Le titre qui nous occupe aujourd’hui, sixième dans la série des Lectures estivales 2016 du Sanglier littéraire, a été édité par une maison portant un nom aux connotations des plus juteuses, Le Divin Abricot. Cette maison ne donne pourtant pas l’impression de briller par ses activités, la partie la plus importante de son fond littéraire étant constitué d’un grand nombre de classiques de l’érotisme littéraire, tous publiés (sur la foi du catalogue de 7switch) entre les mois de juillet et d’octobre 2012 (y figurent, entre autres : Pierre Louÿs, le Marquis de Sade, Mirabeau ainsi que, évidemment, les 11.000 verges et Gamiani). Une collection qui ne se recommande donc pas précisément par son originalité. Est-ce pour cela que l’éditeur a décidé d’y ajouter quelques titres plus modernes, depuis 2013, dont celui que votre serviteur a retenu pour l’édition 2016 des Lectures estivales, Juste le temps de trois épisodes, une nouvelle signée Fotsix (titre qui, soi dit en passant, ne figure pas dans le catalogue) ? Je ne peux que spéculer sur les raisons qui ont amené l’éditeur à faire entrer dans sa maison un texte qui, à première vue, s’y présente plutôt comme un intrus, mais cela n’empêche bien entendu pas votre serviteur de saluer une initiative qui lui a fait découvrir une belle petite nouvelle consacrée à une initiation pas précisément comme les autres. Et comme cela se passe en été et que le charme des vacances a ce pouvoir de créer des bulles hors du temps et hors du quotidien, je peux déjà vous révéler, avant même d’entrer en matière, que cette vingtaine de pages m’a apporté un très grand plaisir.
Des éditeurs imbriqués
Le texte, qui raconte un épisode du réveil sexuel de deux adolescents, est donc signé Fotsix, un nom qui, au moment de la découverte du texte sur 7switch, ne me disait absolument rien. Dans un cas pareil, on lance un moteur de recherche, et celui-ci affiche aussitôt un certain Christophe Fotsix, auteur de romans étiquetés « érotique gay » (Perdu dans le Pacifique et D’une vie à une autre), parus aux Éditions Textes Gais – boîte bien nommée, si jamais il en fut une, et au catalogue bien fourni avec 300 titres listés chez le libraire numérique 7switch. Je ne saurais dire avec certitude s’il s’agit, dans les deux cas, du même auteur, mais il y a un indice qui, outre le patronyme, permet de conclure à l’identité de l’auteur de Perdu dans le Pacifique avec celui de Juste le temps de trois épisodes : la présence, à la fin des textes, de l’adresse des éditeurs respectifs et d’une adresse mail : editionstg@gmail.com. Je me suis bien demandé, après l’avoir débusquée dans le texte du Divin Abricot, à quoi cela pouvait bien rimer, mais la présence de cette même adresse dans un titre de chez Textes Gais rend les choses bien plus claires, et on devine aisément la signification des lettres t et g dans l’adresse mail.
Autre piste dans cette histoire d’éditeurs imbriqués, la présence, dans l’adresse web, d’un seul et même nom de domaine : culturecommune.com. qui dispose de plusieurs sous-domaines pour diriger les internautes vers des contenus différents : lda.culturecommune.com dans le cas du Divin Abricot, et tg.culturecommune.com dans celui des Textes Gais. Et celui qui dirige son navigateur vers le site culturecommune.com, sans préfixe, se voit débarquer sur le site des Éditions Culture commune, maison supplémentaire disposant d’un choix de textes beaucoup plus traditionnel avec, ici aussi, une très grande présence d’auteurs classiques (la dernière « nouveauté » semble dater de – 2014). Une recherche un peu poussée révèle d’ailleurs assez rapidement que les noms de domaine ledivinabricot.com et textesgais.com existent aussi, tous les deux dirigeants les internautes vers les sous-domaines respectifs, tous les deux enregistrés par Tête de Gondole, société appartenant à la même personne. Tout ça n’a rien de bien spécial, mais j’aime parfois sacrifier à ma propre curiosité et à la manie de comprendre un peu mieux le fonctionnement des choses.
L’homme au foyer des regards
Bon, après ce prologue quelque peu méta-littéraire pour préparer le terrain, le temps est sans doute venu d’aborder le texte retenu pour les Lectures Estivales, Juste le temps de trois épisodes. Il s’agit du récit d’une initiation, d’un réveil sexuel, huis clos entre deux adolescents, Charlotte et Lucas, qui s’enferment, le temps du visionnage de trois épisodes d’un de leurs feuilletons préférés, Teen Wolf, dans le grenier de la maison des parents de Charlotte, à l’abri des regards curieux. Sauf celui du lecteur, évidemment !
Le récit raconte l’initiation d’un jeune homme très inexpérimenté dans les choses du sexe, pris en charge par la belle Charlotte qui semble, quant à elle, manier à la perfection les leviers de la séduction. Il est plutôt insolite, dans ce genre de récits – ceux au moins qui sont destinés à un public hétérosexuel -, de voir le mâle confiné au rôle passif, une partie plutôt réservée à la jeune fille qui subit le procédé, quitte à s’épanouir ensuite sous les assauts de son partenaire. Est-ce qu’il faut attribuer ce renversement des rôles au fait que M. Fotsix (si identité il y a) semble mieux à l’aise avec des histoires de couples homosexuels où l’initiation d’un novice au sexe au masculin joue souvent un rôle très important (remarque en passant : l’initiation est aussi au centre des deux textes de cet auteur parus aux Éditions Textes Gais) ?
Quoi qu’il en soit, on constate très vite que c’est le garçon qui se retrouve dans le rôle passif, procédé peu habituel pour un récit initiatique, à moins, évidemment, de miser sur le bon vieux scénario de la cougar qui se charge de l’éducation sexuelle d’un jeune homme. Ici, pourtant, c’est Charlotte, ado à peine plus expérimentée que Lucas, qui propose le rendez-vous, c’est elle qui oblige le garçon à s’installer entre ses jambes, c’est elle encore qui se met à explorer le corps de son partenaire, assimilé, lui à un prisonnier :
Lucas était perdu dans un océan de plaisir, il se sentait comme réduit à cette extrémité palpitante, prisonnier de cette bouche vorace qui faisait monter en lui un feu d’artifice de frissons.
Charlotte est aux commandes, et elle ne se prive pas du spectacle du jeune éphèbe qu’elle expose, « immobilisé » à ses regrads lubriques, dans le but de pleinement en profiter – par tous les sens :
Les yeux brillants, elle détailla le corps exposé à son regard. Le torse brillant d’un léger voile de transpiration, les tétons curieusement érigés, le ventre creusé par la position qui faisait également saillir les côtes et dressé au-dessus des abdominaux tendus, la verge qui avait repris toute sa vigueur… Le spectacle du membre dressé au-dessus de la toison pubienne qui le mettait en valeur par un contraste marqué fit revenir la boule chaude au creux de son ventre.
Parfois, la jeune fille prend même le rôle de la présence inquiétante, discernable seulement par le changement de perspective, réminescence de films d’horreur, prédateur dont la victime sent le passage ou le souffle dans le dos :
La respiration lente qu’il sentait contre son dos, le souffle léger qui faisait imperceptiblement bouger les cheveux près de son oreille le remplissait d’un plaisir inconnu…
Dans ce texte, c’est donc le mâle qui se trouve placé au centre de toutes les attentions et de tous les regards, son sexe, sa semence, son plaisir, et la découverte – l’appropriation – de son corps se fait de façon méticuleuse, le souci du détail étant présent à pratiquement chaque page de la nouvelle :
Une étroite ligne de fins poils bruns marquait le ventre creux, juste sous le nombril, qu’elle n’avait pas remarquée quand ils s’étaient baignés. Elle se demanda s’il se rasait le pubis, comme elle avait vu sur les sites gays où s’exposaient les garçons nus. Elle espéra que non.
L’importance du rôle de Charlotte, la partie active de l’initiation, a par contre un effet quelque peu inverse sur sa présence dans le texte. Si l’auteur se plaît bien évidemment à laisser le narrateur assumer la perspective de Charlotte, afin de laisser le lecteur se glisser dans sa tête pour assister, à travers ses yeux à elle, au spectacle du corps de Lucas soumis aux manipulations de Charlotte, le côté féminin s’en trouve presque effacé.
Des exigences qui évoluent
On peut effectivement être amené à croire que l’auteur de ce texte (à moins d’être une femme) a plutôt l’habitude des textes homoérotiques. Et finalement, pourquoi pas ? Le regard d’un homme dirigé sur un autre homme en train de subir les assauts de sa / son partenaire, la description, par un homme, des réactions du corps masculin, le fait de placer celui-ci dans le foyer de tous les regards – dirigés et emportés par celui du narrateur – est-ce que ce ne seraient pas là les ingrédients d’une belle formule pour mieux attirer – et exciter – la partie féminine du lectorat ? D’un lectorat dont on sait depuis un certain temps qu’il est en train de se féminiser [1]Un sujet qui a suscité de nombreuses interventions dont je ne vous citerai que deux, parues à 20 ans d’intervalle : « Pourquoi les FEMMES lisent plus que les hommes », article de L’Express paru en … Continue reading. Phénomène qui expliquerait peut-être aussi l’essor actuel des textes érotiques consacrés à du M / M (formule qui, dans le jargon des éditeurs et des auteurs, désigne une histoire érotique qui se passe entre hommes), de textes écrits par des femmes [2]Voici venu le moment de vous inviter à découvrir l’univers de ma consœur Valéry K. Baran, autrice tenue en grande estime par votre serviteur et qui s’est fait une spécialité du M/M. et qui ne s’adressent précisément pas (au moins pas uniquement) à un lectorat masculin, une prise en compte – finalement – des exigences des femmes, grandes lectrices de moins en moins réticentes à avouer leurs penchants inavouables, des femmes qui, de plus en plus souvent et avec une évidence qui n’a plus besoin de se justifier, s’assument en tant que consommatrices de textes de cul (ceux-ci parfois déguisés en romance érotique, feuille de vigne pour les plus réticentes), ce qui amène, de toute évidence, à une mise en relief du corps masculin en tant qu’objet du désir [3]Cf. entre autres, les réflexions de Mathilde de Chalonge à propos de l’effet 50 shades of Grey, « La littérature érotique après Fifty Shades of Grey ». Et le texte en question, marqué par une certaine fascination phallique, abonde de paragraphes entiers consacrés rien qu’au sexe du jeune homme. Un auteur qui a l’habitude de décrire le corps masculin soumis à tous les assauts, de lui porter un regard fasciné, animé du désir de le posséder, voire amoureux, ne serait-il pas bien placé pour réveiller – et nourrir – le désir – féminin aussi bien que masculin ?
Juste le temps de trois épisodes, c’est un beau texte qui tient ses promesses estivales, une lecture bien adaptée à ce moment de détente, au loisir baigné de soleil et nourri par le spectacle de la chair qui s’expose, un doux farniente propice à la naissance et à l’éclosion du désir. Et on sort de cette lecture avec un sentiment de légèreté et de bien-être qui fait pardonner à l’auteur le fait d’avoir créé des personnages qui se révèlent, finalement, un peu trop experts ès pratiques sexuelles pour être conformes à leur statut d’adolescents qui viennent tout juste de s’embarquer dans l’aventure sexuelle.
Fotsix
Juste le temps de trois épisodes…
Le Divin Abricot
ISBN : 9791029401466

Références
↑1 | Un sujet qui a suscité de nombreuses interventions dont je ne vous citerai que deux, parues à 20 ans d’intervalle : « Pourquoi les FEMMES lisent plus que les hommes », article de L’Express paru en 1995, et « Décryptage : pourquoi les femmes lisent plus que les hommes ? » article publié en avril 2016 sur le site Fémina |
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↑2 | Voici venu le moment de vous inviter à découvrir l’univers de ma consœur Valéry K. Baran, autrice tenue en grande estime par votre serviteur et qui s’est fait une spécialité du M/M. |
↑3 | Cf. entre autres, les réflexions de Mathilde de Chalonge à propos de l’effet 50 shades of Grey, « La littérature érotique après Fifty Shades of Grey » |