Ce matin, j’ai été foudroyé. Par un poème. Par quelques mots savamment orchestrés, des phrases arrangées avec une attention superbe et un incomparable sens de l’effet. Je venais de découvrir, en suivant un lien posté sur Twitter, Hera Lindsay Bird, poétesse néo-zélandaise dont le nom est à lui seul la révélation d’un univers poétique.
Hera écrit donc des poèmes, et son premier recueil a été publié, le 14 juillet 2016, par l’éditeur néo-zélandais Victoria University Press. Je ne sais pas encore s’il y aura une version numérique, mais je l’espère sincèrement vu les frais générés par l’envoi d’un colis depuis l’autre face de la planète (littéralement, hein ?!) …
Keats est mort …
Auparavant, Hera Lindsay Bird (j’adore écrire ce nom) a publié ses textes un peu partout sur la Toile, et c’est sur un de ces sites que j’ai découvert un poème au titre foudroyant, un titre qui renvoie face à face des opposés flagrants, des opposés qui pourtant adorent s’acoquiner dans le vieux ballet charnel signé Éros et Thanatos. Sauf que la formule trouvée par Hera est tellement plus originale, tellement plus belle, que notre habituel renvoi au monde mythologique enfoui sous des poussières deux fois millénaire :
Keats is Dead so Fuck me From Behind
(Keats est mort baise-moi donc par-derrière)
Initialement attiré par la crudité du titre – on n’est pas Sanglier pour rien – ce poème eut vite fait de m’engloutir, de me catapulter dans un monde illuminé par des « rayons de soleil sur une colonne renversée », envoûté par une mélodie, un susurrement digne des Hollow men du grand, du presque unique, T.S. Eliot. Je sais, c’est un grand mot que je viens de lâcher comme un pet à la face des précieux, mais je soutiens que cette jeune femme s’est d’emblée hissée à un rang qui lui mériterait une place dans les manuels, dût-elle se taire pour toujours après la publication de son premier recueil.
un rang qui mériterait à @HeraLindsayBird une place dans les manuels, dût-elle se taire pour toujours
S’il y a donc, dans ce poème, une certaine sonorité qui n’est pas sans rappeler celle des Hommes creux – les voix desséchées qui murmurent dans le vide, le vent qui passe dans les herbes et qui emporte en chantant les voix distantes et solennelles – c’est plus encore l’hermétisme poussé de ces vers qui fait de Hera Lindsay Bird, qu’elle le veuille ou non, l’arrière-petite-fille légitime de l’auteur du Waste Land. Comme lui, elle attire les curieux dans un terrain insondable où ils perdent pied et s’enfoncent, les interrogations noyées pour toujours. Et c’est dans l’au-delà des allusions que le lecteur trouvera le bonheur du voyageur, celui du plaisir des découvertes, des expéditions que rien n’arrête, jusqu’au fond des brouillards et des rayons de soleil. Là-bas où ils pourront respirer les cendres des poètes brûlés et creuser des doigts le terrain des repos ultimes.
Le poème en question a été initialement publié le 11 juillet 2016 sur le site The Spinoff. Cette publication fait sans aucun doute partie d’une campagne savamment orchestrée par la maison d’édition, préparant le terrain afin de mieux accueillir la publication. On y trouve aussi, dans cette campagne, une interview publiée le 12 juillet, l’occasion de trouver des pistes pour mieux explorer l’univers de Hera Lindsay Bird, malgré un certain bavardage de la part de l’intervieweur parfois difficile à supporter.
Le silence de l’éditeur
J’aurais aimé vous proposer ici une version traduite du poème, accompagnée de l’original, pour permettre aux lecteurs ayant au moins des notions de la langue de Shakespeare de se faire une idée à propos du génie de Hera qui s’apprécie tellement mieux dans sa langue d’origine. Ce qui, sans doute, vaut mieux encore pour la poésie – condensé linguistique – que pour tous les autres genres. Malheureusement, je n’ai plus de réponse à mes mails à l’éditeur néo-zélandais depuis quelques semaines. La seule à ce jour, restée unique, m’indique, de la part de la responsable, qu’il ne faut pas reproduire le texte sans autorisation préalable de la part de l’éditeur, ce qui est, pour moi, une évidence. J’ai demandé cette autorisation pour Keats est mort, baise-moi donc par derrière, ce à quoi personne n’a plus répondu. Je ne désespère pas encore de finalement l’obtenir, cette autorisation, mais comme je ne voulais plus attendre avant de faire découvrir à mes fidèles lecteurs cette autrice tout à fait remarquable, j’ai décidé de supprimer la traduction, quitte à la publier plus tard, et de vous proposer, à sa place, le lien vers le site qui a initialement révélé au public ce texte bouleversant. Bonne lecture : Keats is Dead so Fuck me From Behind
Mise à jour
This is so great ! À partir du 30 novembre 2017 il y aura des versions poche et Kindle du recueil, disponible en Europe à travers, par exemple, Amazon. Enfin ! Régalez-vous !
Hera Lindsay Bird
Hera Lindsay Bird
Penguin
ISBN : 978–0141987408