Aujourd’hui, je vais enfin pouvoir vous présenter la mini-série Sex in Italy dont les quatre volumes publiés en 2016 par Dynamite ont tous été tirés de la collection Selen présente, parue, elle, entre mars 1996 et février 2003 chez l’éditeur français Vents d’Ouest1. Cette collection est de son côté basée sur la revue mensuelle Selen – Mensile di Cultura Erotica e Fumetti2 – lancée par Luca Tarlazzi en 1994 en Italie. Cette revue, fruit d’une collaboration entre le dessinateur italien et la hardeuse de même nationalité, Selen (aka Selen de Rosa, de son vrai nom Luce Caponegro), réunit quelques noms des plus remarquables parmi les autrices et auteurs érotico-pornographiques de la péninsule, dont quelques-uns qui ne sont pas des inconnus dans les colonnes de la Bauge, comme la légendaire Giovanna Casotto ou le lumineux Marco Nizzoli.

Les quatre volumes qui nous intéressent aujourd’hui ont initialement paru en France sous les numéros 1, 4, 7 et 11 de la collection sus-mentionnée Selen présente. Si les BD réunies dans cette collection ont toutes été puisées aux numéros de la revue d’origine presque homonyme, les éditeurs d’époque ont fait le choix d’en extraire les récits et de les réunir dans des titres parus sous les noms de leurs auteurs respectifs. Les pages d’un seul récit qui donc, au départ, ont pu être réparties sur plusieurs numéros, ont enfin pu être présentées aux lecteurs de façon plus facilement consommable et sans doute plus conforme au format d’une BD distribuée en librairie.

Autant de préliminaires pour enfin avoir le plaisir de pouvoir déguster le fruit de cette collaboration et de cette histoire éditoriale un brin compliquée à débobiner. Mais on n’est pas des amateurs de littérature érotique voire pornographique pour rien, et les préliminaires ne nous font pas peur, à nous autres :-)
La protagoniste des histoires rassemblés ici s’appelle Serena, son petit nom ayant subi une toute petite adaptation par rapport à celle qui inspire et anime ces récits, et on la voit se glisser dans les scénarios des plus alléchants dès le premier volume. Pour commencer, une petite aventure sur le parking d’une boîte de nuit qu’elle fréquente avec son copain Marco, une halte à la station-service sur le chemin du retour, une journée passée à la plage (vous devinez que c’est ma préférée) où un touriste tchèque rejoint le couple pour lequel la jalousie n’est qu’un vocable. Et pour finir en beauté – et c’est le cas de le dire -, une escapade chez le gynéco qui, lui, ne s’en sortira pas grandi.
Les boîtes de nuit, la plage, les clopes, la provocation, les beaux mecs ramassés à la plage et invités à la maison pour y passer la nuit à enculer la maîtresse de foyer… C’est la belle vie, et c’est surtout l’esprit des années 903, une tornade de liberté qui a ravagé les esprits après la chute du mur et avant le fatidique 09/11/, date qui, le cap du millénaire à peine passé, marque une nouvelle plongée vers les bas-fonds de la violence et de la peur avant de toucher le fond deux décennies plus tard dans le règne des psychopathes et des courants de pensée liberticides dont les protagonistes voudraient cloisonner le monde, enfermer les idées dans des cellules faciles à éliminer et les corps sous des habits de nonne imperméables aux regards. Relire aujourd’hui Sex in Italy – et tous ces fumetti porno de l’âge d’or – trente ans presque jour par jour après la parution du premier numéro en Italie, c’est comme un ouragan de liberté, un sceau d’eau glacée en pleine gueule, un coup capable de réveiller les consciences et les libidos endormies. Et qui t’arrache des bras d’un Morphée malveillant qui t’a plongé dans un cauchemar profond où tu as perdu jusqu’à la capacité du plaisir et de la joie. Trente ans après la première publication, la BD se lit comme une déclaration de guerre aux castrateurs de désirs et Serena / Selen apparaît comme la thuriféraire d’une époque révolue. Qu’on aimerait voir passer à l’assaut, les seins à l’air, pour faire exploser les barricades derrière lesquelles pullulent les esprits malveillants et pusillanimes.
Quel plaisir donc de pouvoir renouer, le temps d’une lecture bien trop brève, avec cette décennie qui a vu éclore tant de belles illusions et qui a réellement ouvert le monde après le cloisonnement de la guerre froide et la fin – bien trop provisoire – des totalitarismes. Bravo donc aux courageux collaborateurs et collaboratrices de chez Dynamite qui passent leurs journées à arracher à l’oubli des trésors comme celui que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui !

Je viens de vous énumérer, quelques paragraphes plus haut, les épisodes contenus dans le premier volume établi par Dynamite, et si ce n’est certes pas par la profondeur littéraire que ceux-ci nous mettent sous le charme, Tarlazzi a su conférer à ces personnages une simplicité toute naturelle pour souligner avec une merveilleuse économie de moyens et une remarquable sobriété du style leur sexualité exubérante, bouillonnante et surtout – bon enfant. C’est d’ailleurs justement pour cela que je ne peux arrêter de feuilleter les pages de Sex in Italy, pour ce contraste entre la sobriété des moyens et l’explosion sensuelle de la sexualité de Serena / Selen et de ses partenaires. C’est comme si la richesse s’appuyait sur la pauvreté afin de pouvoir atteindre à son apogée. Un procédé par contraste tout ce qu’il y a de plus extraordinaire.
Voici d’ailleurs ce que dit Gaijinjoe, incontournable chroniqueur de l’érotisme dans la BD, à propos du style de Luca Tarlazzi :
[That] Tarlazzi understands his craft, to translate emotions and passion into picture form, can be seen in every panel […]. His narrative style is cheerful, charming and cheerful, his stroke is masterly, precise and impeccable, his pastel colouring discreet and atmospheric. Sex clichés and cliché figures can not […] be found in his works. The erotic scenes were arranged explicitly and without shame.4
Vous l’aurez compris, Luca Tarlazzi, au même titre que celle qui fut sa muse et en même temps sa créature, incarnent tous les deux un certain esprit de fin de millénaire, né dans le réveil des libertés après les événements de ’89 et qui a vu s’ouvrir toujours plus grandes les portes vers l’épanouissement de l’humain, enfin placé au centre des philosophies et des courants politiques. Un beau rêve trop tôt évanoui, mais qui au moins a laissé des témoignages d’une décennie de luxure vers lesquels on adore revenir afin de retrouver le potentiel qui dort en nous.
La vie des deux protagonistes de cet article pourrait d’ailleurs servir d’illustration au sort du siècle. Selen a abandonné le monde du porno peu avant la fin du millénaire, en 19995, tandis que Tarlazzi s’en est retiré peu après et ne semble plus avoir collaboré à Selen depuis le numéro 57. Je n’ai pu trouver la date exacte de la parution de ce numéro, mais elle doit plus ou moins correspondre avec la fin du millénaire. Depuis, ni Tarlazzo ni Caponegro (on se souvient, c’est le vrai nom de celle qui, pendant dix ans, fut Selen) n’ont remis les pieds dans le monde de l’érotisme. Sans pour autant nier leur implication qui a laissé de si remarquables traces. À vous donc, chère lectrice, cher lecteur, de partir à leur encontre ! Il suffit pour cela de vous rendre dans la librairie de Dynamite et de délier les cordons de vos bourses virtuelles. Un geste hautement apprécié pour faire vivre un éditeur plein de courage et de bon sens.
Luca Tarlazzi
Sex in Italy, t. 1 et 2
Sex in Italy, t. 3 et 4
Dynamite
ISBN : 9782362344886 et 9782362344909
- Éditeur qui aujourd’hui fait partie de Glénat. ↩︎
- Mensuel de culture érotique et de bande dessinée ↩︎
- « Jeune femme libérée des années 1990 » d’après les paroles de l’éditeur dans son catalogue web. ↩︎
- « Le fait que Tarlazzi comprenne son métier, qui consiste à traduire des émotions et des passions en images, se voit dans chaque planche […]. Son style narratif est gai, charmant et enjoué, son trait est magistral, précis et impeccable, ses couleurs pastel discrètes et atmosphériques. Les clichés sexuels et les figures clichées ne […] se retrouvent pas dans ses œuvres. Les scènes érotiques ont été arrangées explicitement et sans pudeur. » Gaijinjoe, Luca Tarlazzi, article publié sur le site eroticcomic.info ↩︎
- « Elle met un terme à sa carrière en 1999. », Article de la Wikipédia française, consulté le 13 avril 2024. ↩︎