Ces jours-ci, celui qui parcourt la page d’accueil de la Bauge littéraire peut avoir l’impression de s’être trompé de média et d’avoir atterri dans la rubrique nécrologie d’un magazine culturel. Avec la mort de Jean-François Gayrard et l’anniversaire de celle d’Anne Bert, ça donne effectivement à réfléchir, et avec tout ça, avec l’automne qui fait son entrée fracassante en déclenchant des orages et en couvrant les airs de noir, on comprend qu’on a été propulsé dans une saison propice aux activités de la Grande Faucheuse, et franchement cela n’incite pas à la rigolade… Et puis, avec en plus les bruits qui se répandent depuis quelques jours sur les réseaux à propos de la disparition de Ziggy Kaïros – autrice porno très prisée par votre serviteur – dans un accident de voiture, ça commence à bien faire.
Un petit changement de ton s’impose donc, et comme on est sur un site consacré à l’érotisme dans les arts et la littérature, pourquoi ne pas troquer le lugubre contre le – lubrique ? Jeu de mots facile et même un peu pourri ? Ben, peut-être bien, mais j’ai envie de saluer la vie, et la chair nue et bien huilée est encore un des meilleurs remèdes contre les relents de la tombe et aide à se hisser vers un air plus pur. Voici donc quelques découvertes que je voudrais partager avec vous, mes chères lectrices et mes chers lecteurs, fruits de mes (s)expéditions post-estivales au plus sombre de la toile : à la découverte des bons artistes.
Billfy Devdariani – quand le Caucase rencontre le réalisme américain
Voici donc un morceau de choix d’une plume immensément talentueuse, WASHHHHH, tableau numérique signé Billfy Devdariani, un artiste originaire de Tbilissi, capitale de la Géorgie. Comme c’est déjà à peu près tout ce que je peux vous rapporter à propos de ce magicien de la tablette, je laisse parler les pixels à ma place, tout en vous invitant à faire un tour sur sa page richement garnie sur Artstation.Et voici une petite idée que je vous suggère en passant avant d’aborder le prochain artiste : il y a moyen de vous procurer le tableau en version imprimée, à travers le site DA de Billfy.

Voici un tableau qui m’a convaincu au premier abord, une composition qui me rappelle furieusement les toiles de Edward Hopper, un nom comme un condensé de ce qu’il y a de mieux dans le réalisme d’outre-Atlantique – avec la sobriété assumée de ses décors, l’air silencieusement mélancolique des personnages qui se laissent comme absorber par un intérieur aussi profond qu’indicible, et son petit côté morbide souligné par les couleurs pastel de sa palette. Je vous invite à aller contempler des toiles comme Intérieur estival, exécutée en pleine période européenne, et celles surtout des années vingt, Jeune Fille à la machine à coudre (1921) et Automat de 1927 pour vous rendre compte. [1]Comme le copyright de cet artiste mort en 1967 n’a pas encore expiré en Allemagne, je vous demande le petit effort de cliquer sur les liens fournis afin de voir par vous-même à quel point cette … Continue reading
WASHHHHH, donc, une toile où une femme dans le plus simple appareil est absorbée par une corvée domestique des plus banales, remplir un lave-linge. Remarque : une activité banale sans doute, mais qui explique très bien sa nudité, petit effort « oublié » par tant d’autres artistes qui omettent de chercher le moindre prétexte, comptant sans doute sur la bienveillance et la lubricité des spectateurs pour présenter les charmes de leurs modèles placées dans des scènes où le fait de se trouver privées de vêtements est parfois difficile à justifier. Ce qui m’a surtout frappé dans la toile que je vous propose ici, ce sont les couleurs qui se trouvent propulsées au rang de protagonistes, telle est la force de l’opposition éclatante entre les surfaces polies des appareils électro-ménagers et les tons terreux des murs et des carreaux, d’un côté, et de l’autre la carnation de la femme accroupie dont on admire la douceur satinée de la peau, la mollesse des seins lourds aux pointes tendues, et la chair opulente du ventre – mise en évidence de la fonction animale du corps humain et de l’héritage des origines dans un environnement high-tech et consumériste.
Julia Sinope – une créativité aussi bouillonnante que lubrique

Si l’Art peut être, d’un côté, tout le sérieux au décor sobre à la Hopper que Devdariani a su mettre dans son tableau, la joie et la bonne humeur y ont aussi leur place, le tout parfois garni d’une bonne dose d’insolence à l’égard de ses protagonistes, voire du public. Et voici, précédé d’une si belle mise en bouche, le deuxième artiste que j’aimerais vous présenter aujourd’hui, Julia Sinope. Avant d’aller plus loin, une première remarque s’impose à propos du nom : c’est sur Artstation que je suis tombé sur un premier dessin à l’effet WOW !, et c’est précisément la demoiselle à la joie exubérante qui s’étire le long du paragraphe que vous êtes en train de lire. Comme vous pouvez le constater, l’artiste signe Soeun Chun, même si, un peu partout ailleurs, il ou elle se fait appeler Julia ou encore Juilio Sinope [2]Julia sur Patreon et Juilio sur Amazon, pour ne citer que ces deux exemples., une artiste qui résiderait quelque part au Canada, dans un volcan évidé. Il n’est jamais facile de connaître l’identité des gens, et on peut bien se poser des questions à propos de la signification de tels détails biographiques quand les œuvres parlent pour elles-mêmes avec un si bel élan. Et puis, elle est loin, l’époque du positivisme où certains croyaient dur comme fer pouvoir percer le secret de la création en amassant des faits tirés de la vie des artistes. Quoi qu’il en soit donc de l’identité de Julia / Juilio Sinope – sexe, origines, milieu social, âge et que sais-je encore – j’ai été époustouflé par les dessins et la joie de vivre qui s’en dégage. Une joie de vivre sans arrière-pensées qui s’exprime à travers les situations loufoques où la petite créature que M. ou Mme. Sinope a su créer a le chic de se fourrer, le plus souvent en suivant son penchant très prononcé pour les choses de l’amour ; à moins que ce n’est en se laissant emporter par les torrents de désir que son physique et une naïveté irrésistible déclenchent sans faute à l’instant où n’importe quel regard se pose sur elle.
Julia Sinope est donc – pour rester dans la fiction de ses pseudonymes ! – dessinatrice et scénariste de bandes dessinées dans lesquelles le porno et la joie de vivre font bon ménage. Sa protagoniste, Little Lorna, incarne tout ce qu’on croit pouvoir fantasmer à propos des ados américaines délurées, toujours prêtes à se laisser aborder par n’importe quel mâle assez sûr de lui pour savoir imposer ses désirs – et titiller une libido toujours prête à se réveiller en sursaut. Cette créature – mi-biche, mi-bitch – s’embarque dans les aventures les plus loufoques, et on se demande comment elle fait pour respirer tellement elle est occupée à se faire enfiler et à digérer toute cette sève qu’elle retire avec une facilité déconcertante des queues qui s’offrent à elle comme à la chaîne. À peine sortie de l’adolescence – elle aurait dix-huit ans d’après les interviews précédant certains volumes – son corps ressemble de très près à celui d’une Lolita troublante, et ce n’est pas sans une sourde inquiétude que le lecteur feuillette ces pages, tiraillé entre l’envie exubérante de mettre la main sur ce bout de femme insolent et de plonger dans les profondeurs d’une chatte dont les quantités de mouille font pâlir les eaux du déluge, et la honte d’abuser d’une femme-enfant. Encore heureux que Sinope connaît le dilemme et rappelle aux lecteurs que, en ouvrant les pages virtuelles des aventures de Little Lorna, ils ont pénétré dans le domaine du fictionnel. Et voici que les interviews sus-mentionnées prennent toute leur importance :
Dans un autre volume des aventures de cette ado bien particulière, 50 shades of Little Lorna, on trouve le dialogue suivant entre la protagoniste et le metteur en scène imaginaire :

Le tout est évidemment une parodie de la manie des créateurs d’outre-Atlantique d’installer toute sorte de sauvegardes en assurant le public que tout le monde y est gentil, que les animaux n’y souffrent pas et que les acteurs y sont consentants. Et voici que la protagoniste nous assure qu’elle peut évidemment faire semblant (« pretending »), qu’elle peut tout faire ce qu’on lui demande, et qu’en fin de compte, elle n’est qu’un personnage de – BD. Et bien, voici l’essentiel qu’il faut répondre à chaque fois qu’on essaie de vilipender les auteurs érotiques en leur reprochant d’humilier leurs personnages, de faire subir des traitements avilissants aux femmes et patati et patata. Peu importe ce qu’on leur fasse, ce sont des personnages fictionnels, imaginaires et imaginés. Pas mal quand même pour un bout de femme dont l’autrice elle-même nous avertit qu’elle est non seulement jeune et sexy, mais surtout « bête comme un tas d’aiguilles » [3]Dans la description de It’s tough being Little Lorna disponible dans la boutique Etsy de l’autrice : « She’s young and she’s sexy and she’s as dumb as a stack of needles. ».
– Il y a longtemps qu’on ne t’a pas vue… et tu as toujours l’air d’avoir tout juste dix-huit ans !
– C’est parce que j’ai toujours dix-huit ans !
– C’est précisément ce que j’adore chez les filles des bandes dessinées… Tandis que nous autres vieillissons, elles ont toujours dix-huit ans ! [4]Julia Sinope, 50 shades of Little Lorna, p. 5. Et voici le dialogue dans la langue de Shakespeare – ou plutôt de Miller :– It’s been a long time since we last saw you… and you still don’t look a … Continue reading
Juste quelques petites phrases, mais dites avec toute la désinvolture d’une jeunesse hédoniste et insouciante, des phrases que je recommande aux auteurs érotiques de mes amis qui trouveront assurément l’occasion de les cracher à la gueule de quelque puritain de passage.
Si vous avez donc envie, chers internautes, de suivre cette jolie créature, je vous invite à faire un tour dans la boutique Etsy de l’autrice (la bien nommée « Your dirty little comics shop ») et d’y faire emplette de quelques BD pas tout à fait comme les autres. Parce que, à part la beauté du dessin, ces textes numériques ont une particularité que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. Vous vous souvenez sans doute des folioscopes de votre enfance, ces livrets dont le principe est celui des dessins animés, c’est-à-dire qu’on crée l’illusion du mouvement en continu en faisant se suivre des dessins qui, grâce à la vitesse du défilement des pages, se fondent les uns dans les autres. Ici, c’est un peu le même principe et l’autrice prend la peine d’expliquer comment il faut régler son logiciel afin de profiter de cette petite astuce. Les BD Little Lorna ont d’ailleurs initialement été créées exprès pour les liseuses Kindle et la boutique homonyme où notre beauté insouciante a pu profiter des attentions de la foule jusqu’à ce qu’Amazon ait eu la mauvaise idée de les censurer. [5]Je ne connais pas les détails de cette histoire, mais il semblerait qu’Amazon ait voulu forcer l’autrice à s’auto-censurer, c’est au moins ce qui ressort des échanges dans cette discussion sur … Continue reading
Vous pouvez fréquenter l’artiste sur les réseaux d’usage comme Artstation, DeviantArt ou encore Patreon. Prenez rendez-vous pour vous laisser séduire par la lubricité ingénue d’une créature aussi exquise que Little Lorna ! Et avant de laisser celle-ci vaquer à ses affaires, voici un dernier aperçu pour la route :-)

Un air d’été – Guillem March dessine des nus à la plage
Toujours occupé à dénicher les artistes et les approches originales, c’est sur Twitter que je suis tombé sur les exploits remarquables de Guillem March. Amoureux de Majorque, de ses plages et des princesses qui s’y vautrent sous les rayons d’un soleil généreux, il profite de la légèreté estivale et des mœurs relâchées des estivants en quête d’une dose de liberté pour proposer aux femmes (et parfois aux hommes aussi) de les immortaliser en costume d’Ève – et parfois dans des poses peu décentes, ou encore occupées à des explorations intimes. Laissons la parole à l’artiste pour expliquer sa démarche :

Et voici la transcription pour une meilleure lisibilité :
I make #LIFE #DRAWINGS (I don’t copy pictures) of #PEOPLE (mostly women, some guy) posing specially for me in an open setting, specially on the #COAST or at a #BEACH. #Models decide how much naked to pose. Be aware that top.less is common in #Spanish beaches. I make several drawings and I write some #balloons, so somehow there’s a story to read. Models become #characters and even writers. I take a #picture as a proof that it was made on site. Models keep a drawing for themselves as an appreciation gift. I plan to release another #book : #SummerMuse vol 2. I don’t know if something like this has been made before, if yes I don’t keep track of it. I’m doing like one session per week. 95% of my time I’m just drawing regular comics in my studio ! That’s it ! [6]Guillem March sur Instagram
Guillem est avant tout impliqué dans la réalisation de bandes dessinées avec des dizaines de publications à son actif. Si une très grande partie de celles-ci est consacrée à l’univers de Batman et de Catwoman, il est aussi dessinateur et parfois même scénariste pour des publications plus originales telles que Jours gris, thriller psychologique qui tire la tension de ses plongées dans les bas-fonds de l’esprit de plus en plus égaré de son protagoniste, et surtout la mini-série tissée autour du personnage de Monika, BD érotique dont le sujet n’est pas sans rappeler L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam et dont on a pu dire qu’il y réalise « avec une efficacité déconcertante des pin-up à la sensualité givrée » [7]S. Salin sur bdgest.com.

Son côté le plus attirant, pour votre serviteur toutefois, est pourtant celui de l’artiste hantant le littoral de son île natale pour y débusquer les beautés estivales. Qu’il arrive à ancrer dans cet entre-deux qui me fait tant rêver, sur cette bande sablée ou rocheuse où la terre côtoie l’océan, point de rencontre et d’envols imprégné de nostalgie d’une liberté éphémère des corps et des esprits.
Guillem a publié un premier Artbook Summer Muse en 2017, et il compte en publier un deuxième cette année-ci qui contiendra quelques-uns des dessins exécutés cet été. Vous en trouverez de très bels aperçus en suivant le compte de l’artiste sur un des réseaux comme sur Instagram ou sur Twitter ou encore sur son Blog.

Références
↑1 | Comme le copyright de cet artiste mort en 1967 n’a pas encore expiré en Allemagne, je vous demande le petit effort de cliquer sur les liens fournis afin de voir par vous-même à quel point cette ressemblance est frappante et riche de sous-entendus. |
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↑2 | Julia sur Patreon et Juilio sur Amazon, pour ne citer que ces deux exemples. |
↑3 | Dans la description de It’s tough being Little Lorna disponible dans la boutique Etsy de l’autrice : « She’s young and she’s sexy and she’s as dumb as a stack of needles. » |
↑4 | Julia Sinope, 50 shades of Little Lorna, p. 5. Et voici le dialogue dans la langue de Shakespeare – ou plutôt de Miller : – It’s been a long time since we last saw you… and you still don’t look a day over eighteen ! – That’s because I’m still eighteen ! – That’s what I love about these comic book girls… We get older, they stay the same age ! |
↑5 | Je ne connais pas les détails de cette histoire, mais il semblerait qu’Amazon ait voulu forcer l’autrice à s’auto-censurer, c’est au moins ce qui ressort des échanges dans cette discussion sur Hentai Foundry où le passage de chez Lulu.com est évoqué. |
↑6 | Guillem March sur Instagram |
↑7 | S. Salin sur bdgest.com |