Évo­hé, la turista !

Je suis un petit faune ivre de sève verte.
Évo­hé ! Évo­hé ! Les chênes sont humains !
Pour décou­vrir en eux l’hamadryade offerte,
À tous j’écarterai l’écorce avec mes mains.

Lucie Dela­rue-Mar­drus, Seule en forêt

Ah, les gens, par­fois, je vous jure… Ce n’est qu’au­jourd’­hui que j’ai appris – un peu tar­di­ve­ment, je vous le concède, mais l’in­ges­tion de quelques litres de vin et d’eau de vie afin de célé­brer l’ar­ri­vée – tout aus­si tar­dive – de l’é­té m’ont empê­ché de regar­der ailleurs que dans les yeux et les décol­le­tés de mes par­te­naires de débauche – le récit des esca­pades sexuelles d’une jeune tou­riste dans la belle ville de Florence.

Bon, de quoi s’a­git-il au juste ? Le week-end pas­sé, une jeune tou­riste (?), sous le charme de la beau­té d’une sta­tue de Bac­chus – et « pro­ba­ble­ment en état d’ébriété » comme l’au­rait affir­mé Sara Funa­ro, maire de Flo­rence1 – a cédé au magné­tisme de la sta­tue en ques­tion, grim­pé sur le pié­des­tal et a enta­mé une séance de baise, pré­sen­tant son cul au Dieu qui l’au­rait ensuite prise par (le) der­rière. Encore que per­sonne ne s’est cru obli­gé de pré­ci­ser la nature du trou par lequel la belle aurait choi­si d’être hono­rée. Quoi qu’il en soit, avant de pré­sen­ter son appé­tis­sant pos­té­rieur à la divi­ni­té en ques­tion, la jeune femme est pas­sé par des pré­li­mi­naires assez chaudes en se tor­tillant autour du bronze, essayant de réchauf­fer le pauvre Bac­chus figé par le métal si peu sen­sible aux passions.

Une Ménade moderne - une touriste subjuguée par les charmes de Bacchus.
Une Ménade moderne – une tou­riste sub­ju­guée par les charmes de Bac­chus. Source : Le compte Ins­ta­gram de welcome_to_florence

Quoi de plus nor­mal, de plus com­pré­hen­sible, je vous le demande ? Sou­ve­nons-nous un peu de la nature du dieu en ques­tion. Bac­chus – ou Dio­ny­sos pour nos amis épris de la culture des Hel­lènes – est, d’a­près la Wiki­pe­dia2, le Dieu de la fécon­di­té, son culte accen­tuant – et tout spé­cia­le­ment à Rome – le carac­tère sub­ver­sif du dieu. Et n’ou­blions sur­tout pas qu’il était « le dieu de la Vigne, du Vin et des Fes­ti­vi­tés, mais aus­si […] des Plai­sirs de la vie et de ses Débor­de­ments.« 3 Même si la sta­tue en ques­tion pré­sente le dieu dans une soli­tude déso­lante, sans son cor­tège habi­tuel, il ne faut sur­tout pas oublier de men­tion­ner les Bac­chantes aus­si appe­lées Ménades. À l’o­ri­gine iden­ti­fiées aux nymphes et aux jeunes femmes ayant accom­pa­gné Bac­chus pen­dant ses expé­di­tions dans les « plus intimes par­ties d’Asie » 4, ce terme dési­gna plus tard :

« des jeunes filles qui, simu­lant un trans­port bachique, célé­braient les Orgies ou fêtes de Bac­chus par une atti­tude, des cris et des bonds désordonnés. »

Et oui, « un trans­port bachique »… Je ne peux empê­cher un grand sou­rire de me mon­ter au visage en l’é­cri­vant… Et com­ment ne pas pen­ser, après avoir lu tout cela, à cette jeune tou­riste qui vient de défrayer la chro­nique en s’at­ta­quant au dieu avec une lubri­ci­té et une indé­cence cer­taines, dignes des Ménades farou­che­ment éprises de leur dieu, au point de tout lâcher et de se jeter à corps per­du – les cuisses grandes ouvertes – sur l’in­car­na­tion de la divi­ni­té afin de se rem­plir de sa puis­sance ? Pour moi, ce sont les charmes du pas­sé qui sur­gissent grâce à cette jeune femme que je ne peux assez remer­cier de son geste aus­si effron­té que cou­ra­geux, en par­faite adap­ta­tion avec la sta­tue qu’elle vient – le temps de quelques ins­tants de divine ébrié­té – de s’ap­pro­prier. Je parie d’ailleurs qu’il s’a­git ici d’une étu­diante des matières anciennes trop sou­vent jugées pous­sié­reuses, ces études clas­siques qui pour­raient tant nous apprendre :

Zu Deu­ka­lions Ges­chlechte stie­gen
damals noch die Himm­li­schen herab,
Pyr­rha’s schöne Töch­ter zu besie­gen,
nahm Hyper­ion den Hir­tens­tab.
Zwi­schen Men­schen, Göt­tern und Heroen
knüpfte Amor einen schö­nen Bund.
Ster­bliche mit Göt­tern und Heroen
hul­dig­ten in Ama­thunt.5

Quod erat demonstrandum.

À lire :
Laon - impressions cathédralesques

Mais puis­qu’on est en train de par­ler mytho­lo­gie, ne serait-il pas utile de rap­pe­ler ici que celle-ci a aus­si bien des côtés sombres ? Après tout, on est ici en pré­sence du dieu de l’i­vresse, d’une ecs­tase tou­jours près de frô­ler la vio­lence. Et si tous les pères et mères la morale, se croyant obli­gés de trai­ter la jeune femme de tous les noms et de devoir ful­mi­ner au pas­sage contre tous ces tou­ristes allè­gre­ment iden­ti­fiés aux nou­velles hordes de bar­bares, pou­vaient bien se sou­ve­nir de ce qui est arri­vé à celles et à ceux qui s’op­po­saient au culte de Bac­chus, d’un dieu dont l’ire n’est cer­tai­ne­ment pas à prendre à la légère :

Bac­chus, appré­ciant les hon­neurs qui lui étaient dédiés, punit sévè­re­ment tous ceux qui vou­lurent s’op­po­ser à l’é­ta­blis­se­ment de son culte. À Thèbes, Pen­thée, suc­ces­seur de Cad­mus, fut mis en pièces par les Bac­chantes…6

Et est-ce que je dois rap­pe­ler ici le funeste sort d’Or­phée, déchi­ré par ces mêmes Bacchantes ?

Ensuite, et cela s’a­dresse à la jeune femme si cou­ra­geuse, j’ai­me­rais lui deman­der si elle a déjà enten­du par­ler de Méri­mée ? Pros­per Méri­mée fut un auteur du XIXe siècle, appar­te­nant au cou­rant roman­tique et par cela très por­té sur les évé­ne­ments sur­na­tu­rels, inex­pli­cables. Pour ne rien dire de son amour sans com­mune mesure pour l’An­ti­qui­té. C’est ce bon­homme-là qui a écrit La Vénus d’Ille, sans doute son titre le plus célèbre et le plus digne de pas­ser à la pos­té­ri­té. C’est l’his­toire d’un beau jeune homme, Alphonse de Pey­re­ho­rade, doté d’un carac­tère des plus intré­pides qui ne recu­lait devant aucun défi, fût-il adres­sé aux Dieux. Et c’est ain­si qu’il a pas­sé sa bague de dia­mants – cen­sée orner le doigt de sa fian­cée – au doigt annu­laire d’une sta­tue de la Vénus épo­nyme, dans le jar­din de son père. Grand mal lui en a pris vu que cette même Vénus s’est cru obli­gée de pro­fi­ter plus tard de sa posi­tion de mariée – légi­time, parce que c’est elle après tout qui a reçu la bague – et de rendre visite au beau jeune homme pen­dant sa nuit de noce afin de l’ho­no­rer d’une étreinte – fatale… Et oui, il faut avoir le cou­rage à la hau­teur de ses gestes…

À lire :
Marco Nizzoli, Un bel été

Après toutes ces consi­dé­ra­tions, reve­nons un peu à l’ob­jet du délit, et contem­plons la sta­tue en ques­tion, œuvre de Jean de Boulogne :

Jean de Boulogne, Bacchus (détail). CC BY 2.0 Richard Mortel
Jean de Bou­logne, Bac­chus (détail). CC BY 2.0 Richard Mortel

Comme d’ha­bi­tude7, les par­ties divines sont d’une taille minus­cule, presque sous-natu­relle. Il ne nous reste donc plus qu’à espé­rer – et j’aime l’i­ma­gi­ner – que tous ces gestes pro­vo­ca­teurs ont eu l’ef­fet escomp­té et que la belle a pu pro­fi­ter d’une caval­cade à la hau­teur de ses efforts :-)

  1. Selon les dires de Paris Match que je me contente ici de citer : Des gestes obs­cènes sur une célèbre sta­tue d’Italie : une tou­riste bien­tôt ban­nie à vie de Flo­rence ? ↩︎
  2. Cité d’a­près l’ar­ticle Bac­chus de la Wiki­pé­dia fran­co­phone, consul­té le 20 juillet 2024. ↩︎
  3. Wiki­pé­dia, l.c. ↩︎
  4. Conti, Natale : Mytho­lo­gie c’est a dire expli­ca­tion des fables, Extraitte du Latin de Noel Le Comte, reueüe & aug­men­tée de nouueau & illus­trée de figures par J. de Mont­lyard, Lyon 1612 : « En fuite laif­fant Bufy­ris gouuer­neur de Phoe­nice, & Antee de Lybie ; leua vne armee de gens du plat païs & de femmes, auec laquelle il paf­fa iuf­qu’aux Indes & plus intimes par­ties d” Afie. Puis aiant fubiu­gué les Indiens qui Son voyage le nazar­doient, & toutes les autres natios Orien­tales, il fit dref­fer deux piliers fur le riuage de la mer Oceane és mon­tagnes d’In­die emprés la riuiere du Gange, comme fi l’on n’euft fceu paf­fer plus outre du cof­té de l’O­rient, ain­si que le grand Her­cule en plan­ta deux deuers l’Oc­ci­dent. » ↩︎
  5. Fré­dé­ric Schil­ler, Les Dieux de la Grèce, tra­duc­tion par Xavier Mar­mier : Alors les êtres célestes des­cen­daient encore par­mi les races de Deu­ca­lion. Pour vaincre la fille de Pyr­rha, Apol­lon prit la hou­lette de ber­ger. L’amour éta­blis­sait un doux lien entre les hommes, les Dieux, les héros, et tous ren­daient hom­mage à la déesse d’Amathonte. ↩︎
  6. Wiki­pé­dia, l.c. ↩︎
  7. Pen­sons un peu à la sta­tue légen­daire de David, réa­li­sé par Michel-Ange. ↩︎
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95