Il y a un an, le Wallraf (le musée des beaux-arts de la ville de Cologne) a reçu un très beau cadeau, à l’occasion de son 150ème anniversaire : Le collectionneur Berlinois Christoph Müller a augmenté la collection du département des Arts graphiques d’un nombre considérable en lui offrant quelques deux cents gravures, parmi lesquelles quelques-unes exécutées par les plus célèbres artistes néerlandais des XVIe et XVIIe siècles, et notamment par Hendrick Goltzius, le « Protée de l’Art », comme l’appelaient respectueusement ses contemporains, faisant allusion à la multiplicité des styles qu’il savait imiter. Un an plus tard, le musée en profite pour monter, à partir de ce fonds richissime, une petite exposition qui excelle par la qualité des oeuvres exhibées et qui illustre les efforts constants du directeur, Andreas Blühm, de rendre à ses bijoux trop discrets l’honneur au moins provisoire des cimaises : « Les artistes de la ligne. Hendrik Goltzius et l’Art graphique aux alentours de 1600 ».
Aujourd’hui, et surtout dans un pays où même les villes de moindre importance ne sont pas dépourvues d’institutions culturelles, les visiteurs ont acquis la fâcheuse habitude de se laisser éblouir par les couleurs des toiles, dont une illumination de plus en plus raffinée essaie de tirer les meilleurs effets. Et on ne saurait même pas le reprocher aux directeurs, conservateurs et autres professionnels de l’Art : Depuis les orgies en couleur d’Eugène Delacroix, depuis l”« invention » du plein-air, depuis la percée du style impressionniste avec sa peinture lumineuse surtout, c’est la couleur qui domine en reine. Gâtés par de tels spectacles, certains, sinon tout le monde, passent à côté d’autres trésors plus discrets. Et encore faut il avoir l’occasion de pouvoir passer à côté de ces enfants mal-aimés du grand public, parce que, la plupart du temps, ils sont gardés (on pourrait tout aussi bien dire : enfouis) au fond des cabinets, à l’abri de la lumière qui, il faut l’avouer, aurait vite fait de les détruire.
Depuis un certain temps on assiste pourtant à une revalorisation de l’Art graphique et du dessin qui a pour effet d’ouvrir, de plus en plus souvent, les portes des cabinets et de proposer leurs trésors cachés au grand public, dans l’espoir secret peut-être de voir s’élargir le cercle des happy few qui, jusque-là, ont su profiter en parfaits gentlemen des charmes de l’Art et du savoir-faire des Maîtres de la Ligne. On ne saurait donc trop louer l’effort de l’équipe de Cologne qui permet au visiteur de se promener dans un monde qui tranche sur nos habitudes visuelles et qui, en même temps, renvoie aux sources de la peinture : l’imitation de la vie.
L’exposition est composée de plusieurs parties thématiques, comme « La Mythologie », « Copié d’après la vie », « Illustrations bibliques ». En même temps, elle ne manque pas d’illustrer un problème finalement pas si moderne que ça : le copier-coller et la réutilisation des oeuvres d’autrui. Les gravures, on le sait, ont été largement utilisées pour vulgariser la connaissance des oeuvres d’Art : On copiait en les dessinant des peintures, des statues, ou encore des vestiges antiques, et ces dessins servaient ensuite de calques aux graveurs qui transportaient les lignes du papier bien trop périssable dans la dureté pérenne du cuivre. Ensuite, on pouvait en tirer un très grand nombre de planches pour satisfaire à une demande qui venait des quatre coins du vieux continent, affamée d’innovation dans ces temps du savoir renaissant. Il est vrai que l’originalité ou encore le droit d’auteur étaient des concepts inconnus pendant la quasi-totalité de l’Histoire de l’Art, et on a beau scruter, on ne trouvera nulle part de petit « c » entouré de son cercle.
L’exposition a donc, comme il se doit, son petit côté didactique, mais son plus grand mérite est de confronter le visiteur à la beauté d’une forme d’Art dont on a pratiquement désappris la contemplation, mais qui dévoile pourtant bien des surprises à celui qui, les yeux rivés sur les fines lignes, sait plonger au fond des merveilles que nous ont léguées les artisans artistes des Pays-Bas entre Renaissance et Baroque. Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la découverte, mais je ne peux pas m’empêcher, non plus, de vous donner un petit indice : Regardez bien les ventres des femmes ! La main experte de Goltzius a fait des merveilles en traçant les lignes de ces formes opulentes, offertes aux yeux d’une postérité certes bien négligente, mais néanmoins toujours aussi avide de beauté que leurs prédécesseurs.
Commentaires
Une réponse à “Hendrick Goltzius et les maîtres de la ligne”