La première partie de Job d’été, roman en deux volumes de Clara Le Kennec, se termine sur un défi. Celui, adressé par M. Paul à Clara, de ne pas mettre de culotte sous sa jupe de serveuse. Comme on s’en doute, le défi est vaillamment relevé par l’intéressée, et voici que la deuxième partie s’ouvre dans une ambiance des plus sensuelles.
Clara, on s’en souvient, est une jeune femme qui vient de terminer sa première année de médecine. Une année pleine de travail qui lui aura valu de se retrouver parmi les meilleurs de sa classe, mais qui a sonné en même temps la fin de sa vie amoureuse, Clara ayant sacrifié l’épanouissement des sens sur l’autel de la réussite. Contrainte de se trouver un job d’été, elle débarque dans un hôtel de la Côte d’Argent, dans le Morbihan, un lieu qui, en l’arrachant à sa routine, se révèle propice pour se changer les idées et progressivement s’ouvrir au plaisir, refoulé jusque-là. La suite du texte la montre qui continue sur sa lancée, se laissant tenter de plus en plus souvent par des perspectives de sensualité. Clara a pourtant toujours du mal à se lire et à se laisser combler, et si elle a déjà fait ses premiers pas entre les mains expertes de Mehdi le masseur, c’est moins grâce à une volonté affirmée de rechercher le plaisir que suite à un certain abandon de contrôle qui la conduit dans des situations qu’elle ne maîtrise plus. C’est pour cela aussi qu’elle obéit à l” « ordre » de se présenter sans culotte dans la scène qui ouvre la suite du récit.
Dans la deuxième partie, le trajet de Clara, imaginé et illustré de façon parfois assez savoureuse par l’autrice, la mène d’étape en étape vers ce qu’elle perçoit comme le sommet du plaisir, un rapport se concluant par l’orgasme. Avant, il y a les massages, les regards, les défis, le tout pour briser l’entrave des sens, et il faut constater qu’elle est bien engagée dans son parcours. Au point même de céder aux avances d’un jeune puceau qui, s’il sait tirer toutes les bonnes ficelles au point de convaincre Clara de coucher sans protection, finit, en digne débutant, par une éjaculation précoce suivie d’une fuite en pleine déroute. Ce qui, on l’imagine, laisse la belle en désarroi.
Mais tout concourt pour ramener Clara dans le bon chemin, et une petite tendance à la soumission facilite les choses pour ces messieurs entreprenants qui se trouvent sur sa route. Des hommes assez âgés, plutôt moches, mais qui savent comment s’y prendre pour envoyer en l’air un tendron dont il faut savoir réveiller le désir – pour ensuite se charger de le combler.
Si l’autrice sait trouver des situations très sensuelles et y faire évoluer ses personnages, il faut constater que, malheureusement, la maîtrise linguistique lui manque pour exploiter à fond ces rencontres intimes, le lecteur butant bien trop souvent contre des phrases mal tournées et un emploi parfois approximatif des temps du récit. Voici l’exemple d’une phrase malheureuse, placée de surcroît dans une des plus belles parties du récit, que le lecteur aimerait savourer sans être brutalement réveillé par un manque de travail éditorial :
« Plutôt que de se placer à côté de moi, il se colla dans mon dos pour m’enlacer de ses bras, entourant mon ventre et se collant à moi. » [1]La soirée continue
De tels « accidents » se trouvent un peu partout, et il y a des passages où la meilleure volonté du monde finit par désespérer. J’ai repéré dans ce texte des passages d’une fraîcheur revigorante, témoins d’une imagination forte et même originelle, comme par exemple la scène de la piscine, la nuit, avec comme toile de fond la côte illuminée où s’enchaînent les stations touristiques, ou celle encore dans la douche qui réunit Clara et Ramos où vous trouverez Clara dans une position d’autant plus alléchante qu’elle est peu commune :
Je dus ressembler à un minier poussant un wagon rempli de charbon. Mes seins libérés pointant librement vers le sol. Bizarre de les voir se balancer, ça me fit penser à ces vaches avec leurs mamelons qui ballotent [sic] …
Malheureusement, comme vous pouvez le constater dans la citation, le plaisir est souvent gâché par une bourde linguistique – et souvent bien plus grave que l’exemple sus-cité.
Mais revenons un peu à la scène de la douche qui clôt la deuxième partie de Job d’été. J’ai déjà eu l’occasion de dire que Clara est attirée par une certaine forme de domination jusqu’à se qualifier de « soumise ». Et si c’est le désir refoulé qui fait de Clara une sorte de poupée entre les mains de ces hommes mal dégrossis que l’autrice place sur sa route, elle a en même temps le chic pour se servir de ses collègues pour réveiller une libido endormie, comme sous la douche en question où elle suit avec une application des plus recommandables les ordres de Ramos, manutentionnaire de l’hôtel, deux fois plus âgé que la protagoniste et tout sauf bel homme. Si, au départ, elle se réfugie dans une sorte d’illusion en imaginant un beau bodybuilder « avec son torse imberbe et musclé » qui serait en train de la manipuler, on voit bientôt disparaître cette échappatoire au fur et à mesure de la montée du désir et des effets des manipulations érotiques : du déni de la réalité, elle passe par la confusion (« Je me sentis offerte à la vue de je ne savais plus qui d’ailleurs ») et finit par accepter une réalité qui s’appelle – Ramos :
« Je me fichai à présent d’imaginer un bodybuilder venu de nulle part, j’acceptai maintenant totalement cet homme. » [2]La Réparation
C’est dans le même épisode d’ailleurs que se trouve une belle description de l’après-acte quand, une fois disparue l’emprise du désir, la honte s’installe d’avoir lâché prise, d’avoir renoncé à l’empire de la raison, et d’avoir cédé à l’être souterrain qui végète dans le noir de nos pulsions (« mes sens ne reprendraient pas le contrôle sur ma raison »). Un état d’âme après-coït que j’aurais cru réservé aux hommes propulsés vers la sobriété par une chute intempestive du niveau de testostérone après avoir atteint les sommets.
Averti par le premier épisode que j’ai admis dans la saison 2016 des Lectures estivales, je n’ai pas été surpris par le côté linguistique défaillant du texte, très mal dégrossi, au point de poser la question de savoir comment le manque de maîtrise linguistique peut se conjuguer avec des aspirations littéraires et une façon après tout assez ambitieuse – et souvent tout à fait réussie ! – de raconter et d’illustrer le réveil du désir. Ne connaissant pas l’autrice, je ne suis pas en mesure d’apporter une quelconque réponse, mais je dois constater que je suis, en fin de compte, content d’avoir découvert le texte et d’avoir suivi les aventures de Clara et de ses amants. C’est sans doute là un des mérites de l’auto-édition à la Kindle – à la portée de pratiquement tout le monde – qui donne la parole à des auteurs autrement réduits au silence – ce qui ne rendrait pas justice à la richesse d’un fond littéraire très mal connu. Et si c’était là une sorte de continuation des laboratoires d’écriture ouvrière prisés par les régimes communistes et leurs créateurs culturels, une expérience qui consisterait à ouvrir l’écriture et la publication à toutes et à tous, d’une portée autrement plus large que ce que pouvaient imaginer les timides prédécesseurs des années 20 et 30 ?
Quoi qu’il en soit, je souhaite à l’autrice de ne pas se laisser décourager par mes remarques et de continuer – à l’image de son héroïne – sur la route de l’aventure, de préférence après avoir octroyé au texte un travail éditorial bien plus conséquent.
Clara Le Kennec
Job d’été – La révélation
Auto-édition
ASIN : B01E80UYMG