La merde attire les mouches, et l’argent, les arnaqueurs. Ceci est bien connu, et qui, honnêtement, ne serait partant pour gagner quelques dizaines de milliers de roros en fournissant, en contrepartie, zéro effort ? Et oui, vous avez bien lu, le Pays de Cocagne est à portée de main. Au moins pour celles et ceux qui sont au courant des modalités du programme Kindle Unlimited de chez Amazon et qui ne s’embarrassent pas de considérations morales. Et comme l’avidité est une des pulsions primaires qui font marcher le monde capitaliste, il se trouvera toujours quelqu’un pour exploiter les failles d’un système afin d’en profiter sans devoir passer par la voie « travail honnête ». Malheureusement, il faut toujours quelqu’un pour payer la facture, et dans le cas qui nous occupe, ce rôle ingrat est attribué aux auteurs honnêtes ayant choisi de proposer leurs textes à travers Kindle Unlimited.
Kindle Unlimited désigne une formule d’abonnement qui permet aux lecteurs d’accéder à un grand nombre de textes à travers un forfait mensuel, ce qui tend à favoriser les grands lecteurs qui ne savent se contenter d’un ou de deux pauvres petits textes par mois. En même temps, les textes proposés dans le cadre de ce programme ne se trouvent nulle part ailleurs, leurs auteurs ayant concédé l’exclusivité de la distribution à Amazon. Quant aux modalités de payement, elles sont basées sur le nombre de pages lues. Ce qui veut dire que, si un texte compte une centaine de pages, mais qu’un lecteur n’en lit qu’une dizaine, c’est cette dizaine qui sera créditée. Une approche qui semble plutôt raisonnable, surtout que des questions de détails comme le formatage des pages et la taille de la police ont déjà été réglée avec l’invention de la Page Normalisée de l’Edition Kindle (KENP) :
« To determine a book’s page count in a way that works across genres and devices, we developed the Kindle Edition Normalized Page Count (KENPC). KENPC is calculated using standard formatting settings (font, line height, line spacing, etc.). We use KENPC to measure the number of pages customers read in your book… » [1]Royalties in Kindle Unlimited and Kindle Owners” Lending Library
Bon, on constate que, chez Amazon, on a l’habitude de réfléchir, ce qui est très bien. Mais, comme énoncé plus haut, la présence d’une grande somme d’argent – en l’occurrence le fond de dotation alloué par Amazon à l’ensemble des auteurs réunis dans le programme Kindle Unlimited [2]Pour donner une idée des sommes en questions, pour le seul mois de mars 2016, 14,9 millions de dollars ont été versés aux auteurs. – attire des gens séduits par la perspective de se remplir les poches, tout en rechignant à l’idée de fournir le travail que demande la rédaction (et le marketing) d’un texte de qualité.
Ce qui suit est largement commenté sur des sites anglophones depuis quelques semaines, et comme j’ai été étonné de constater l’absence de remarques sur les sites francophones que j’ai l’habitude de fréquenter, je me suis lancé pour combler cette lacune et toucher un mot aux auteurs concernés par une forme de fraude assez répandue pour soulever l’intérêt – et l’ire – des blogueurs.
De quoi s’agit-il au juste ? Nous savon donc qu’Amazon prétend payer ses auteurs en fonction du nombre de pages lues. La question qui se pose est de savoir comment Amazon peut connaître un chiffre aussi important. Et c’est là qu’est le hic. D’après les observations publiées à travers la blogosphère, Amazon en serait tout simplement incapable. La seule donnée dont ils disposeraint, serait celle de la dernière page lue. Mais si celle-ci se trouve être la page 987, par exemple, sur un texte de 1000 pages, comment savoir que le lecteur a réellement lu les pages précédentes ? La bonne réponse : On ne le sait pas. C’est ici que je vous invite à consulter l’article très bien écrit et documenté d’Ann Christy, une blogueuse et écrivaine américaine apparemment bien rôdée dans l’art de sonder les souterrains pas toujours très salubres de l’édition selon Kindle :
« Scammers being scammers, they realized Amazon was lying very early on. Amazon couldn’t tell what pages were read. They only knew the last place you were at in the book. And that’s what they were paying authors, the last place that the reader synced in the book. » [3]Ann Christy, KU Scammers on Amazon – What’s Going On ?
Voici donc la brèche par où s’engouffrent les mercenaires rassemblés sous le drapeau du sou rapidement gagné. Parce que, quoi de plus facile que de placer un lien au début du texte qui mène le lecteur curieux vers la fin ? Ou d’inciter le lecteur à naviguer vers le dernier chapitre, comme si de rien n’était, assurant au passage un nombre de pages lues sans le moindre rapport avec la réalité. Et si vous vous demandez comment remplir ces 1000 pages qui permettent à notre arnaqueur de se remplir les poches, je vous invite à considérer les moyens mis à la disposition de tout le monde par l’informatique. Exploiter des textes trouvés sur la toile et en faire un assortiment capable de tromper les algorithmes concoctés par la troupe de Jeff Bezos ? Une question de quelque lignes de codes. Générer des traductions dans un grand nombre de langues et les insérer les unes à la suite des autres ? Il suffit de savoir manier des outils comme Google Translate et de faire ensuite un bête copier-coller. Et ce ne sont là que de bêtes exemples, d’autres se trouvant facilement.
Ce qu’il faut encore savoir pour mesurer l’étendue du phénomène et connaître les préjudices faites aux auteurs, c’est qu’Amazon offre chaque mois une somme fixe (recalculé de mois en mois, il est vrai) à ses auteurs. Et si des arnaqueurs y puisent de l’argent grâce à leurs méthodes malhonnêtes, cet argent manque ensuite à celles et à ceux qui font confiance à leur travail pour récolter leurs droits. Et les calculs de Mme Christy montrent que les sommes soutirées par les arnaqueurs sont tout sauf négligeables. Un seul d’entre eux serait à même de gagner jusqu’à la somme rondelette de 60.000 $ par mois grâce à des profils multiples, des textes bidons proposés dans des versions juste assez divergentes pour tromper les algorithmes d’Amazon, et l’usage savamment dosé de click-farms.
Il serait intéressant de mener les recherches présentées par Mme Christy sur le fond francophone des titres de Kindle Unlimited pour connaître l’étendue du phénomène dans l’espace hexagonal, mais cela m’étonnerait que la France échappe à un genre d’arnaque aussi facile à mettre en oeuvre. Il semblerait par contre que la multinationale de Seattle soit consciente du problème et que la limite des 3.000 pages rémunérées soit directement liée au problème illustré dans cet article. Mais s’il faut compter sur une constante, c’est bien celle de la créativité des arnaqueurs quand il s’agit de s’approprier l’argent destiné aux personnes honnêtes. Et je parie que la prochaine lacune sera bientôt trouvée et exploitée.
En attendant, que vous reste-t-il à faire au cas où vous tomberiez sur un tel texte ? Rien grand chose, je le crains, sauf de le signaler aux responsables d’Amazon, avec le mince espoir de voir ceux-ci réagir. Ce qui rendra, dans la meilleure perspective, la vie un peu moins facile aux arnaqueurs de tous poils.
PS : J’ai mené quelques petites recherches pour savoir si le phénomène a déjà été rapporté sur des sites francophones. N’ayant rien trouvé, j’ai décidé de me lancer et de présenter ici les résultats de recherches menées par des blogueurs et des auteurs anglophones. Tout mérite appartient donc à ceux-ci, votre serviteur se contentant du rôle de relais. Si, toutefois, vous connaissez des sites francophones qui auraient parlé du phénomène en question, merci de les citer dans les commentaires.
Références
↑1 | Royalties in Kindle Unlimited and Kindle Owners” Lending Library |
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↑2 | Pour donner une idée des sommes en questions, pour le seul mois de mars 2016, 14,9 millions de dollars ont été versés aux auteurs. |
↑3 | Ann Christy, KU Scammers on Amazon – What’s Going On ? |
Commentaires
3 réponses à “Des sous faciles grâce à une lacune dans Kindle Unlimited”
Bonjour, si si l’info circule sur Twitter. Amazon vient de changer au moins un truc dans le système depuis le 1er mai, on reçoit en plus du nombre de page lue, le nombre d’exemplaires empruntés ce qui n’était pas le cas avant, ce qui me laisse penser qu’Amazon s’est penché sur la question du calcul de pages. Des malins, il y en aura toujours quelque soit le système mis en place ! ;-)
Ah oui, Twitter… Un réseau où je ne traîne pas souvent. J’avais pourtant jeté un coup d’oeil en faisant une petite recherche sur #KindleUnlimited… Merci toutefois pour la précision. Je me doutais bien que tu serais une des premières à être au courant :-)
Dire que mon éditeur vient de renouveler la période d’exclusivité de KDP.
Je peux dire d’expérience que le programme ne rapporte rien ou à peu près en matière d’argent. Il a cependant tenu mes livres des le top de la catégorie de science-fiction érotique, même dans les moments creux. C’est mon expérience, pour ce que ça vaut. Peut-être que, sans ces cas de fraude, la cagnotte serait plus intéressante. Elle pourrait doubler, ce ne serait pas encore grand chose.
Ceci dit, je n’ai jamais été à l’aise avec l’exclusivité. J’ai hâte que l’édition papier sorte.