Hen­drick Golt­zius et les maîtres de la ligne

Hendrik Goltzius, autoportrait (1593-94)
Hen­drik Golt­zius, autoportrait

Il y a un an, le Wall­raf (le musée des beaux-arts de la ville de Cologne) a reçu un très beau cadeau, à l’oc­ca­sion de son 150ème anni­ver­saire : Le col­lec­tion­neur Ber­li­nois Chris­toph Mül­ler a aug­men­té la col­lec­tion du dépar­te­ment des Arts gra­phiques d’un nombre consi­dé­rable en lui offrant quelques deux cents gra­vures, par­mi les­quelles quelques-unes exé­cu­tées par les plus célèbres artistes néer­lan­dais des XVIe et XVIIe siècles, et notam­ment par Hen­drick Golt­zius, le « Pro­tée de l’Art », comme l’ap­pe­laient res­pec­tueu­se­ment ses contem­po­rains, fai­sant allu­sion à la mul­ti­pli­ci­té des styles qu’il savait imi­ter. Un an plus tard, le musée en pro­fite pour mon­ter, à par­tir de ce fonds richis­sime, une petite expo­si­tion qui excelle par la qua­li­té des oeuvres exhi­bées et qui illustre les efforts constants du direc­teur, Andreas Blühm, de rendre à ses bijoux trop dis­crets l’hon­neur au moins pro­vi­soire des cimaises : « Les artistes de la ligne. Hen­drik Golt­zius et l’Art gra­phique aux alen­tours de 1600 ».

Goltzius, Jupiter et Junon
Golt­zius, Jupi­ter et Junon

Aujourd’­hui, et sur­tout dans un pays où même les villes de moindre impor­tance ne sont pas dépour­vues d’ins­ti­tu­tions cultu­relles, les visi­teurs ont acquis la fâcheuse habi­tude de se lais­ser éblouir par les cou­leurs des toiles, dont une illu­mi­na­tion de plus en plus raf­fi­née essaie de tirer les meilleurs effets. Et on ne sau­rait même pas le repro­cher aux direc­teurs, conser­va­teurs et autres pro­fes­sion­nels de l’Art : Depuis les orgies en cou­leur d’Eu­gène Dela­croix, depuis l”« inven­tion » du plein-air, depuis la per­cée du style impres­sion­niste avec sa pein­ture lumi­neuse sur­tout, c’est la cou­leur qui domine en reine. Gâtés par de tels spec­tacles, cer­tains, sinon tout le monde, passent à côté d’autres tré­sors plus dis­crets. Et encore faut il avoir l’oc­ca­sion de pou­voir pas­ser à côté de ces enfants mal-aimés du grand public, parce que, la plu­part du temps, ils sont gar­dés (on pour­rait tout aus­si bien dire : enfouis) au fond des cabi­nets, à l’a­bri de la lumière qui, il faut l’a­vouer, aurait vite fait de les détruire.

Goltzius, Fortitudo et Patientia
Golt­zius, For­ti­tu­do et Patientia

Depuis un cer­tain temps on assiste pour­tant à une reva­lo­ri­sa­tion de l’Art gra­phique et du des­sin qui a pour effet d’ou­vrir, de plus en plus sou­vent, les portes des cabi­nets et de pro­po­ser leurs tré­sors cachés au grand public, dans l’es­poir secret peut-être de voir s’é­lar­gir le cercle des hap­py few qui, jusque-là, ont su pro­fi­ter en par­faits gent­le­men des charmes de l’Art et du savoir-faire des Maîtres de la Ligne. On ne sau­rait donc trop louer l’ef­fort de l’é­quipe de Cologne qui per­met au visi­teur de se pro­me­ner dans un monde qui tranche sur nos habi­tudes visuelles et qui, en même temps, ren­voie aux sources de la pein­ture : l’i­mi­ta­tion de la vie.

Goltzius, Le triomphe de Galathée (détail)
Golt­zius, Le triomphe de Gala­thée (détail)

L’ex­po­si­tion est com­po­sée de plu­sieurs par­ties thé­ma­tiques, comme « La Mytho­lo­gie », « Copié d’a­près la vie », « Illus­tra­tions bibliques ». En même temps, elle ne manque pas d’illus­trer un pro­blème fina­le­ment pas si moderne que ça : le copier-col­ler et la réuti­li­sa­tion des oeuvres d’au­trui. Les gra­vures, on le sait, ont été lar­ge­ment uti­li­sées pour vul­ga­ri­ser la connais­sance des oeuvres d’Art : On copiait en les des­si­nant des pein­tures, des sta­tues, ou encore des ves­tiges antiques, et ces des­sins ser­vaient ensuite de calques aux gra­veurs qui trans­por­taient les lignes du papier bien trop péris­sable dans la dure­té pérenne du cuivre. Ensuite, on pou­vait en tirer un très grand nombre de planches pour satis­faire à une demande qui venait des quatre coins du vieux conti­nent, affa­mée d’in­no­va­tion dans ces temps du savoir renais­sant. Il est vrai que l’o­ri­gi­na­li­té ou encore le droit d’au­teur étaient des concepts incon­nus pen­dant la qua­si-tota­li­té de l’His­toire de l’Art, et on a beau scru­ter, on ne trou­ve­ra nulle part de petit « c » entou­ré de son cercle.

Goltzius, Le triomphe de Galathée (détail)
Golt­zius, Le triomphe de Gala­thée (détail)

L’ex­po­si­tion a donc, comme il se doit, son petit côté didac­tique, mais son plus grand mérite est de confron­ter le visi­teur à la beau­té d’une forme d’Art dont on a pra­ti­que­ment désap­pris la contem­pla­tion, mais qui dévoile pour­tant bien des sur­prises à celui qui, les yeux rivés sur les fines lignes, sait plon­ger au fond des mer­veilles que nous ont léguées les arti­sans artistes des Pays-Bas entre Renais­sance et Baroque. Je ne vais pas vous gâcher le plai­sir de la décou­verte, mais je ne peux pas m’empêcher, non plus, de vous don­ner un petit indice : Regar­dez bien les ventres des femmes ! La main experte de Golt­zius a fait des mer­veilles en tra­çant les lignes de ces formes opu­lentes, offertes aux yeux d’une pos­té­ri­té certes bien négli­gente, mais néan­moins tou­jours aus­si  avide de beau­té que leurs prédécesseurs.

Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95

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