Que personne ne prenne ombrage ! Quand je parle de la boue flamande, ce n’est pas pour dénigrer qui que ce soit, mais bien pour revenir aux origines de cette désignation qui, paraît-il, renvoie aux inondations qu’a connues la côte de la mer du Nord au cours de l’Antiquité tardive. La Flandre, ce serait donc, à l’origine, la terre submersible ou submergée.
Les Flandres – terre de guerres …
Ce même nom nous ramène donc aux temps où naissait l’Europe moderne sur les cendres de l’Empire. Julien, neveu de Constantin le Grand, permit, en 358, aux Francs d’occuper la Toxandrie, territoire qui allait se transformer en Pagus Flandrensis, noyau du Comté de Flandre qui naquit au IXe siècle sous la domination de Baudouin Bras de Fer, chargé par son oncle, Charles le Chauve, de défendre son royaume, issu du dépeçage de l’Empire de Charlemagne en 843, contre les Normands.

Plus tard, pendant pratiquement tout le Moyen Âge, les Flandres ont connu une histoire agitée, subissant les convoitises des voisins, notamment français, qui n’eurent pas de cesse d’essayer d’incorporer des parties de cette terre fertile à leur royaume. Convoitise justifiée par les débuts du comté, qui, comme on l’a vu, appartenait à la partie occidentale de l’ancien Empire carolingien.
Le Moyen Âge, jalonné par des guerres incessantes, à peine entré à son tour dans l’Histoire, les suites de l’épisode bourguignon de Charles Le Téméraire instaurèrent un nouveau front entre le Royaume de France, d’un côté, et le Saint-Empire sous la domination de la Maison d’Autriche, de l’autre. Une autre série de guerres, d’avancées et de reculs, de pertes et de gains de territoires, résulta de cette entrée en scène de nouveaux acteurs, bien décidés à défendre leurs intérêts et les ressources que les riches villes de Flandre mettaient à leur disposition.
Cette situation-là a duré jusqu’aux changements majeurs qu’a subis l’Europe entière à la suite de la Révolution Française, changements évidemment accompagnés, encore une fois, par une suite de guerres. Point culminant : Dans l’Empire du grand Napoléon (1er du nom), tous les territoires qui prétendaient, de près ou de loin, à la dénomination flamande, furent réunis, pour la première et unique fois, dans un seul État – qui allait pourtant se révéler éphémère.
Terre de beauté(s)


Une toute petite remarque avant de me lancer dans cette deuxième partie de mon tour de force à travers les idées qu’évoquent le doux nom de « Flandre ». Celui qui connaît mes articles sait que je suis amateur d’Histoire, de peinture, et surtout de beauté féminine. Je demande donc pardon au lecteur indulgent de ne présenter ici que des détails des tableaux pour illustrer les paragraphes qui suivent. Il y a peu d’époques qui ont su donner un tel charme à la chair et à ses attraits, la chair étalée, la chair qui séduit, la chair éphémère. Qu’elle puisse donc s’étaler ici, rayonner de son coloris de lait, attirer des yeux curieux et scrutateur avant de disparaître à tout jamais dans les ténèbres.

Hantées par la guerre, trempées de sang, les terres flamandes se sont néanmoins révélées fertiles, et des artistes qu’il faut compter parmi les peintres les plus importants d’Europe ont vu le jour dans ses villes et villages. Les noms qu’on peut citer donnent le vertige à tout amateur d’Art, et des villes telles que Gand, Anvers ou Bruxelles sont toujours des étapes obligés sur le parcours de la peinture. Jan van Eyck, Jacob Jordaens, Peter Paul Rubens, Antoine van Dyck – rien que ces quatre noms donnent une idée de ce que les Flandres ont pu apporter à la civilisation européenne, même si leur éclat ne saurait cacher le fait que d’autres compatriotes, de moindre renommée, ont fait rayonner ce foyer dans l’Europe entière.
La Flandre, vouée très tôt au commerce, étroitement liée, malgré tout, à ses voisins français et habsbourgeois, occupe une place centrale en Europe, à cheval sur les civilisations romane et germanique dont la confrontation et la fusion ont donné naissance à l’Europe moderne. Toutes les influences y ont été sensibles, et ce n’est pas pour rien qu’on trouve les protagonistes de sa peinture un peu partout dans le monde. Van Eyck au Portugal, van Dyck en Angleterre, Rubens en Italie et en Espagne. La Flandre s’est ouverte au monde, et le monde s’est ouvert aux Flamands, tous les deux s’enrichissant à ces échanges mutuels.

Aujourd’hui, le nom de Flandre évoque des idées d’un tout autre genre. Devenue, après l’épisode néerlandais, en 1830, partie du nouveau Royaume de Belgique, elle restait, dans un premier temps, très tournée vers la civilisation française qui, de toute façon, continuait à dominer le XIXe siècle, malgré les multiples revers politiques. Témoins, des auteurs francophones comme Maeterlinck, né à Gand, l’ancienne capitale, mais s’exprimant dans la langue de Voltaire. Depuis, et surtout à partir de la Grande Guerre, le vent a changé, et le mouvement dominant de la Flandre moderne est nationaliste et séparatiste. Les élections de 2010 ont consacré le parti qui s’est mis à la tête de ces courants première force politique du pays. La Flandre (prise ici dans le sens large du terme, désignant la partie néerlandophone de la Belgique), est occupée à contenir l’usage du Français, et à ériger un Mur linguistique autour de Bruxelles. Mais, une Flandre coupée de ses racines, rejetée sur sa seule réalité géographique – même élargie – et linguistique, serait-ce encore la Flandre ? Une idée qui, évaluée à l’horizon d’une Histoire plus que millénaire, apparaît comme ridicule. Ce qui n’empêche pas les partisans d’un tel retranchement de devenir de plus en plus nombreux. Ce qui peut, évidemment, donner froid dans le dos …