Tout le monde a déjà entendu parler de ces improbables trouvailles : un chef d’œuvre, déterré aux Puces du quartier, ou retiré, couvert de poussière et de toiles d’araignées, de la cave d’un vieux parent. Mais qu’on puisse faire une telle découverte (poussières et toiles d’araignées en moins) dans un musée, haut lieu du recensement artistique et de la conservation du savoir, cela étonne. C’est pourtant ce qui s’est produit au Musée Ludwig, institution des plus prestigieuses parmi les musées d’Art moderne d’Europe.




Au cœur de cette histoire un peu tordue se trouve la collection Haubrich, léguée, au lendemain de la guerre, par un riche collectionneur à la ville de Cologne, et qui réunit la fleur des artistes de la première moitié du XXe siècle, parmi lesquels des noms aussi célèbres que Marc Chagall, Jean Arp, Max Ernst, Ernst Ludwig Kirchner, Max Pechstein. Cette collection, entrée d’abord au musée Wallraf, a plus tard constitué un des noyaux du nouveau musée Ludwig, ouvert en 1986 et dédié à l’Art des XXe et XXIe siècles.
Il va de soi que des toiles d’artistes aussi célèbres tiennent le haut du pavé (ou plutôt de la cimaise) et attirent à elles seules des milliers de visiteurs. Seulement, l’arrangement des tableaux commençait à dater, et l’idée d’une nouvelle présentation (accessible à partir du 3 août 2012) s’imposait depuis un certain temps déjà. Pour préparer celle-ci, il fallait examiner quelques 250 toiles, et c’est pendant ces travaux-là qu’on s’est rendu compte qu’on avait à faire, dans trois cas, à de véritables tableaux « Janus », arborant des peintures à part entière sur leurs deux faces.
Le cas le plus particulier est sans aucun doute celui du « Canapé vert », de Pechstein, qui montre une jeune fille, aux jambes et aux bras dénudés, à la crinière aux reflets rougeâtres, négligemment couchée sur le canapé en question. Au « verso » de ce tableau se trouve donc un autre, le portrait de la femme de l’artiste, et c’est ce portrait-là que le collectionneur Haubrich a acheté, en 1953, et qui a ensuite été exposé jusqu’en 1965. Malheureusement, les quelques lignes rédigées par le service de presse du musée ne nous apprennent rien à propos du sort du tableau après cette date fatidique. Une certitude pourtant : En 1965, le tableau a encore fait partie du fonds du musée Wallraf avant d’être transféré, en 1986, au musée Ludwig. Est-ce qu’on l’avait relégué au dépôt ? Est-ce que, à l’époque, on avait déjà « découvert » qu’il y avait un deuxième tableau caché qu’il fallait montrer au public ? Toujours est-il que l’existence du portrait a bel et bien été oublié pendant un demi siècle. Ce qui en dit assez long sur la qualité de la documentation des musées impliqués. Et ces hauts faits de la muséologie concernent, ne l’oublions pas, un des tableaux vedette de la collection permanente.

On dispose de moins de détails encore pour les deux autres tableaux, de Kirchner et de Jawlensky. Une particularité pourtant mérite d’être relevée : La fille si négligemment drapée par Pechstein sur le canapé vert est le célèbre modèle des artistes de la « Brücke », Lina Franziska (« Fränzi ») Fehrmann. Qu’on retrouve sur le tableau de Kirchner, « Fränzi dans les prés », caché depuis toujours (?) derrière le « Nu féminin au chapeau ».
Il faut retenir de cette « affaire » qu’à la base de tout savoir il doit y avoir une bonne documentation. Celle-ci n’est apparemment pas complète au musée Ludwig, institution à renommée européenne pourtant si ce n’est mondiale. Il faut espérer que les tableaux concernés, pour remédier un tant soit peu à ce péché pas si mignon, seront désormais exposés dans une vitrine qui permettra aux visiteurs de contempler les deux côtés de ces tableaux à double face. Et qu’un bon documentaliste sera embauché pour combler les lacunes des archives. Nonobstant ces critiques, réjouissons-nous de ces découvertes qui enrichissent le fonds du musée sans qu’un seul sou doive être dépensé.
Crédits photographiques pour tous les clichés reproduits dans l’animation : Musée Ludwig, Cologne