C’est l’été. On est le 21 juin et la nuit la plus courte est déjà derrière nous. Désormais, les jours seront plus courts, de façon insensible d’abord, avant de bousculer dans l’abîme ténébreux de l’automne et de l’hiver. Mais avant cela, il y aura les journées ensoleillées et les nuits chaudes d’un été qui s’annonce, envers et contre tout, chaleureux.
J’aurais pu choisir de commencer par un bémol, en évoquant le fait qu’il n’y aura pas, cette année-ci non plus, un de ces recueils estivaux dont la Musardine a le secret et qui savent décliner les charmes de la saison sur les notes personnelles d’une vingtaine d’autrices et d’auteurs qui se sont proposé de nous séduire, de nous faire oublier, le temps de quelques petites heures de lecture consacrées au dépaysement littéraire, les soucis du quotidien, à nous autres qui sommes obligés de gagner nos vies loin de la plage et du bruissement des vagues.

Mais bon, pourquoi se mettre au noir si l’été commence de façon si brillante, avec un soleil annoncé à longueur de journée et des températures qui frôleront les 30° C ? Au lieu de tirer la gueule, j’ai donc commencé la journée sur Google afin de me chercher des nourritures aussi estivales que sensuelles, et l’effort n’a pas été en vain. Et, comble du bonheur, je suis tombé sur une nouvelle écrite suite à l’appel à texte de la Musardine pour leur recueil Sea, Sex and Sun, celui-là même auquel j’ai participé moi aussi avec une nouvelle où figurait la petite Chloé qui allait par la suite prendre une telle importance dans la vie littéraire du Sanglier[1]Vous ne le savez pas encore, mais la nouvelle, qui n’a pas non plus été retenue pour le recueil, a fourni le point de départ d’un roman qui raconte les perversions et les initiations multiples … Continue reading. Comme la mienne, celle d’Emmanuelle Hourmat n’a pas été retenue pour le recueil. Heureusement, Emmanuelle, convaincue de la qualité de son texte, l’a jugé digne de poursuivre son parcours et l’a publié sur son site personnel où je l’ai découvert pas plus tard que ce matin. Et pour résumer mes impressions avant même d’en parler dans le détail : Quelle façon superbe de commencer l’été que cette nouvelle ! Le texte est intitulé Noyade sensuelle et vous le trouverez sur Inventer sa vie, le site de l’autrice qui héberge quelques textes supplémentaires, l’annonce de son roman, Accords sensibles, des détails biographiques et quelques impressions publiées sous forme de blog.
Le tout commence par une absence, celle de la personne aimée, Marie. Comme pour conjurer le sort, pour faire face à l’abandon, Paul a décidé de revenir sur les lieux même de leurs vacances, là où le couple avait ses habitudes. Au risque, évidemment, de se retrouver en compagnie du fantôme de son amante et des souvenirs heureux et d’autant plus douloureux. Un fantôme contre lequel Paul se frotte dès les premières lignes, dans la douche, quand le souvenir des seins de Marie surgit au milieu d’une séance de branlage :
Dans une fulgurance adolescente, il se caresse et, dans un cri entre jouissance et abîme, éjacule en se rappelant de la sensation de ses seins là, juste là.
Mais comment éviter une telle résurgence quand c’est le paysage lui-même qui, en déployant l’arsenal visuel et olfactif auquel il sait commander avec une telle efficacité, se charge de rappeler à notre protagoniste ce qui est perdu :
L’odeur des pins, les courbes suaves des dunes au bout du chemin, la chaleur, l’océan infini à perte de vue dans le ciel d’azur, pimentent l’atmosphère d’une odeur sucrée, lui faisant penser à la peau de Marie.
Pour se changer les idées – à moins que ce soit pour mieux se torturer – Paul se rend à la plage où il squatte – une évidence – « l’endroit habituel » du couple disparu. Ensuite, c’est – presque ! – le drame et Paul, victime d’une crampe, manque de se noyer. Mais comme c’est l’été, le temps de l’insouciance, il y échappe grâce à la présence d’un maître-nageur. Et puis, mystère, une jeune femme y semble être pour quelque chose, une jeune femme qu’il ne sait identifier. Est-ce la belle inconnue dont un coup de vent lui a révélé l’intimité et qui a su soutenir son regard ? On ne le saura jamais, et cela n’a de toute façon aucune importance face à la note que notre protagoniste trouve dans sa boîte de cigarette et qui lui propose un rendez-vous nocturne à la plage, la nuit même.
Qui, je vous le demande, aurait la force de renoncer à une telle proposition ? Y résister serait un geste héroïque pour le plus amoureux et le plus comblé des hommes, mais quand on vient de retrouver le célibat et que la proximité d’un autre corps vous manque cruellement ? L’affaire est d’avance gagnée, et Paul ne manque pas de se rendre au lieu indiqué où il sera rejoint par celle qui s’est introduite auprès de lui par cette formule aux connotations magiques : « Naïade facétieuse et gourmande ». Et puis, c’est l’aventure qui commence, mais la belle sait épicer le jeu en reculant le plaisir, en frustrant le jeune homme, en lui échappant tout en lui faisant entrevoir la possibilité de gestes plus intimes. Et elle s’y prend d’une façon qui fait saliver jusqu’au lecteur :
“Bel inconnu, je voudrais que tu me prennes et que tu me fasses jouir, que tu ne penses plus qu’à moi. Je voudrais m’entendre gémir juste en respirant ton odeur”.
Cette première nuit, une sorte de mise en bouche, sera suivie par la deuxième qui verra les deux amants improvisés aller jusqu’au bout du parcours, et c’est quand elle décrit le ressenti de son protagoniste à l’issue de cette nuit charmante qu’Emmanuelle Hourmat réussit à cerner l’essence même de la sensualité estivale :
Les grains de sable mouillés sur sa peau, sa longue crinière échevelée sont les esquisses d’un plaisir dont Paul ne voudrait plus se libérer.
L’autrice excelle d’ailleurs à traduire le ressenti de son protagoniste dans les manifestations de la nature du littoral. Les odeurs, les coups de vent, les vagues, l’odeur et le goût marins, tout est là pour contribuer à évoquer cette ambiance si particulière dans laquelle se sont déroulées tant de premières fois et vers laquelle se tendent tant de désirs qu’elle en est devenue carrément mythique. Et la magie que l’autrice a su conférer à cette mer qui se mêle aux personnages, qui les engloutit, les incarne, les réclame et les conforte ! C’est face à un tel charme que j’ai l’audace de me laisser aller jusqu’à dire qu’il se trouve, dans ce petit texte, quelques-uns des plus beaux passages qu’il m’ait été donner de découvrir à travers huit ans de Lectures estivales !
Pour ce qui concerne le passionné de plaisirs estivaux, tout est dit. Mais l’amateur davantage porté sur le plaisir littéraire y trouvera aussi son compte, parce que la nouvelle se termine, conformément aux règles du genre, par une belle chute. Que je ne vais évidemment pas vous révéler. Je m’en voudrais trop de vous avoir privés de ce plaisir supplémentaire.

J’ai passé un excellent quart d’heure en compagnie d’Emmanuelle Hourmat, et de ses créatures, baigné par une rare sensualité qu’elle sait évoquer avec une étonnante légèreté, maniant les ingrédients à la façon d’une magicienne qu’on aimerait croire échappée à quelque Songe d’une nuit d’été. Le charme y est pour le prouver.
Je ne sais vraiment pas pourquoi ce texte n’est pas entré dans le recueil. Mais je remercie l’autrice de l’avoir sauvegardé en le proposant aux lecteurs assez hardis pour partir en expédition littéraire sur la toile où les réseaux sociaux nous ont depuis longtemps habitués à trouver le pire. Emmanuelle Hourdat fournit la preuve de ce qu’on y peut toujours faire des découvertes éblouissantes.
Ne me reste plus qu’à vous souhaiter un été excellent. Quant à moi, je vais essayer de vous le pimenter à travers d’autres découvertes que je n’hésiterai pas à partager avec mes fidèles lecteurs. Et cet été, je vous le souhaite plein de rencontres et de proximité humaine. Et quand je dis « proximité », je parle évidemment des peaux qui se frottent, des lèvres qui se palpent, des doigts qui s’aventurent et des sexes qui échangent leurs liquides. Ne laissez pas la peur détruire ce bel élan vers vos semblables !
Emmanuelle Hourmat
Noyade sensuelle
Publié sur le site de l’autrice
Références
↑1 | Vous ne le savez pas encore, mais la nouvelle, qui n’a pas non plus été retenue pour le recueil, a fourni le point de départ d’un roman qui raconte les perversions et les initiations multiples d’une jeune femme d’à peine dix-huit ans entre les mains d’une cougar. Le texte se trouve, à l’instant où je vous en parle pour la première fois, entre les mains d’une correctrice avant de passer à l’étape suivante, à savoir la publication dans la bibliothèque Kindle Unlimited où il rejoindra mes autres textes. |
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