Agathe Legrand, Les vacances de Julie

Sacrée Julie ! Par­tir en vacances avec cette héroïne d’A­gathe Legrand, c’est se taper une orgie en per­ma­nence, c’est pas­ser d’un par­te­naire à l’autre sans jamais faire des détours par la case regret et sans se com­pli­quer la vie par des embrouilles sen­ti­men­tales. C’est un tour d’ho­ri­zon sur un monde où se dressent des bites dans la force insou­ciante de la jeu­nesse et où des ori­fices juteux n’at­tendent que d’être défon­cés, au plus grand bon­heur de leurs pro­prié­taires res­pec­tifs. Bref – et vous me voyez venir – Les vacances de Julie, c’est le com­pa­gnon idéal pour quelques heures de détente sous le soleil, des ins­tants de par­faite légè­re­té sur la plage ou dans le tran­sat à côté de la pis­cine, peut-être en com­pa­gnie d’une bois­son rafraî­chis­sante ou – mieux encore – d’une belle per­sonne du sexe qui vous convient – ô lec­trice, ô lec­teur – et quelle que soit votre orien­ta­tion sexuelle. À condi­tion, évi­dem­ment, d’a­voir sous les mains une ser­viette pour cou­vrir la gaule qui ne man­que­ra pas de se dres­ser dans votre maillot ou de rece­voir le liquide qui cou­le­ra à foi­son d’entre vos cuisses, ce qui ris­que­rait de vous signa­ler à l’at­ten­tion des badauds. À moins que ce soit là l’ef­fet recher­ché… Quoi qu’il en soit, pour une lec­ture ban­dante, c’est une lec­ture ban­dante, et si on peut dire beau­coup de choses à pro­pos de Julie et de sa bande de petits déver­gon­dés, on ne pour­ra en aucun cas leur repro­cher de bou­der leur plai­sir. Ou celui des autres.

Julie est une jeune femme, la petite ving­taine, par­tie en vacances avec sa tante Cécile. Des vacances qui démarrent sur les cha­peaux de roue et qu’elle com­mence, à peine ins­tal­lée sur le cam­ping, par une par­tie de jambes en l’air avec trois filles croi­sées dans les sani­taires. Il faut peut-être rajou­ter que, en plus d’être une beau­té affu­blée d’une poi­trine volu­mi­neuse et d’une belle che­ve­lure rousse, elle est dotée d’un attri­but quelque peu spé­cial, à savoir cette queue énorme qui se dresse au milieu de son bas-ventre, fai­sant d’elle une créa­ture convoi­tée par les femmes au même titre que par les hommes, une her­ma­phro­dite, la contre­par­tie par­faite des anges dont on dit qu’ils n’ont pas de sexe, tan­dis que la Julie en ques­tion en a reçu deux.

L’au­trice, pas­sion­née selon ses propres dires par « la lit­té­ra­ture homo éro­tique entre femmes » et ayant consta­té « qu’il n’y a pas assez de nou­velles sur ce thème », a entre­pris de rédi­ger « [s]es idées qui [lui] tra­versent l’es­prit afin de lais­ser une marque dans la [sic] pay­sage LGBT » [1]Pas­sages cités d’a­près sa page auteur sur amazon.fr.. L’his­toire de Julie est donc un des pro­duits de ces efforts, entre­pris pour réta­blir l’é­qui­libre en don­nant la parole aux femmes atti­rées par les femmes et de mettre en scène les amours saphiques[2]« His­toire éro­tique entre des femmes » comme dit l’au­trice dans une for­mule peu élé­gante. , un pro­cé­dé loin de déplaire à votre ser­vi­teur qui a lui-même scri­bouillé quelques scènes d’a­mour au fémi­nin. Et faire appel aux ser­vices d’une her­ma­phro­dite per­met à l’au­trice d’at­ta­quer son sujet sans devoir se pri­ver (et pri­ver ses per­son­nages, sur­tout) des ser­vices d’une belle bite bien en chair. Un peu comme si le strap-on, atout de pre­mière néces­si­té dans pra­ti­que­ment tous les por­nos les­biens qui se res­pectent [3]Com­ment ne pas pen­ser ici à la cham­pionne de cet outil, Nina Hart­ley, qui, dans les mor­ceaux dis­po­nibles sur inter­net, donne une idée de l’es­sence du désir mali­cieux qu’elle sait incar­ner comme … Conti­nue rea­ding, avait été réa­li­sé en chair et ensuite gref­fé sur le corps.

Hermaphrodite endormi
Her­ma­phro­dite endor­mie, ori­gi­nal by Poly­clès l’an­cien, bronze — User:Folegandros (2010), CC BY-SA 3.0

L’her­ma­phro­dite, l’illus­tra­tion ci-des­sus en four­nit un exemple, est un sujet pri­sé par les artistes depuis l’An­ti­qui­té, et il suf­fit de par­cou­rir les petites annonces et les sites de ren­contre pour en trou­ver un cer­tain nombre qui pro­posent leurs ser­vices à un public payant. Un genre donc par nature peu visible, mais lar­ge­ment fan­tas­mé et omni­pré­sent de façon sou­ter­raine, ce qui explique peut-être au moins en par­tie qu’il y a, dans le genre éro­ti­co-por­no­gra­phique, peu de textes qui, comme celui d’A­gathe Legrand, choi­sissent de les pro­mou­voir au rang de pro­ta­go­niste au lieu de se conten­ter d’en faire un mor­ceau de choix pour assou­vir – ou exci­ter – les appé­tits sexuels de leurs protagonistes.

À lire :
Giovanna Casotto, Oh ! Giovanna !

Grand ama­teur de textes consa­crés aux plai­sirs sous le soleil du Midi, j’ai l’ha­bi­tude de lan­cer des expé­di­tions dans les librai­ries numé­riques, réser­voirs bien four­nis où j’ai sou­vent trou­vé de quoi me mettre sous la dent pour mes Lec­tures esti­vales. J’ai donc été très agréa­ble­ment sur­pris quand, il y a quelques semaines, je suis tom­bé sur le titre en ques­tion signé d’un nom jusque-là incon­nu, Agathe Legrand. Que ce soit là un pseu­do­nyme me semble plus qu’é­vident, un fait qui ne sau­rait sur­prendre dans un domaine où peu de gens ont l’ha­bi­tude de signer de leur vrai nom. Accro­ché par une écri­ture don­nant toute sa place au désir brut, j’ai fait quelques recherches et j’ai été sur­pris de consta­ter qu’il y a, dans la seule biblio­thèque Kindle, un très grand nombre de textes attri­bués à Agathe Legrand. Des textes dont les titres annoncent la cou­leur sans la moindre pudeur tels que Léchée en voi­ture, Séduite par la gen­dar­mette, La bonne, la brute et la tou­bib ou encore – car­ré­ment éton­nant par sa sim­pli­ci­té ver­bale – Je me fais goder. Tous ces textes – et j’en compte envi­ron quatre-vingts titres sans y inclure les recueils – ont été lan­cés sur des pla­te­formes numé­riques telles que Kindle ou Kobo en l’es­pace de quelques mois, du 1 octobre 2018 au 8 février 2019 [4]Chiffres véri­fiés pour la seule pla­te­forme Kindle, preuve d’une pro­duc­ti­vi­té lit­té­raire hors normes qui n’a rien à envier à celle d’un Alexandre Dumas, patron – en son temps – d’une véri­table fabrique à romans. Ces titres, vous pour­rez les acqué­rir en détail, au prix de 2,99 € par texte – ce qui, pour une nou­velle de 200 pages comme dans le cas des Vacances de Julie, est plus qu’­hon­nête – ou en recueil au prix de 4,99 € par tome, ce qui rend l’af­faire encore plus juteuse. On peut évi­dem­ment se poser des ques­tions face à une telle pro­di­ga­li­té, et rien ne per­met d’af­fir­mer qu’on ait affaire ici à une seule per­sonne qui serait à l’o­ri­gine d’un tel tsu­na­mi de textes. Mais, et cette remarque me semble bien plus per­ti­nente ici que des inter­ro­ga­tions aca­dé­miques à pro­pos de l’i­den­ti­té d’une cer­taine per­sonne, pour­quoi est-ce que, face à un uni­vers carac­té­ri­sé par l’in­sou­ciance mani­feste de ses per­son­nages dont le seul désir est de jouir par tous les moyens per­mis par leurs confi­gu­ra­tions indi­vi­duelles, face à l’in­dé­cence assu­mée et la pro­vo­ca­tion du désir sexuel comme arme de séduc­tion mas­sive, pour­quoi est-ce qu’on se pose­rait encore des ques­tion au-delà du pro­pos du texte – pro­fi­ter de son temps pour jouir en lisant, pour trans­for­mer la lec­ture en exci­ta­tion et de se lais­ser enfer­mer par une bulle de sen­sua­li­té ? Et ce d’au­tant plus que la qua­li­té des textes réunis sous le patro­nyme d’A­gathe Legrand est bien supé­rieure à ce que j’ai l’ha­bi­tude de trou­ver dans les rayons des auto-édi­tés. Le style n’est pas tou­jours ce qu’il y a de plus élé­gant, cer­tains pas­sages pèchent par des répé­ti­tions, cer­taines paroles et for­mules reviennent un peu trop sou­vent (comme celle de « la belle / stu­pé­fiante / trou­blante / bisexuée »), mais ces défauts comptent bien peu face au désir intem­pes­tif que l’au­trice sait rendre avec une éton­nante facilité.

À lire :
Cornnell Clarke, Peanut Butter, vol. 2

Quant à notre Julie, celle-ci refuse de se lais­ser inquié­ter par les conven­tions ou des consi­dé­ra­tions morales et encore moins lit­té­raires, et pour­suit, une fois lan­cée, un par­cours qui la mène de conquête en conquête. Les doigts d’une main ne suf­fisent bien­tôt plus pour comp­ter le nombre de fois qu’elle arrive à conclure – et ce dans l’es­pace d’à peine deux jours. Et com­ment ne pas être fas­ci­né par l’im­pres­sion­nante série de gali­pettes que l’en­tre­pre­nante Julie sait trans­for­mer en tour­née fami­liale : ayant d’a­bord bai­sé la fille, Cla­risse – une des trois Grâces croi­sées sous la douche -, et ensuite le fils, le beau Yann – sans savoir, dans un pre­mier temps, qu’il s’a­git du frère de la belle brune des sani­taires – la pro­chaine cible est dési­gnée d’of­fice et la mère elle aus­si passe à la cas­se­role. Dom­mage seule­ment que le lec­teur n’est pas admis dans l’in­ti­mi­té de la cara­vane où la belle Julie fait pas­ser un excellent quart d’heure à cette mère de famille qui n’est pas près d’ou­blier ces vacances-là. Et voi­ci d’ailleurs – une fois men­tion­née la dimen­sion fami­liale des exploits de Julie – le seul véri­table reproche que je peux adres­ser à l’au­trice : celui d’a­voir per­mis à la belle Cécile, la tante de Julie, d’é­chap­per aux pour­suites de sa nièce et d’a­voir ain­si pri­vé ses lec­teurs d’être les témoins com­plai­sants d’une capi­tu­la­tion d’au­tant plus ful­gu­rante que la résis­tance fut plus ardue, la seule qui puisse se van­ter d’a­voir repous­sé des assauts por­tés par une capa­ci­té de séduc­tion aus­si intense qu’elle res­semble à une force de la nature. Le bal­let sen­suel dans lequel l’au­trice a fait entrer ces deux femmes est peut-être ce qu’il y a de plus beau et de plus réus­si dans le texte, et j’ai impa­tiem­ment atten­du l’ins­tant de voir suc­com­ber la belle tren­te­naire enfin contrainte d’ad­mettre l’ab­sur­di­té de toute résis­tance contre le désir conqué­rant – belle illus­tra­tion de cette devise deve­nue emblé­ma­tique : « Resis­tance is futile ».

Bon, on ne peut pas tout avoir, et ni Julie ni les lec­teurs avides de ses aven­tures éro­tiques ne sont des excep­tions à cette règle. Et com­ment ne pas par­don­ner à une autrice qui a su nous pondre un texte peu­plé de créa­tures aus­si décom­plexées, si promptes à céder au plai­sir sous toutes ses formes, le tout dans une ambiance esti­vale pro­pice à la légè­re­té des mœurs et la qua­si-absence de vête­ments ? Quant à moi, je fais par­tie du nombre de ceux que la belle Julie a su mettre sous le charme et je serais ravi de pou­voir la croi­ser dans d’autres aven­tures, sous d’autres cieux, tou­jours occu­pée à repous­ser tou­jours plus loin les limites de l’indécence.

Mise à jour (jan­vier 2022)

Les titres d’A­gathe Legrand ont dis­pa­ru du site d’A­ma­zon. Si sa page-auteur sub­siste, elle est vierge de toute entrée, ce qui, pour une autrice éro­tique, est un comble. Je regrette infi­ni­ment cette dis­pa­ri­tion, vu la qua­li­té de ses textes. Je ne sais pas si elle a pris le large ou si Ama­zon a choi­si de la virer. J’es­père seule­ment qu’elle refe­ra sur­face quelque part dans un ave­nir pas trop loin­tain. Si quel­qu’un réus­sit à avoir des nou­velles de sa part, faites-moi signe !

Agathe Legrand
Les vacances de Julie
Auto-édi­tion
ASIN : B07HYHTBMN

Réfé­rences

Réfé­rences
1 Pas­sages cités d’a­près sa page auteur sur amazon.fr.
2 « His­toire éro­tique entre des femmes » comme dit l’au­trice dans une for­mule peu élégante.
3 Com­ment ne pas pen­ser ici à la cham­pionne de cet outil, Nina Hart­ley, qui, dans les mor­ceaux dis­po­nibles sur inter­net, donne une idée de l’es­sence du désir mali­cieux qu’elle sait incar­ner comme peu d’autres ?
4 Chiffres véri­fiés pour la seule pla­te­forme Kindle
Dessin d'une femme nue debout, vue de profil. Elle tient un gode dans la main droite qu'elle est en train de s'introduire dans le vagin.
Dessin réalisé par Sammk95