit qu’il était plus « accom­ply que n’est le Louvre et que ne sont les Tui­le­ries à Paris » (ce fut, bien-sûr, avant l’é­poque du grand Louis).

Le Perron, symbole des libertés civiles
Le Per­ron, sym­bole des liber­tés civiles

Les siècles sui­vants voient la ville et sa prin­ci­pau­té fleu­rir éco­no­mi­que­ment, pro­fi­tant de sa situa­tion pri­vi­lé­gié au car­re­four des routes de France, d’Al­le­magne et de Hollande.

L’His­toire des Princes-évêques se ter­mine avec l’ar­ri­vée des troupes fran­çaises, en 1792 et, après l’in­ter­mède d’une brève res­tau­ra­tion autri­chienne, en 1794. Mais le signe le plus reten­tis­sant du grand chan­ge­ment qui était en train de s’o­pé­rer en cette fin de siècle fut la tenue d’un réfé­ren­dum sur le rat­ta­che­ment à la France, enté­ri­nant la déci­sion de quit­ter le Saint-Empire. Le signal le plus visible, le plus spec­ta­cu­laire et le plus durable fut don­né, à par­tir de la même année,  par la déci­sion de démo­lir la cathé­drale Saint-Lam­bert qui, aux yeux des insur­gés, sym­bo­li­sait la tyran­nie et la féodalité.

Pen­dant des siècles, Liège a défen­du son indé­pen­dance, concé­dée en 980 par l’Em­pe­reur Otton II, au sein de l’Em­pire. Et le prix à payer fut par­fois exor­bi­tant, sur­tout au XVe siècle qui a failli voir la fin de la ville. C’est au sou­ve­nir des évé­ne­ments de ces années sombres que Liège doit son titre de « Cité ardente », la ville qui brûle, même si, aujourd’­hui, celui-ci évoque plu­tôt, pas­sé minier oblige, les hauts four­neaux où ont été for­gées les richesses du XIXe siècle ain­si que les armes des guerres du XXe.

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Le pré­sent s’an­nonce plus pai­sible, mal­gré les conflits entre les groupes lin­guis­tiques qui com­posent la Bel­gique. La voca­tion de Liège est, nous l’a­vons vu, inter­na­tio­nale et uni­ver­selle. Et com­ment s’at­tendre à autre chose de la part d’une ville qui fut fon­dée au car­re­four des civi­li­sa­tions. Que le pays auquel elle appar­tient s’ap­pelle Bel­gique, Wal­lo­nie ou, un beau jour, Europe, cela n’y chan­ge­ra rien. C’est bien dans ce sens-là que l’in­dé­pen­dance n’a jamais été perdue.

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