Il y a de ces anges qui ne volent pas bien haut, ce qui ne les empêche pas toutefois de tomber bien bas. Tel est le cas du protagoniste d’un roman de Paul Durand Degranges, Rhapsodie pour un Ange, qui raconte le parcours d’un jeune homme aux charmes véniels, placé dès ses premiers instants sous le signe de la chute et de la faute : Sa mère lui donna naissance (le mit bas semble un terme plus approprié) après avoir vu l’avion de son mari s’écraser dans un bâtiment d’école. Entrée fracassante dans une vie marquée par un sceau fatal.
Le héros de cette Rhapsodie se fait remarquer, tout le long de son parcours, par sa beauté extraordinaire qui, surpassant en splendeur des myriades de brillants esprits [1]John Milton, Le Paradis perdu, livre I, traduction de François René de Chateaubriand, le place d’emblée en dehors des normes et le met dans la lignée des êtres dont la beauté n’est que le signe précurseur de leur chute, ceux auxquels on prête des origines célestes, tellement on a peu l’habitude de croiser la beauté ici-bas. Mais il ne faut pas se tromper, on peut jouir de trop de beauté, comme de trop de bonheur, et ainsi réveiller la jalousie et la colère des Dieux.
Ange, après avoir quitté ces parents pour de bon, s’installe à Paris, où un de ses premiers exploits consiste à séduire, de par sa beauté, mais bien malgré lui, le dénommé Jean, jeune garçon de bistrot. Celui-ci lui propose de faire ménage commun et arrive en même temps à lui faire accepter de gagner des sous en se prostituant. Et même si Ange préfère les femmes, il devra constater que ses charmes opèrent bien plus efficacement sur les hommes. Entre les deux jeunes hommes s’installe par la suite une amitié sincère qui résistera même aux nombreux assassinats qu’Ange ne tardera pas à enchaîner, après avoir franchi le cap en « refroidissant » un de ses clients qui avait eu la mauvaise idée de développer des allures paternelles. La police, incarnée par l’inspecteur Dujardin, se mêlera bientôt à l’affaire et finira même par faire partie du mobilier du bar où Ange et Jean passent leur temps, entre deux commandes, à racoler des clients. Face à la persistance de son ami que rien n’arrive à faire renoncer à ses usages peu conviviaux, Jean ramène un nouvel ami au foyer, l’Américain Michaël, rencontré pendant un séjour de l’autre côté de la Mare.
On le voit, le personnel de ce roman est bien choisi pour tenir compagnie à celui qui, de par son nom et sa beauté, incarne l’Ange du Mal. Mais l’archange, dont le secours est pourtant régulièrement invoqué quand il s’agit de combattre le Malin, aussi bien que l’apôtre, échouent, et le dernier voyage du jeune Ange se révélera fatal. Et c’est là que, après avoir accompli une dernière ascension, il scellera son sort comme s’il avait voulu illustrer les mots du poète anglais :
Him the Almighty Power
Hurld headlong flaming from th” Ethereal Skie
With hideous ruine and combustion down
To bottomless perdition [2]Le Souverain Pouvoir le jeta flamboyant, la tête en bas, de la voûte éthérée ; ruine hideuse et brûlante, il tomba dans le gouffre sans fond de la perdition…
L’histoire d’Ange, c’est celle d’une vie cassée par le coup de sabot du Diable, le récit d’un être poussé au bord de l’abîme par les coups portés par ceux censés pourtant l’aimer, et qui permet de faire un tour d’horizon d’un enfer dont le caractère le plus effrayant est peut-être qu’il fermente au fond de tout un chacun. On se demande pourtant si, contrairement à ce que suggère Barbey d’Aurevilly dans ses Diaboliques [3]« Mais je me figure que l’enfer, vu par un soupirail, devrait être plus effrayant que si, d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier. », on n’aurait pas volontiers renoncé à en connaître l’entière étendue.
Mise à jour
Suite à la liquidation judiciaire des Éditions Kirographaires, l’auteur a publié Rhapsodie pour un Ange et L’Ombre blanche sur la plate-forme Kindle. Les liens de cet article ont été mis à jour, la couverture étant toujours celle de l’édition Kirographaires.
Paul Durand Degranges
Rhapsodie pour un Ange
Éditions Kirographaires
octobre 2011
ISBN : 978−2−8225−0104−0
Références
↑1 | John Milton, Le Paradis perdu, livre I, traduction de François René de Chateaubriand |
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↑2 | Le Souverain Pouvoir le jeta flamboyant, la tête en bas, de la voûte éthérée ; ruine hideuse et brûlante, il tomba dans le gouffre sans fond de la perdition… |
↑3 | « Mais je me figure que l’enfer, vu par un soupirail, devrait être plus effrayant que si, d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier. » |
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